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Le Scriptorium - Page 115

  • Hommage au poète inconnu (Dominique Sorrente)

     

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    Vous ne pouvez dire mon nom.

    C’est le moins qui puisse être.

     

    Je vis de creux et de surfaces.

    Ce qui s’ajoute à mon bout du monde

    passe par une entaille de pierre.

     

    Inclinez-vous, devant il n’y a rien à voir.

    Parterre, peut-être, un insecte

    qui sait renommer l’univers.

     

    J’ai fini de compter les passants qui ont

    franchi le seuil sans s’arrêter. Les quelques-uns

    sont en mémoire, debout ici,  dans mon silence archéologue.


    Demain, demain… évitez-moi ce trop de précipitation.

    La rafale s’en vient. Le monde brûle.

    Le livre part en lent retour vers son destin de sève.

     

    Mes fleurs à partager, mes carnets de déroutes et de chances reçues,

    mon rythme de piéton céleste, libre de cœur, j’aime

    celle ou celui qui  crie récompense pour que le temps d’amour

    à nouveau se libère.

     

    Je vous ressemble. Je sais bien

    que ma voix est faite d’empreintes et d’oublis, de cercles d’éphémère,

    de sillages d’éternité,

    de justesse et de non mesurable.

     

    C’est pour qui ne me connaît pas que je donne mes adresses

    au vent. J’écris ici et  j’écris là.

     À peine me verra-t-on peut-être à ma rare durée

    dans le brouillage des journées d’instants,

    et déjà disparu ailleurs,  comme vous, je serai reparti.

     

    Un jour, j’ai débarqué sur cette rive, où mes blessures ont

    reçu la pitié douce du lazaret, les pansements pour ma peau d’étranger.

    J’ai aimé devenir un des vôtres,

    lâchant une parole tressée entre les continents,

    d’un bord du monde à l’autre, minuscule et précieuse, démunie

    comme au premier jour de naissance.

     

    Et j’aime  depuis ce jour le baiser anonyme  du vent et de la mer,

    les temps extraordinaires qu’on unit au geste banal,

    les lèvres sacrées qui trouveront des mots à même le sable.

     

    Je suis de ce pays à sculpter l’éphémère.

     

    Je vous ressemble, à chaque regard porté, dans la ferveur

    des mots incendiaires.

     

    Je passe en destin d’écriture. Je me relie à vous, quand même 

    vous ne le savez pas.

    J’ai mon habitation dans le pli de vos cœurs troublés.

     

    Je n’appartiens à aucun siècle, ou à tous, sans doute, pour poursuivre ma tâche

    d’œuvrer  à même vos gestes en parole commune.

     

    Je suis le poète inconnu

    qui sait que ses théories de fusain lui survivront

    et qui vous parle.

     

    Je vis de l’oubli nécessaire et de la mémoire revenante,

    et je vous parle,

     

    bien après que la vague aura disparu,

    je vous parle, mes amis,

    pour ce soir, corps et biens,

    où nos mots se sont perdus, se sont unis,

     

    je vous parle,  habitants d’un amour toujours en chemin,

    dans ce temps du futur antérieur

    où remue entre ciel et terre

    la part heureuse

    qui nous fait signe,


    notre vie constellée.


                                                     Dominique Sorrente

    Plage des Catalans, Marseille, le 14 février 2011

     

     

  • La plage des Catalans à Marseille : un rendez-vous pour les poèmes amoureux du monde

     

     

    LA SAINT-VALENTIN AUTREMENT

     

    entrer des mots clefsCe lundi 14 février aura lieu une double cérémonie en l’honneur des poètes du monde. 

    À 11 heures du matin, à Trois-Rivières, au Québec, devant l’Hôtel de Ville, face au monument au poète inconnu, un hommage sera rendu aux poètes, dans la tradition de ce festival international qui réunit depuis 26 ans des poètes venus du monde entier.

    Au même moment, à 17 heures (heure locale), à Marseille, à l’initiative du Scriptorium, se déroulera pour la première fois une cérémonie inédite, plage de Catalans, intitulé Œillets du poète et mots en amour.

      

    Sur le site où fut établi le premier lazaret d’accueil des étrangers, venus par la mer, Marseille deviendra « sœur du monde entier » selon la belle expression de Saint-Pol -Roux, espace d’hospitalité pour la parole poétique de tous temps et de toute époque.

     

    La rencontre se déroulera en deux temps :

    À 17 heures, se succèderont une fondation d'écriture sur sable, une adresse au poète inconnu, l’expression de voix d’amour issues des cinq continents, et une nacelle de mots envoyés à l’air libre dans un lâcher de ballons. 

    À 18 heures, à la Maison de Jeux des Catalans, le public assistera à la joute du poème amoureux, où seront en lice les poèmes reçus du monde entier pour l’occasion, après une sélection faite par un jury d’experts.  

    Une cérémonie de remise d’œillets du poète et autres cadeaux précèdera le partage d’un apéritif, dit verrerie des rimes enlacées.

     

    À l’occasion de cette rencontre, sera lu un poème d’Andrée Chedid, symbole exemplaire de la poésie francophone et méditerranéenne, qui vient de nous quitter.


     

    Mon semblable
    Mon autre
    Là où tu es
    Je suis.

     

    Andrée Chedid, Rythmes [Gallimard,2009]

     

    À travers cette double cérémonie, ce sont les valeurs portées par la poésie, parole libre, circulant, à travers les générations, et les pays,  qui seront célébrées de façon festive. Avec l’improvisation créatrice comme respiration des instants. 

