Au commencement il y a
le silence lettre muette
dans la nuit qui engendre les rêves
vagues de mots qui roulent leurs volutes
sans fin ni commencement
elle voit des cadratins à demi-mots
ferrés à gauche ferrés à droite
il faudrait avoir le courage
de se lever mettre la main
au clavier prendre des notes
demain il sera tard
elle se rendort sur sa pelote
laisse les fils se débrouiller
dans son sommeil
Au commencement il y a un rêve
rêve de chaleur nonchalante
veillées festives sous le tilleul
et les jeux des enfants
leurs rires en étoiles
pépites de bonheur cueillies
au creux des mains
S'en vient l'éveil brumeux et lent
s'envolute et s'enroule
une journée d'hiver affleure
glisse ses ondes sous le sommeil
les rugosités surgissent âpres
exigeantes sous la peau
bûches à rentrer avant la neige
ses longues heures de silence
immobile dans le ciel blanc
De quels commencements suis-je faite
chevauchements d'écailles
chevillées du jour à la nuit
et de la nuit au jour
par quels commencements
ouvrir la marche
de l'ailleurs et
du temps ?
Par les montagnes sans mémoire
à travers ciels sans limites
et souvenirs sans âge
visages sans regards
horizons sans nuages
routes et sentes
sans feu ni fin
ou bien
reprendre la page blanche et lisse
écrire la lumière pâle qui perce
à travers volets et lucarnes
se contenter de l'enchevêtrement
intime de la nuit avec le jour
dans la chaleur douillette de la chambre
au creux des livres qui sommeillent
ouvrir celui-ci ou celui-là plutôt
s'engager sur la voie des possibles
attendre que vienne le désir
Et si commencement et fin
n'étaient qu'un même entrelacement
de mailles l'une à l'autre tissées
réseau serré de points
un à l'envers un à l'endroit
qui démêlera les feuilles
soudées
de demain et d'hier
mille commencements identiques
étroitement serrés dans la régularité
des formes
imbriqués l'un dans l'autre
fil de tête et fil de fin.
Angèle Paoli (inédit)