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Le Scriptorium - Page 133

  • Quand parole et fruit se font rubis - Angèle Paoli

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    Le vent se lève   sur la vague   lave brûlante    chaleur de plomb    la mer lie de vin soulève sa houle jusqu’aux rives oubliées de Naxos    c’est là qu’ombrageuse   j’aborde aux noces folles de Bacchos    couchée à l’abri de la grotte marine    une ménade dort   lascive blancheur drapée nue de l’ivresse douce des sommeils de la chair  volupté tendre offerte à mes regards absents

     

    Une aiguière est levée en l’honneur des amours de Bacchos   son breuvage tremblé  bruit  clarté cristalline du gemme   les rires aux râles et aux ruts se mêlent corps vibrants pourpres d'incandescence sons de crotales de cymbales de flûtes folie canaille des bacchantes des silènes des boucs agités de grelots les faunes réjouis éructent une haleine fétide l’incarnat de leur bouche s'exalte des vapeurs hantées aux rictus des démons

     

    Une panthère  ocelles d’or  veille sur l’ivresse confuse des dieux  Hiératiquement

     

    De l’enchevêtrement  grappes de chairs avides de liesses éternelles  surgit dans l'incarnat pâlissant du visage  le souvenir encore vif de Bacchos  enfant rondeurs rubicondes  promises aux excès chaleureux de la vigne   odeur de feu qui rôde depuis l’aube autour du roc battu par la vague brûlante  je le vois qui offre son front torsadé pampres et vrilles et me tend bienveillant la coupe translucide calice de fruits mûrs qui scellera la liqueur de nos vœux 

     

    Je n’ai d’yeux désormais que pour les ciselures tendues à nos lèvres luisantes des rubis de la vigne   céderai-je lassée des pleurs versés pour toi Thésée aux enivrements promis par l'élixir divin  bouche entr’ouverte sur le désir   Bacchos déjà ferme les yeux sur l'ivresse prochaine  l'or du vin roule dans nos veines sang mêlé au sang immortel de la treille  ensemble nous rythmons nos sens enchevêtrés au thyrse de l'amour

     

    La mer lie de vin se retire enroulant de ses plis le tumulte des dieux

     

    L'île dérive ivre de ses sourdes détresses 

     

    L’antique bacchanale se noie dans ses brumes de feu.

     

     

     

     Angèle Paoli                   

     

     

     

     

     

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    • Le poème Libations de sang est paru dans la revue Siècle 21 (n°14 - Printemps-Été 2009, dossier "Le Vin", p.149)
    • voir aussi la revue Terres de femmes, pages consacrées à l'auteur.

     

     

  • Crossed Translations

    TRADUCTIONS CROISÉES               Morelle Smith / Dominique Sorrente 

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    Chester Morning Orchestra

                  

          

    A fringe of birds, high up on a beech tree,

    are pegging the leaves to the sky.

    The yawning sun, just risen,

    slips curtains of light between

    ceders and swarthy yew trees.

     

    The yellow beech leaves quiver.

    One jackdaw flies off.

    One rattles its wings,

    One hops to another branch.

     

    One yellow leaf falls, circles,

    spins down to earth.

    Hunched birds, waiting.

      

    The sun clambers through branches.

    Deft climber. Jackdaws shuffle their feet,

    shake the night from their wings.

    Then through the streets of pink stone and red brick,

    swings the sunlight.

    It riffles the spires of cathedral and church,

    like the strings of an instrument,

    tuning the morning.

    The jackdaws fly off, into song.

    soleil en feuilles.jpg

    Chester, l’orchestre du matin

     

     

    Une rangée d’oiseaux perchés tout en haut d’un hêtre,

    tels des épingles à linge

    accrochent les feuilles au ciel.

    Le soleil qui vient tout juste de se lever

    baîlle et glisse des rideaux de lumière

    entre les cèdres et les ifs sombres.

      

    Les feuilles jaunes des hêtres tressaillent.

    Un choucas s’envole.

    Un second ébroue ses ailes.

    Un troisième sautille jusqu’à une autre branche. 

      

    Une feuille jaune dessine des cercles en tombant,

    tournoie jusqu’au sol.

    Des oiseaux accroupis attendent leur tour.

      

    Le soleil se hisse à travers les branches,

    en grimpeur adroit.

    Des choucas traînent leurs pattes,

    secouent la nuit de dessus leurs ailes.

    Puis la lumière du soleil s’élance

    dans les rues, pierre rose, briques rouges.

    Elle parcourt les flèches des cathédrales et des églises

    comme les cordes d’un instrument,

    accordant le matin.

    Les choucas s’envolent dans leur chant.

     

     

     

    Mountain Road

     

     

    High up on the mountain road – or so I call it -

    its elevation on the map is one brown wiggly contour line -

    I see the reed-fringed water heading out to sea.

    Cicadas sizzle in the clumps of trees.

    Now and then a car goes past but mostly

    its just me and vineyards

    and a flat expanse in front of me,

    shimmering with heat.

    The landscape seems content

    to have the sky and dips of valley to itself.

    The grapes are dusty sea-blue,

    tightly bunched together.

     

    I pull four quinces from a tree

    and each one comes away with one small leaf.

    Yellow splashes bulge around their sides.

