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françoise donadieu

  • Porto

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     Porto

                         À mon père

     

     

          

     

    J’ai fait l’amour avec les vagues

    Qui m’aime, m’a aimée, m’aimera 

    Jamais

    Jamais

    J’ai fait l’amour avec la mer

    Elle était dure

    Violente

    Comme une mère méchante

    Qui fouette

    Va, fais

    Et tiens-toi droite

    Tiens-toi droite

    Un homme a passé

    Grand, vieux

    Il a souri

    Souri sous sa belle moustache

     

     

    Rumeur de la mer incessante

    Joie, joie

    De la houle ascendante

    Qui m’aime, m’a aimé, m’aimera

    Jamais

    Jamais

    L’Algérie est de l’autre côté

    Et les îles dans la beauté

    Je suis de là

    Qui m’a aimée

    Je sors de la mer incessante

    Je sors du ventre de la mer

    Fillette dans une serviette

    Verte

    Verte comme la pomme granny

    Elle a une blonde tresse mouillée

    Et un peu tremble

    Dans sa serviette

     

     

    Au soir tombé

    Je vois la mer elle m’attend

    Elle m’appelle

    Est-ce de là que vient l’amour

    L’ai-je connu, l’ai-je perdu 

    Le trouverai-je en m’y perdant

    Si je m’y jette

    Si je m’enfuis sur un bateau

    Pour aller aux rades lointaines

    Même plus loin que l’Algérie

    Que les îles dans leur beauté

    Ailleurs qu’en Méditerranée

    Du côté de Valparaiso

    Où vient rêver le Pacifique

    Ou bien aux rives du Douro

    Quand il se perd dans l’Atlantique.

     

     

    Porto

    Austère et grise sous la pluie d’août

    Et dans la nuit

    Un seul chemin

    Une avenue

    Vers l’acropole

    Je marche vite et je suis seule

    Qui m’a aimée

    Vers le sommet

    Un cinéma abandonné sous sa marquise

    Les année trente

    Une autre vie mais pas la mienne

    Il y a longtemps

    Un port obscur et dangereux

    Chiottes publiques

    On s’y rencontre

    J’entends parler se bousculer

    Et je dévale une ruelle

    En escaliers ordures grasses

    Rampe luisante sous la lumière

    Un chat pelé

    Il n’y a personne

    Ou bien une ombre

    Un qui m’aima

    Un homme jeune qui fut marin

    Dans tous les ports au bout du monde

    J’étais pas née

    Mais il m’aimait

    Il m’attendait.

     

     

     

    Françoise Donadieu

     

     

     

  • Lovichi ou l'enivrante tristesse de vivre

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    J’ai rencontré Jacques Lovichi à la fin des années 70 ; c’était un temps déraisonnable mais riche de tous les possibles. Nous allions écouter le Cuarteto Cedron à Marseille, discutions politique et mangions sous les pins dans un jardin tout voisin de la maison où j’habite maintenant. C’était le temps de Définitif Provisoire, un temps où Lovichi pouvait déjà produire dans un recueil la somme d’une expérience poétique attentive aux remous de l’époque (en témoignent les vers de L’égorgement des eaux aussi remarquables par l’audace formelle que par la violence prophétique qui les parcourt), mais entièrement engagée dans la recherche d’une expression intemporelle au service d’une sensibilité mélancolique, d’une vision tragique du monde. Le titre de ce recueil désignait ce qui me semble être le motif obsédant de tout l’œuvre poétique, le temps, ainsi que l’insupportable tension entre la volonté de le fixer et la soumission héraclitéenne au passage, à la dilution. Tension de la corde vibrant dans l’écriture chargée d’atteindre la cible mouvante, infiniment. D’où le désir déjà de finir dans le silence, désir exprimé dans Derniers retranchements qui clôture le recueil. Duquel je retiens les poèmes de Préhistoires, écrits sur ce mode inventé par Lovichi pour déjouer le temps, les infini(tif)s présents.

     

     

    Préhistoire 3

     

     

    Comme vous êtes en retard

    ce soir

    dans les corridors glacés de la mémoire

    se faufilent les intersignes s'entrecroisent les destinées.

     

    S’il n’est plus temps laissez leur croire

    que rien ne presse

    on est si près

    si près et puis….

    rien

     

     

    Ensuite m’intéresse le parcours qui dans l’œuvre en prose (j’utilise ce terme par commodité, Jacques Lovichi est toujours poète) mène de Mangrove au Sultan des Asphodèles. Mangrove, publié en 1982, est à l’image de son sujet « cette zone marécageuse du sud-est asiatique lentement conquise sur la mer par les palétuviers-mangliers qui y installent une faune extraordinairement adaptée à ce milieu, foisonnante et étrange comme un paysage de matin du monde » Motifs proliférants, intrigue haletante, écriture inspirée, Mangrove tient à la fois de la fabrique de l’écrivain, de l’autoportrait baconien, du cauchemar surréaliste, du roman d’aventures. Cette œuvre peut à la première lecture paraître baroque mais le délire y est fermement enclos dans une architecture répétitive savamment maîtrisée, dans une écriture précise et rigoureuse, même et surtout dans le pastiche (me semble-t-il) du roman de gare ou du nouveau roman. C’est que Lovichi est un écrivain exact, si exact que l’expérimentation à l’œuvre dans Mangrove a pu lui sembler trop erratique. C’est pourquoi je vois dans  Le Sultan des Asphodèles, publié en 1995, la mise au point de ce qui était visé dans Mangrove. Dire un lieu (jamais nommé car avant tout paysage mental)  qui permette à la fois le rapport au mythe et l’abouchement au réel.

