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01 août 2009

Porto

Porto PL.jpg

 

 Porto

                     À mon père

 

 

      

 

J’ai fait l’amour avec les vagues

Qui m’aime, m’a aimée, m’aimera 

Jamais

Jamais

J’ai fait l’amour avec la mer

Elle était dure

Violente

Comme une mère méchante

Qui fouette

Va, fais

Et tiens-toi droite

Tiens-toi droite

Un homme a passé

Grand, vieux

Il a souri

Souri sous sa belle moustache

 

 

Rumeur de la mer incessante

Joie, joie

De la houle ascendante

Qui m’aime, m’a aimé, m’aimera

Jamais

Jamais

L’Algérie est de l’autre côté

Et les îles dans la beauté

Je suis de là

Qui m’a aimée

Je sors de la mer incessante

Je sors du ventre de la mer

Fillette dans une serviette

Verte

Verte comme la pomme granny

Elle a une blonde tresse mouillée

Et un peu tremble

Dans sa serviette

 

 

Au soir tombé

Je vois la mer elle m’attend

Elle m’appelle

Est-ce de là que vient l’amour

L’ai-je connu, l’ai-je perdu 

Le trouverai-je en m’y perdant

Si je m’y jette

Si je m’enfuis sur un bateau

Pour aller aux rades lointaines

Même plus loin que l’Algérie

Que les îles dans leur beauté

Ailleurs qu’en Méditerranée

Du côté de Valparaiso

Où vient rêver le Pacifique

Ou bien aux rives du Douro

Quand il se perd dans l’Atlantique.

 

 

Porto

Austère et grise sous la pluie d’août

Et dans la nuit

Un seul chemin

Une avenue

Vers l’acropole

Je marche vite et je suis seule

Qui m’a aimée

Vers le sommet

Un cinéma abandonné sous sa marquise

Les année trente

Une autre vie mais pas la mienne

Il y a longtemps

Un port obscur et dangereux

Chiottes publiques

On s’y rencontre

J’entends parler se bousculer

Et je dévale une ruelle

En escaliers ordures grasses

Rampe luisante sous la lumière

Un chat pelé

Il n’y a personne

Ou bien une ombre

Un qui m’aima

Un homme jeune qui fut marin

Dans tous les ports au bout du monde

J’étais pas née

Mais il m’aimait

Il m’attendait.

 

 

 

Françoise Donadieu

 

 

 

21 janvier 2009

Lovichi ou l'enivrante tristesse de vivre

  JLovichi.jpg

J’ai rencontré Jacques Lovichi à la fin des années 70 ; c’était un temps déraisonnable mais riche de tous les possibles. Nous allions écouter le Cuarteto Cedron à Marseille, discutions politique et mangions sous les pins dans un jardin tout voisin de la maison où j’habite maintenant. C’était le temps de Définitif Provisoire, un temps où Lovichi pouvait déjà produire dans un recueil la somme d’une expérience poétique attentive aux remous de l’époque (en témoignent les vers de L’égorgement des eaux aussi remarquables par l’audace formelle que par la violence prophétique qui les parcourt), mais entièrement engagée dans la recherche d’une expression intemporelle au service d’une sensibilité mélancolique, d’une vision tragique du monde. Le titre de ce recueil désignait ce qui me semble être le motif obsédant de tout l’œuvre poétique, le temps, ainsi que l’insupportable tension entre la volonté de le fixer et la soumission héraclitéenne au passage, à la dilution. Tension de la corde vibrant dans l’écriture chargée d’atteindre la cible mouvante, infiniment. D’où le désir déjà de finir dans le silence, désir exprimé dans Derniers retranchements qui clôture le recueil. Duquel je retiens les poèmes de Préhistoires, écrits sur ce mode inventé par Lovichi pour déjouer le temps, les infini(tif)s présents.

 

 

Préhistoire 3

 

 

Comme vous êtes en retard

ce soir

dans les corridors glacés de la mémoire

se faufilent les intersignes s'entrecroisent les destinées.

 

S’il n’est plus temps laissez leur croire

que rien ne presse

on est si près

si près et puis….

rien

 

 

Ensuite m’intéresse le parcours qui dans l’œuvre en prose (j’utilise ce terme par commodité, Jacques Lovichi est toujours poète) mène de Mangrove au Sultan des Asphodèles. Mangrove, publié en 1982, est à l’image de son sujet « cette zone marécageuse du sud-est asiatique lentement conquise sur la mer par les palétuviers-mangliers qui y installent une faune extraordinairement adaptée à ce milieu, foisonnante et étrange comme un paysage de matin du monde » Motifs proliférants, intrigue haletante, écriture inspirée, Mangrove tient à la fois de la fabrique de l’écrivain, de l’autoportrait baconien, du cauchemar surréaliste, du roman d’aventures. Cette œuvre peut à la première lecture paraître baroque mais le délire y est fermement enclos dans une architecture répétitive savamment maîtrisée, dans une écriture précise et rigoureuse, même et surtout dans le pastiche (me semble-t-il) du roman de gare ou du nouveau roman. C’est que Lovichi est un écrivain exact, si exact que l’expérimentation à l’œuvre dans Mangrove a pu lui sembler trop erratique. C’est pourquoi je vois dans  Le Sultan des Asphodèles, publié en 1995, la mise au point de ce qui était visé dans Mangrove. Dire un lieu (jamais nommé car avant tout paysage mental)  qui permette à la fois le rapport au mythe et l’abouchement au réel.

