« Accostage : rencontre entre l’embarcation et le bord d’une autre embarcation qui peut être une terre, en 1492 par exemple, passage d’un élément à l’autre, choc de contact ou rencontre aventureuse, alliance de la mer et de l’île…Nous sommes dans un monde d’accostages permanents. Tantôt le geste d’une silhouette étrangère, tantôt le heurt d’un récif invisible. Tout dépend moins, paraît-il, des corps étrangers l’un à l’autre, que de leur façon de négocier la rencontre. Accoster comme vivre l’autre côté de l’intimité. »
Dominique Sorrente
(Notes sur la coïncidence)
Port d’attache
Ouvert sur le plein ciel la pleine Etreté
dans sa mouvance liquide
Port… altier – couronné de chênes et de charmes et de saules et d’érables
Royauté première
Creusé dans la roche en aplomb du ciel ce passage utérin
Seuil de l’invisible
Attachée la racine Détaché le regard
Oubliée l’araignée d’enfance l’obscurité du doute
Vol libre d’épervier
Port d’attache
Ouvert sur l’impossible
Mort détachée au fil de l’eau
Nuée de têtards dans le repli de la rivière
Marcher / Nager /le sec / l’humide / le rocher /la vallée
Même respir Même solitude
Même présence dans la fissure hiatale entre l’air et le souffle
Peau dilatée
Jusqu’aux quatre points cardinaux
Pétrie d’écorces, de cigales de rides familières
Peau végétale
ardente à dissimuler l’envers des apparences
Port d’attache
Ouvert sur l’illimité
À l’heure de l’effacement
Celle du corps déconstruit cellule par cellule
Temps remonté à contre courant
Énergie des muscles qui exultent dans la puissance vive de l’eau
Force à l’état brut qui n’a pas épuisé son compte
Port d’attache
Tache de sang mêlé de sève
Ombilic du monde
Adhérence fibreuse à la matrice première
Lovée à l’envers du rocher
Cœur à vif dans l’éclat calcaire
Regard inversé
Falaise de chair
Marquée de ce sceau d’éternité à l’aplat de la roche
Cercle de mystère serti dans la falaise
Port d’attache
Ouvert sur les arcanes de l’inconnu
Lieu nourricier de l’âme dans l’odyssée des jours
Faire éclore dans la mémoire des eaux
Un futur en germe à l’envers du geste
Sortir du temps jusqu’aux cigales
Libre dérive
Port sans attache
Geneviève Bertrand
(inédit, août 2009)
Chant d’entre les colonnes
Ce soir, je chanterai en accostage au milieu des colonnes.
J’ouvrirai le pont pour des mots qui se préparent
à débarquer en phrases.
Je porterai l’entaille au verbe pour découvrir son sang de troubadour.
De mon île de fortune, ce sera le regard de loin
qui me fera pencher au-dessus des saisons.
Par une goutte de septembre, j’irai chercher
les bénédictions de la mer en ses prises inconnues.
Ce sera bien
le temps, sous cette heure révolue
des arrivées et des départs,
le temps ôté des montres digitales, le point exact
où le séjour s’allume et se dérobe
avec à distance de quelques bords
la grande ville offerte dispersée dans son sofa de lumières.
Ce sera bien
l’intervalle des dieux
qui font de maintenant
un lieu aux noms multiples, mandala
de l’insaisissable.
Ce sera bien
une installation pour la nuit
et son rangement
et son dérangement
au rythme des voix des diseurs du vent
et des silences ouverts à l’aimant des oreilles.
Accostage fervent, pour que s’écrive en sémaphore
notre assemblée de l’éphémère
parmi les vagues. Ce sera bien.
D. Sorrente
POUSSIERE LOINTAINE
Les chevaliers de chrétienté arrivaient là.
au port de Saint-Jean d’Acre.
reprenaient force.
Se congratulaient d’avoir survécu,
oubliaient le pendule des planches,
la puanteur des entreponts.
Retrouvaient là des amis, en faisaient d’autres,
entamaient quelques rixes ;
au caravansérail couchaient en paille fraîche,
en sursis de combat
dans le nid de la forteresse.
Aujourd’hui point de chevaux
émergeant éblouis des gabares.
Aux quais ocres d’Akko
des chats malingres accourus,
première clientèle des pêcheurs,
disputent leur repas aux mouettes criardes.
Automnal glaive de midi sans dureté dans les ruelles
mais le gradient du soir l’émousserait bien vite
et le royaume à voir s’offre au delà des portes
Nous avons voyagé
dans l’espace du Nom
L’aridité ceignait
de bure notre vue
Nous avons voyagé
dans l’espace du Nom
sur le sentier
des syllabes interdites
ensemble dépourvues
de prononciation
Nom de l’Unique sur nos têtes
Tétragramme sacré
de secrète acception
L’aridité vêtait de bure les collines
dont le reflet marcha sur la rive du lac
Lyrique « mer de Galilée » que nourrit le Jourdain,
la montagne où le Fils prononça le Sermon,
l’anse où les rets de la Parole
furent lancés vers les disciples,
restes devinés de Capharnaüm
et port de Tibérias près duquel se prélassent
encore des baigneurs en l’eau jadis
plus au sud baptismale.
Nous n’avons guère accosté à cette rive,
nous étions étrangers, nous reprenions la route
en lacets s’élevant à hauteur de Carmel :
Cana, mine de rien, au passage vous vend
le vin des noces et plus loin Nazareth
retient en ses méandres une des cryptes de la foi.
Mais le plus beau de cette promenade
ce fut le don de l’amitié entre nous trois.
A Yvon Le Men et à Georges Guitton
André Ughetto