    Une autre façon de vivre la Saint-Valentin, en amitié et synchronie, d’une rive à l’autre. 

    L’événement a lieu en partenariat avec  le magazine Marseille l’Hebdo.

     

     

    entrer des mots clefs

     

     

     

    Ensemble

    Je chemine vers les fonds de toi
    Où le regard est en repos
    Où l'ombre se replie
    Où les murs se descellent

    Quand j'ai appris
    Que ton geste et ton mot
    N'étaient que tes saisons
    J'ai pris sur moi ce pèlerinage
    Pour te franchir porte à porte
    O toi qui me conteras notre histoire

    Andrée Chedid

    [Textes pour un poème 1949-1970, Gallimard, 2009]

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  • Le pardon, par Danielle Berthier

     

    Le pardon_1ecouv_DanielleBerthier.gifLE PARDON

    Danielle Berthier

     

     

     Il y a peu de temps,  lors d’une lecture publique, un auditeur m’a demandé : « À quoi cela vous sert-il d’écrire ? ». Sous forme de boutade, j’ai répondu par une formule cueillie chez George Bernard Shaw : « Quand on enlève tout ce qui ne sert à rien, tout le reste s’écroule ». Et j’y suis allé d’un petit commentaire facétieux : j’écris donc en revendiquant le droit que cela ne serve à rien. À côté de moi, un très cher ami poète a aussitôt proposé sa réponse : « Quant à moi, j’écris parce que c’est une nécessité ». Nous nous connaissons suffisamment, lui et moi, en complicité d’écriture et de vie, pour savoir que nos réponses venues de paysages différents se faisaient naturellement écho.

     

                 En lisant Le Pardon de Danielle Berthier,  je n’ai pu m’empêcher d’inviter à la tourne des pages ce dialogue aussi souriant que tragique qui donne au livre ainsi porté par son auteur sa place si particulière parmi les vivants et les morts.  Combien de haltes, combien de retours  et de questions auront été vécus pour qu’un tel ouvrage soit lâché par son auteur comme la plus précieuse des embarcations de fortune ? Nous l’ignorons, mais ce que nous sentons est l’empreinte du temps  éprouvé,  dans un texte tout en pudeur, en énoncés qui procèdent par étapes, par séquences du regard comme des angles de vue choisis pour rendre compte de la vie  qui se cherche après l’insupportable, ici l’accident mortel dans la nuit à peine éclairée qui emporte un fils. 

     

                On songe aux phases du deuil, identifiées en profondeur par la psychiatre Elisabeth Kübler-Ross (souvent hélas dénaturées par la psychologie fast-food de notre époque), ici comme revisitées par Danielle Berthier à travers les planches  successives du récit.  Le lecteur participe ainsi à l’épreuve dans son cheminement, et dans la relation unique avec cet autre, homme anonyme dans sa caverne devenu présence obsédante, interlocuteur décisif, parce que sa voiture a percuté la vie d’un enfant. C’est de ce travail de l’ombre que Danielle Berthier témoigne, de ce processus de dépassement qui ne fait l’économie d’aucun geste, qui se fraie un récit entre colère, désarroi, révolte, apaisement et besoin de savoir. Et il nous semble alors assister à une scène, la plus pure du théâtre antique, où se déplacent  et prennent sens les figures sacrées qui ont pour nom le Jeune Homme, Charly, la Mère, le Chœur, le Père, l’Ami, ceux du Chalet, l’écureuil, le Mékong, l’Océan même…Où le pardon serait la voie cathartique menant à l’album des mémoires partagées, dans le Chalet en retrouvailles avec les saisons par quoi le livre s’achève :        

     « Ils étaient redevenus  nos semblables

        De nouveau, ils étaient vivants ». 

      

    Doué juin 2009 Jardin de la rose treille métal.jpg

     

     

                Il faut être une femme, dans le secret de la douleur méditée, écrivain, portée par un désir de justesse de tous les instants, pour donner à un tel sujet des mots saturés de silence et qui pourtant  nous conduisent, d’une page à l’autre, avec conviction, insistance, dans la simplicité ouverte qui ne trompe pas. S’il consent à entrer dans cette traversée née d’un malheur brutal, promise à l’errance et appelant pourtant la paix des jours réconciliés, le lecteur sentira alors cette main qui à son tour l’accompagne, mue par des vibrations d’amour, symbole d’un parcours terrestre qui n’a pas renoncé à capter à même l’absurde l’indicible lumière.

     

                 Cela ne sert à rien, bien sûr, d’écrire ainsi, me direz-vous. Ou alors pour empêcher que tout le reste s’écroule. Mine de rien, voilà donc un petit miracle accompli qui opère par ce récit du Pardon. Le sait-elle, Danielle Berthier nous emmène loin,  au fond de notre conscience de vivre, dans une  langue sûre et dépouillée qui sait le prix des espaces intérieurs, le pouvoir des sapins sous leur écorce, l’enfance qui fait toujours signe derrière l’hiver, le besoin de comprendre et, plus encore, de recevoir et de faire pardon. Alors, autant signer ainsi : cela qui s’appelle écrire fait bien ici nécessité.

     

    Dominique Sorrente

     

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     Le Pardon, récit (automne 2010) - Danielle Berthier

    Editions MLD

    ISBN (13) : 978-2-917116-20-3, 78 p, 13 euros