 

Le Sultan des Asphodèles est d’une eau limpide comme celle des torrents corses, sans doute parce que la Corse est au cœur de l’expérience sensible et affective de Lovichi. Mais peut-être plutôt parce que Le Sultan des Asphodèles est le vrai portrait de l’artiste en humaniste désenchanté : le More envahisseur interprète le Coran pour apporter la prospérité aux Infidèles « Du verset quatre-vingt-dix-neuf de la dixième sourate, j’ai fait en quelque sorte une règle de vie. Mieux que détruire vaut bâtir. Mieux que la dévaster vaut cultiver la terre et lui faire produire son fruit en abondance. »  Il paiera de sa vie cette volonté utopiste.

 

Fractures du silence a obtenu le Prix Artaud, l’ensemble de l’œuvre a été couronné par le Prix Mallarmé, autant dire que je n’ai fait qu’effleurer mon sujet ; c’est que le temps m’est compté, pourtant je voudrais encore lire un poème dans lequel j’entends cette voix claire mais frémissante, cette langue simple mais mystérieuse qui dit ce qui surtout m’émeut : l’enivrante tristesse de vivre. 

 

 

Françoise Donadieu

 

 

 

Premier feu JL.jpg

 

Poème publié dans la revue Autre Sud, «D’Allemagne et de Méditerranée », 

HS n°2, janvier 2003.

 

 

 

 

interv PoP-PoV.jpg

 

 

05 mai 2008

Hommage à Christophe Tarkos

 

 

Pour Christophe Tarkos

 

« Je suis né en 1963. je n’existe pas, je fabrique des poèmes.

1-Je suis lent, d’une grande lenteur.

2-invalide, en invalidité.

3- séjours réguliers en hôpitaux psychiatriques depuis dix ans.»

 

Christophe Tarkos est mort le 30 novembre 2004

 

Telle est la notice biographique de Tarkos dans le catalogue des auteurs P.O.L, éditions qui se partagent avec Al Dante l’honneur de l’avoir publié.

Difficile en partant de ces lignes pleines d’humilité mais auxquelles la mort donne une résonance tragique de ne pas tomber dans l’hagiographie. Et de ne pas écraser cet ascétique travailleur de la langue sous les références sublimes : génie précoce comme Rimbaud, fulgurances nées de l’inadaptation comme Artaud, combat minutieux et héroïque avec les mots, « les sons fondamentaux », comme Beckett.

A mes mots, j’imagine qu’il aurait souri, ou plaisamment protesté. J’imagine, ne l’ayant pas rencontré mais ayant dans ma mémoire la ritournelle, cocasse, enfantine, à la fois tendre et burlesque du Petit Bidon.  Expressif, le petit bidon. La ritournelle commence  ainsi

On a un petit bidon, un bidon d’huile, sur la table, un petit bidon vide, un petit bidon normal, normalement, sur la table, avec du vide dedans. Il est fermé, mais il est vide

Et ainsi s’achève : On a de la chance d’avoir un petit bidon, le petit bidon posé là sur la table. Merci, le petit bidon, merci le petit bidon.

 

Difficile aussi à la lecture de l’œuvre de ne pas employer les grands mots, les gros mots.

Le « métapoétique », Ma langue est poétique, ma langue est absolument poétique, ma langue est immédiatement poétique, ma langue est poétique, ma langue est poétique est un leitmotiv poétique, ma langue est poétique est poétique, ma langue est poétiquement désirée, c’est un désir de langue, un désir de langue poétique, ma langue est une langue poétique, ma langue se répète poétiquement, ma langue est une répétition poétique, ma langue s’agence poétiquement, ma langue est un désir de langue. Ma langue

Le « métalinguistique », Il n’y a pas de mots. Les mots ne veulent rien dire. Les mots n’ont pas de sens. Il n’y a pas de mots parce qu’il y a un sens, le sens a vidé les mots de toute signification, les a vidés complètement, il ne reste rien aux mots, ce sont des sacs vides vidés qui ont été vidés, le sens a pris tout le sens, il n’a rien laissé pour les mots, coquilles vides, le sens se débat tout seul, il n’a nul besoin de mots, le sens veut tout, veut tout prendre, s’essaye, il ne se rattache à rien, les mots se rattachent à rien, il ne veut pas se rattacher, il veut continuer à faire sens coûte que coûte, il écrase les mots pendant qu’il se débat, pendant qu’il se débat seul, on ne peut plus prendre les mots pour des éléments de sens, pour des éléments de tirades sensées, il n’y a pas de mots, il y a le sens qui pousse, qui s’attache à la poussée.  Le Signe=