     

    Le Sultan des Asphodèles est d’une eau limpide comme celle des torrents corses, sans doute parce que la Corse est au cœur de l’expérience sensible et affective de Lovichi. Mais peut-être plutôt parce que Le Sultan des Asphodèles est le vrai portrait de l’artiste en humaniste désenchanté : le More envahisseur interprète le Coran pour apporter la prospérité aux Infidèles « Du verset quatre-vingt-dix-neuf de la dixième sourate, j’ai fait en quelque sorte une règle de vie. Mieux que détruire vaut bâtir. Mieux que la dévaster vaut cultiver la terre et lui faire produire son fruit en abondance. »  Il paiera de sa vie cette volonté utopiste.

     

    Fractures du silence a obtenu le Prix Artaud, l’ensemble de l’œuvre a été couronné par le Prix Mallarmé, autant dire que je n’ai fait qu’effleurer mon sujet ; c’est que le temps m’est compté, pourtant je voudrais encore lire un poème dans lequel j’entends cette voix claire mais frémissante, cette langue simple mais mystérieuse qui dit ce qui surtout m’émeut : l’enivrante tristesse de vivre. 

     

     

    Françoise Donadieu

     

     

     

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    Poème publié dans la revue Autre Sud, «D’Allemagne et de Méditerranée », 

    HS n°2, janvier 2003.

     

     

     

     

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  • Hommage à Christophe Tarkos

     

     

    Pour Christophe Tarkos

     

    « Je suis né en 1963. je n’existe pas, je fabrique des poèmes.

    1-Je suis lent, d’une grande lenteur.

    2-invalide, en invalidité.

    3- séjours réguliers en hôpitaux psychiatriques depuis dix ans.»

     

    Christophe Tarkos est mort le 30 novembre 2004

     

    Telle est la notice biographique de Tarkos dans le catalogue des auteurs P.O.L, éditions qui se partagent avec Al Dante l’honneur de l’avoir publié.

    Difficile en partant de ces lignes pleines d’humilité mais auxquelles la mort donne une résonance tragique de ne pas tomber dans l’hagiographie. Et de ne pas écraser cet ascétique travailleur de la langue sous les références sublimes : génie précoce comme Rimbaud, fulgurances nées de l’inadaptation comme Artaud, combat minutieux et héroïque avec les mots, « les sons fondamentaux », comme Beckett.

    A mes mots, j’imagine qu’il aurait souri, ou plaisamment protesté. J’imagine, ne l’ayant pas rencontré mais ayant dans ma mémoire la ritournelle, cocasse, enfantine, à la fois tendre et burlesque du Petit Bidon.  Expressif, le petit bidon. La ritournelle commence  ainsi

    On a un petit bidon, un bidon d’huile, sur la table, un petit bidon vide, un petit bidon normal, normalement, sur la table, avec du vide dedans. Il est fermé, mais il est vide

    Et ainsi s’achève : On a de la chance d’avoir un petit bidon, le petit bidon posé là sur la table. Merci, le petit bidon, merci le petit bidon.

     

    Difficile aussi à la lecture de l’œuvre de ne pas employer les grands mots, les gros mots.

    Le « métapoétique », Ma langue est poétique, ma langue est absolument poétique, ma langue est immédiatement poétique, ma langue est poétique, ma langue est poétique est un leitmotiv poétique, ma langue est poétique est poétique, ma langue est poétiquement désirée, c’est un désir de langue, un désir de langue poétique, ma langue est une langue poétique, ma langue se répète poétiquement, ma langue est une répétition poétique, ma langue s’agence poétiquement, ma langue est un désir de langue. Ma langue

    Le « métalinguistique », Il n’y a pas de mots. Les mots ne veulent rien dire. Les mots n’ont pas de sens. Il n’y a pas de mots parce qu’il y a un sens, le sens a vidé les mots de toute signification, les a vidés complètement, il ne reste rien aux mots, ce sont des sacs vides vidés qui ont été vidés, le sens a pris tout le sens, il n’a rien laissé pour les mots, coquilles vides, le sens se débat tout seul, il n’a nul besoin de mots, le sens veut tout, veut tout prendre, s’essaye, il ne se rattache à rien, les mots se rattachent à rien, il ne veut pas se rattacher, il veut continuer à faire sens coûte que coûte, il écrase les mots pendant qu’il se débat, pendant qu’il se débat seul, on ne peut plus prendre les mots pour des éléments de sens, pour des éléments de tirades sensées, il n’y a pas de mots, il y a le sens qui pousse, qui s’attache à la poussée.  Le Signe=

