14 février 2012
Aux quatorze foudres du jour
© Photo Boris Pasmonkov
C’est ainsi que je te voulais
sur le grand lit écartelée
et toute pudeur en allée
Je t’ai connue tulipe close
puis un vent noir nous emporta
vers de pourpres jardins aux roses
où tu naquis entre des draps
Souveraine et impénitente
nue mais plus nue de le savoir
pour les solennelles ententes
de nos nuits comme des mouroirs
C’est ainsi que je t’ai volée
sur le grand lit écartelée
et toute pudeur en allée
* * *
Tu es l’odeur d’une fourrure
du pétrole bleu dans le port
Tous les vents à leur encolure
le sel et les sables d’Armor
tu es l’oubli d’une coiffure
la silhouette d’un décor
Le jeu d’une tendre torture
où le tricheur est le plus fort
Tu es l’invisible fêlure
du géomètre de la mort
* * *
Fille de Dundee
qui me sers le thé
tu es du pays
des châteaux hantés
Redis-moi redis-moi encore
cette légende de linceul
fantômes de Glamis Castle
et tous les comtes de Strathmore
qui tremblent d’avoir un secret
lorsque la mort vient les sacrer
insoupçonnable vagabonde
dans ce château le plus hanté
du monde
Fille de Dundee
en naïveté
tu es du pays
des temps arrêtés
Tes histoires sont comme une vieille chanson
et j’aime dans tes yeux ces ombres de frisson.
Louis Calaferte,
extrait de Londoniennes [Rag-time, Poésie/Gallimard, 2002]
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22 janvier 2012
Jean-Philippe Salabreuil ~ La chambre à feu
© Photo Helder Reis
La chambre à feu
Au bord du livre que j'écris tourne le ciel et ses montagnes. Une chose plus essentelle que la vie est le matin du monde en fleurs à travers nous. La hauteur bleue nous habite et nous dédaigne non remaniée depuis les âges nous qui changeons. Voici l'automne de nouveau qui toujours se ressemble. Et lorsque l'âme à la fin s'émerveile un cri plus pur de rouge-gorge enfile nos sombres haies de buis jusqu'au silence.
Écrire ici pour moi n'est plus ouvrage de lumière. Ailleurs m'interpellent des morts à la dérive qui n'ont encre ni papier ni plume en leur barque si noire. Et puis quelques vivants de même démunis parmi l'enclos des monts branchus. Mais l'aube me retrouve à pic entre deux lucarnes de l'espace où je balconne et ne me laissera jamais semblable. Une heure ou deux le grand parti des rossignols a pris ma chambre à feu pour un pin de ténèbres. Ils sont mots violents que la nuit range mal et dérange. Ainsi les mains levées plus fréquentes et tremblantes. Ainsi le coeur tardif. J'y gagne une rigueur.
Aux soirées lisses et dévidé le fil ténu des jours cette allégresse m'a recommencé. Mise en doute la fatigue un ruisselant sommeil m'élève au profond visage des nues. j'ai pour témoin ma vieille lampe avoir à sa lueur défoui les menées blanches d'un pays d'érables. Et l'éternel glissement d'astres en route pour l'hiver. Ô douce lune es-tu venue quand je me suis tourné vers la muraille ? À minuit les roses de novembre ont quitté mon jardin pour le ciel.
Une à une les pages de livres lus et refermés les montagnes s'enneigent et s'effacent. Au monde limpide entier ma fenêtre ouverte demain secouera sa charge de bois obscurs.
Jean-Philippe Salabreuil
La Liberté des feuilles, Gallimard, 1964
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15 janvier 2012
D'hiver en hiver - Tomas Tranströmer
SOMBRES CARTES POSTALES
I
L’agenda est rempli, l’avenir incertain.
Le câble fredonne un refrain apatride.
Chutes de neige dans l’océan de plomb. Des ombres se battent
sur le quai.
II
Il arrive au milieu de la vie que la mort vienne
prendre nos mesures. Cette visite
s’oublie et la vie continue. Mais le costume
se coud à notre insu.
La place sauvage (1983)
AU MILIEU DE L’HIVER
une lumière blême
jaillit de mes habits.
Solstice d’hiver.
Des tambourins de glace cliquetante.
Je ferme les yeux.
Il y a un monde muet
il y a une fissure
où les morts passent la frontière
en cachette.
Funeste gondole (1996)
Tomas Tranströmer
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Sur l'oeuvre de T. Tranströmer, voir La Quinzaine littéraire
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