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Les feuillets de poésie - Page 7

  • Au commencement, en Infinis paysages

     

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    LÀ OÙ SÉJOURNENT D’INFINIS PAYSAGES

     

     

     

     

    Au commencement est le silence de l’épaule

    et l’ombre du cou plane sur elle.

    Puis vient le sein à la fleur d’amandier pour y boire

    et le creux du nombril pour y dormir.

     

    Au commencement est la hanche

    qui sait faire  balancer les regards

    et encore le genou

    au rêve danseur,

    et la plante du pied docile

    pour éprouver les massages du temps.

     

    Puis un sourire invente les lèvres

    à peine ouvertes,

    et la courbure du dos,

    vêtue d’onguents et d’aromates,  s’allonge  

    contre la terre ferme, et les mains

    se nouent lentement

    devant le pli obscur du sexe.

     

    Et la nuit diamantine

    descend    

    en signe de promesse

    tout au bord

    du premier corps de l’aimée,

    quand le commencement

    à peine se retire.

     

     

     

     

                                                                                      Dominique Sorrente

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    Livre artiste Isaure1.jpgLivre d'artiste & Encres Isaure de Larminat

  • Hors la voix - Michèle Dujardin

     

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    Source

     

     

    hors la voix

     


    lui dire – à toi – à la personne toi, celle-là, s’efforcer de la langue – pour dire toi, tout simplement, pour lui parler

     hors la voix – langue vide, au moyen de la langue vide, qui frappe contre le palais – qui retentit, vide

    lui parler, à toi de la personne, lui dire aime, te dire dans l’élément souffle, à toi, je t’aime

    mais qui dit toi, qui parle, qui touche là, le vivant ? et toi, lui dire toi, de ce visage d’ombre qui m’assiège, par quelle voix ? trop dur pour les lèvres, se séparer, contre la tension des mâchoires, qui scellent

    opacité des mots : toucher, la docilité, le moment de la peau, aime – violence d’écrasement, dans le mot : dire toi, parler, t’aime, qui se recourbent dans la gorge, pour déchirer – se souvenir, au cou des morts, la jugulaire : la seule très tard, qui ressasse dans le bout des doigts, solidifiée, une parole

    rien pour dire là, murée dans je t’aime – où si grande jamais, l’ouverture, ne l’a été

     cette personne d’aimer, la multiplicité de ses bouches dans l’épaisseur, comme exposée nue, à se perdre – la personne, tout simplement toi, que j’aime, ici absolue, n’entend pas du fait de la langue, rien – n’entend lui dire, que l’autre côté parlé, mon silence – seul vif, manifesté, qui enveloppe toi, bien fermé dans les lèvres de la déchirure

    de mon front sur ton épaule, tout le paysage d’aimer repose, sans repère : t’aimer, cet horizon, entièrement d’amour et vide, qui libère, me démet de la parole

    abdiquer, yeux clos – seul vrai, ce vide de la langue pour toucher, pour marquer territoire de risque, de veille attentive – pour dire, à toi de lui : je t’aime – tout dans la langue, est brûlé

    comment l’interroger, ce ruissellement des eaux jusqu’aux purs brisants de l’être, son être lui, le plus aigu, cette personne lui qui là s’avance, dans un trou de mots envahi de lumière ? transparence infinie où me dépossède, abandonnée de langue, t’aimer

    amoureux de part en part, ce consentement au vide

    et toujours se creusant, toujours sur sa base d’air s’élargissant, ce rien pour dire toi, que j’aime là - lui que j’aime par douleur de peau, par faim et soif, par arrachement, par impuissance des bras – rien pour dire

    corps, toi, tout simplement le sien – rejoint, ramassé, son odeur, sa chair, cheveux et doigts mêlés, circonscrit dans l’espace de mes lèvres, haut porté – pour nourriture, pour respiration – par dessus le monde, ses échos, ses mots à bruit de masse, de maillet, à briser les corps, les noyer

    son corps – à toi, le sien

    tout aimé, toi, de langue morte – avec grande force – toi, cette personne de vie, d’embrassement immense mais dans l’absence de mots, dans la disjonction de la parole