L’ « ontologique »,  il n’y a pas d’autre langue que la langue. Il faudra essayer d’entrer. Au seuil un ennui enlève la force. Il n’y a pas d’autre langue que la langue, il faudra entrer à l’intérieur, on a toujours été à l’intérieur, il n’y a pas à entrer à l’intérieur, on est dedans, y aura-t-il question de sortir du ventre ou faudra-t-il toujours essayer de rester ainsi à l’intérieur du ventre….  Le Signe =

L’ « éthique », Tu vois, dire la vérité, c’est le poème. Tu vois de dire la vérité, le problème que ça pose. La contrainte qui se fixe quand on se dit je vais dire la vérité.[…….]   Le poème ne veut pas dire la vérité du monde mais il veut dire la vérité. Je ne vois pas si la différence est compréhensible, si tu l’entends. C’est une grosse contrainte que de ne pas dire ce qu’on peut sentir n’importe comment. Tu vois le genre de désagréments que ça apporte de n’avoir qu’à la dire. Je veux dire personnellement, tout de suite, par écrit. Par exemple, si tu es con, toute la connerie qui se met à la place de la vérité qui devait s’y mettre. Pan

 

Car, il faut bien l’admettre, la poésie de Tarkos pense et à sa manière, humble, farfelue, j’oserai dire rigolote, mais formidablement inventive, elle crée des concepts : la pâte-mot par exemple. Pâte-mot est la substance, est la substance de mots assez englués pour vouloir dire, on peut se déplacer dans pâte-mot comme dans une compote, pâte-mot est une substance dont on peut mettre à plat la substance, on peut aussi la mettre pas à plat en bosse, en faire de la neige et en faire des nuages……Le Signe =

Et ce sont les termes d’un philosophe, Deleuze, qui viennent à l’esprit pour qualifier l’entreprise de Tarkos, ceux qu’il utilisa pour rendre compte de l’expérience de Beckett ou de Kafka : épuisement du possible, bégaiement de la voix, pratique de sa langue comme d’une langue étrangère.

 

Qu’il me soit permis en définitive d’essayer de m’expliquer simplement le choc qu’a produit sur moi la poésie de Tarkos .

Entièrement immanente à la langue, elle a, me semble-t-il, un pouvoir inouï d’évocation (d’invocation ?) du monde. Entièrement ironique (dans le sens où elle interroge et critique sans cesse sa propre pratique) elle est, me semble-t-il, émotion pure (angoisse, douleur, révolte, compassion)

Entièrement maîtrisée, elle se fait au risque de la déraison.

Enfin, pour moi, son plus grand titre de gloire est de s’être nommée un temps Poézi Proléter : refus de la culture bourgeoise [en ce qu’elle promeut un sens (le sien) avant tout] mais surtout engagement dans la lutte au nom de l’honneur des poètes.

 

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Nuages ou Pour en finir avec le jugement de Tarkos

 

 

Je suis nue

Sans âge

Nue

Huée

De toutes parts

De ma part

Dénuée

Parfois obnubilée

 

Nouée

Nulle

Sans mariage

Viellarde

Ennuagée

La poésie est belle

Elle passe par là-bas

Sans lien avec la terre

Où je m’enroue

En rage

Et la langue nouée

 

Je suis dans le cirage

Nuages

La rage n’est pas la confiture

Exquise

Aux bons poètes

Et pas un traître mot

Ou alors des mots traîtres

 

Qui ne peuvent pas traire

Extraire

Le lait des nébuleuses

Exprimer le jus pur des nuages

Qui passent sans me voir

 

Vous qui passez

Mirages

Sans me voir

Ô miroir

Je suis nue

Huée et dénuée

Obnubilée

Sans lien avec le ciel

Je nage en pleine terre

La tête ennuagée

 

Je suis damnée

Niée

Nue

Huée

Dénuée de toutes qualités

Ma poésie à moi est ouvrage de dames

 

On m’a damé le pion

Damnée

Nue

Avant l’aube

Je fus assassinée

Avant toute sentence

 

Nuages de Tarkos

Devant vous je parais

Déniée

Dénigrée

Âme noire niée

Je hurle à la nue

Nue huée

Dénuée

De tout sens et de toute décence.

 

 

 

                                             Françoise Donadieu

 

 

 

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  • C. Tarkos (Note de lecture sur Pan, par Jérôme Game)
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       29.III.2008