    L’ « ontologique »,  il n’y a pas d’autre langue que la langue. Il faudra essayer d’entrer. Au seuil un ennui enlève la force. Il n’y a pas d’autre langue que la langue, il faudra entrer à l’intérieur, on a toujours été à l’intérieur, il n’y a pas à entrer à l’intérieur, on est dedans, y aura-t-il question de sortir du ventre ou faudra-t-il toujours essayer de rester ainsi à l’intérieur du ventre….  Le Signe =

    L’ « éthique », Tu vois, dire la vérité, c’est le poème. Tu vois de dire la vérité, le problème que ça pose. La contrainte qui se fixe quand on se dit je vais dire la vérité.[…….]   Le poème ne veut pas dire la vérité du monde mais il veut dire la vérité. Je ne vois pas si la différence est compréhensible, si tu l’entends. C’est une grosse contrainte que de ne pas dire ce qu’on peut sentir n’importe comment. Tu vois le genre de désagréments que ça apporte de n’avoir qu’à la dire. Je veux dire personnellement, tout de suite, par écrit. Par exemple, si tu es con, toute la connerie qui se met à la place de la vérité qui devait s’y mettre. Pan

     

    Car, il faut bien l’admettre, la poésie de Tarkos pense et à sa manière, humble, farfelue, j’oserai dire rigolote, mais formidablement inventive, elle crée des concepts : la pâte-mot par exemple. Pâte-mot est la substance, est la substance de mots assez englués pour vouloir dire, on peut se déplacer dans pâte-mot comme dans une compote, pâte-mot est une substance dont on peut mettre à plat la substance, on peut aussi la mettre pas à plat en bosse, en faire de la neige et en faire des nuages……Le Signe =

    Et ce sont les termes d’un philosophe, Deleuze, qui viennent à l’esprit pour qualifier l’entreprise de Tarkos, ceux qu’il utilisa pour rendre compte de l’expérience de Beckett ou de Kafka : épuisement du possible, bégaiement de la voix, pratique de sa langue comme d’une langue étrangère.

     

    Qu’il me soit permis en définitive d’essayer de m’expliquer simplement le choc qu’a produit sur moi la poésie de Tarkos .

    Entièrement immanente à la langue, elle a, me semble-t-il, un pouvoir inouï d’évocation (d’invocation ?) du monde. Entièrement ironique (dans le sens où elle interroge et critique sans cesse sa propre pratique) elle est, me semble-t-il, émotion pure (angoisse, douleur, révolte, compassion)

    Entièrement maîtrisée, elle se fait au risque de la déraison.

    Enfin, pour moi, son plus grand titre de gloire est de s’être nommée un temps Poézi Proléter : refus de la culture bourgeoise [en ce qu’elle promeut un sens (le sien) avant tout] mais surtout engagement dans la lutte au nom de l’honneur des poètes.

     

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    Nuages ou Pour en finir avec le jugement de Tarkos

     

     

    Je suis nue

    Sans âge

    Nue

    Huée

    De toutes parts

    De ma part

    Dénuée

    Parfois obnubilée

     

    Nouée

    Nulle

    Sans mariage

    Viellarde

    Ennuagée

    La poésie est belle

    Elle passe par là-bas

    Sans lien avec la terre

    Où je m’enroue

    En rage

    Et la langue nouée

     

    Je suis dans le cirage

    Nuages

    La rage n’est pas la confiture

    Exquise

    Aux bons poètes

    Et pas un traître mot

    Ou alors des mots traîtres

     

    Qui ne peuvent pas traire

    Extraire

    Le lait des nébuleuses

    Exprimer le jus pur des nuages

    Qui passent sans me voir

     

    Vous qui passez

    Mirages

    Sans me voir

    Ô miroir

    Je suis nue

    Huée et dénuée

    Obnubilée

    Sans lien avec le ciel

    Je nage en pleine terre

    La tête ennuagée

     

    Je suis damnée

    Niée

    Nue

    Huée

    Dénuée de toutes qualités

    Ma poésie à moi est ouvrage de dames

     

    On m’a damé le pion

    Damnée

    Nue

    Avant l’aube

    Je fus assassinée

    Avant toute sentence

     

    Nuages de Tarkos

    Devant vous je parais

    Déniée

    Dénigrée

    Âme noire niée

    Je hurle à la nue

    Nue huée

    Dénuée

    De tout sens et de toute décence.

     

     

     

                                                 Françoise Donadieu

     

     

     

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    • C. Tarkos (Note de lecture sur Pan, par Jérôme Game)
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           29.III.2008