    et dans l’étonnement, qui n’a pas de fin – qui est sans mélange - où, seul, toujours le présent se déploie : vers sa propre éternité, courant, déferlant - avide d’un ciel où la lumière, incessamment succède à la lumière - dans ce même élan, dans ce même sang que rien ne tempère, ni nuit, ni saison

    mais du lourd sol des mots, toujours aimer, a cette nostalgie – cette  inquiétude -  lointaine, comme nul, sans trace vive, un souvenir –  car aimer toi, cette personne-là, lui que j’aime, cela parfois, cherche encore le mot – comment dire à toi, lui que j’aime, d’un mot – je t’aime - quelque chose là, qui cherche – où il n’y a rien, qu’un chant : un oiseau libéré de ses ailes, de son vol, de la terre – et qui là, disparu, n’est plus que son chant

     le silence qui pulse, plein d’attente

     toi, celui-ci que - cette personne-là 

     et plus nue qu’on peut l’être, je, dans cet amour – où rien pour dire toi, lui que l’on aime – rien pour dire – juste, les mains qui s’écartent – dans toute cette eau, accompagnée de soleil

     

    Michèle Dujardin

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  • Hommage au poète inconnu (Dominique Sorrente)

     

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    Vous ne pouvez dire mon nom.

    C’est le moins qui puisse être.

     

    Je vis de creux et de surfaces.

    Ce qui s’ajoute à mon bout du monde

    passe par une entaille de pierre.

     

    Inclinez-vous, devant il n’y a rien à voir.

    Parterre, peut-être, un insecte

    qui sait renommer l’univers.

     

    J’ai fini de compter les passants qui ont

    franchi le seuil sans s’arrêter. Les quelques-uns

    sont en mémoire, debout ici,  dans mon silence archéologue.


    Demain, demain… évitez-moi ce trop de précipitation.

    La rafale s’en vient. Le monde brûle.

    Le livre part en lent retour vers son destin de sève.

     

    Mes fleurs à partager, mes carnets de déroutes et de chances reçues,

    mon rythme de piéton céleste, libre de cœur, j’aime

    celle ou celui qui  crie récompense pour que le temps d’amour

    à nouveau se libère.

     

    Je vous ressemble. Je sais bien

    que ma voix est faite d’empreintes et d’oublis, de cercles d’éphémère,

    de sillages d’éternité,

    de justesse et de non mesurable.

     

    C’est pour qui ne me connaît pas que je donne mes adresses

    au vent. J’écris ici et  j’écris là.

     À peine me verra-t-on peut-être à ma rare durée

    dans le brouillage des journées d’instants,

    et déjà disparu ailleurs,  comme vous, je serai reparti.

     

    Un jour, j’ai débarqué sur cette rive, où mes blessures ont

    reçu la pitié douce du lazaret, les pansements pour ma peau d’étranger.

    J’ai aimé devenir un des vôtres,

    lâchant une parole tressée entre les continents,

    d’un bord du monde à l’autre, minuscule et précieuse, démunie

    comme au premier jour de naissance.

     

    Et j’aime  depuis ce jour le baiser anonyme  du vent et de la mer,

    les temps extraordinaires qu’on unit au geste banal,

    les lèvres sacrées qui trouveront des mots à même le sable.

     

    Je suis de ce pays à sculpter l’éphémère.

     

    Je vous ressemble, à chaque regard porté, dans la ferveur

    des mots incendiaires.

     

    Je passe en destin d’écriture. Je me relie à vous, quand même 

    vous ne le savez pas.

    J’ai mon habitation dans le pli de vos cœurs troublés.

     

    Je n’appartiens à aucun siècle, ou à tous, sans doute, pour poursuivre ma tâche

    d’œuvrer  à même vos gestes en parole commune.

     

    Je suis le poète inconnu

    qui sait que ses théories de fusain lui survivront

    et qui vous parle.

     

    Je vis de l’oubli nécessaire et de la mémoire revenante,

    et je vous parle,

     

    bien après que la vague aura disparu,

    je vous parle, mes amis,

    pour ce soir, corps et biens,

    où nos mots se sont perdus, se sont unis,

     

    je vous parle,  habitants d’un amour toujours en chemin,

    dans ce temps du futur antérieur

    où remue entre ciel et terre

    la part heureuse

    qui nous fait signe,


    notre vie constellée.


                                                     Dominique Sorrente

    Plage des Catalans, Marseille, le 14 février 2011