    I put them in my cloth bag, 

    feel their hard round shapes

    against my back as I ride home.mountain road.jpg

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    La route de montagne

      

    Là-haut, sur la route de montagne - c’est ainsi que je l’appelle -,

    son altitude sur la carte est figurée par une ligne marron tortueuse -

    Je vois la rivière bordée de roseaux qui s’en va

    se jeter dans la mer.

    Les cigales grésillent dans les bosquets d’arbres.

    De temps en temps, une voiture passe mais la plupart du temps,

    il n’y a que moi et les vignes

    et une étendue plate sous mes yeux qui miroite de chaleur.

    Le paysage semble satisfait

    d’avoir le ciel et le creux des vallées pour lui tout seul.

    Les raisins en grapppes compactes

    sont d’un bleu marine poussiéreux.

     

    Je cueille quatre coings sur un arbre

    et chacun se détache avec une petite feuille.

    Des taches jaunes forment saillie sur leur côté.

    Je les mets dans mon sac en toile,

    je serre leurs formes rondes et dures

    contre mon dos sur le chemin du retour en vélo.

     

     

    Traduction française Dominique Sorrente  

     

     

     

     

    * * * 

     

    Au nom de Sainte - Victoire

     

    Autrefois, trop longtemps,  j’habitais de saintes défaites,

    des gestes de beaux perdants, des promesses en écharpe

    où s’engloutir.

    Devant ma fenêtre, j’assistais aux défilés des victoires sans pitié,

    aux sacres impurs et fugitifs, serments d’imperfection drapée

    des gouverneurs portant médailles.

    J’amassais les refus aux formules mauves,

    me blessais d’empêchements, comme autant

    d’entailles anonymes sur la peau.

     

    Une fois, tout une nuit, j’ai guetté le loup blessé du rêve.

     

    Au petit matin, apparut une falaise primordiale inachevée.

     

    À présent, j’écris à l’interstice,

    entre le bruit du ciel et les occupations d’insectes.

     

    Mon rire d’aube accompagne la hâte du marcheur

    et le distrait de parfums de lenteurs,

    sans même qu’il le remarque.

     

    Je sais que la masse blanche peut enchanter un papillon.

     

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    In the name of  St. Victoire

     

    For too long in the past I lived with defeated saints

    with the gestures of beautiful losers, broken promises

    marking the place of their demise.

    In front of my window I watched the relentless stream of the successful,

    the rituals questionable, fleeting, the bright medals of the governers,

    their flawed pledges.

    I piled up the standard letters of rejection

    but each rebuffal left its mark on me like so many

    pinpricks on the skin.

     

    One time I was awake all night, on the lookout

    for the wounded wolf of dream.

     

    Then in the early light of dawn,  this ancient cliff appeared,

    rising  out of sight.

     

    And now I write in the small space

    between the sounds of sky and busy insects.

     

    My dawn laughter accompanies the fast-paced walker,

    perfumes distract him, slow him down

    without him even noticing.

     

    I know that the massive white rock can delight a butterfly.

     

     

                                                      *

     

     

    Balises pour un marcheur à distance

     

     

    On peut aimer ceux qui conquièrent et qui plantent leur pas

    sur le sommet. Ils vivent de prédications au goût de fièvre.

    Ils se dépensent en comptant. Ils franchissent.

     

    Marcher à distance est un autre exercice. 

    Comme on cherche son double, de l’autre côté de soi-même.

    Le regard scrute à contre-feux, les formes s’essaient à des poses

    comme des femmes à leur miroir. 

    Sur le versant d’en face, il est écrit :

    « prière  de ne pas intervenir ».

     

    C’est alors que tout peut commencer.

     

    Entre la montagne et vous, il y a plus qu’une saison d’ombre portée.

    D’ici, vous la voyez,  fausse immobile qui n’a de cesse.

    Vous comprenez un peu de son initiation par les troubles,

    par les éclats et comment on se livre

    à la merci  d’un paysage.

     

    Elle contient les eaux du beau vertige et son repos

    qui vous ignore à taille d’homme.

     

    Non vraiment, n’allez pas la tenter de vos pitiés

    quand votre vie est un animal pauvre…

    Elle ne demande pas qu’on y trouve refuge.

     

    Mais dans ses plis, s’il y a une ombre mise à mal,

    c’est à vos yeux qu’elle  accordera

    de l’effacer d’un nuage.

     

    Comme l’offrande d’un été retrouvé.

     

         ombre.jpg 

     

    Beacons for the Long Distance Hiker

     

    One can love those who conquer and who place their foot

    On the summit. They live by fire-licked sermons.

    They do not count the effort that they make. They win through.

     

    Long distance hiking is quite another practice.

    It’s like looking for your double on the other side of yourself.

    Peering downwind of the fire,

    Shapes strike poses

    Like women in front of a mirror.

    On the mountain’s other face is written

    “keep your distance”

     

    At that point anything can happen.

     

    Between you and the mountain there is more than one shadowy surface.

    From here, it looks as though it never ends, and its stillness is deceptive.

    You have some knowledge  of its lower slopes

    the rocky areas, the sudden brightness,

    and how one abandons oneself

    to the mercy of a landscape.

     

    Its fresh waters are inebriating and its deep peace

    Takes no notice of something as insignificant as man.

     

    So do not bring your woes to this place,

    When your life is such a wretched creature…

    The mountain doesn’t ask you to take refuge here.

     

    But if among its folds, there is just one misshapen shadow

     

    You will be granted this – the chance to make it disappear,

     

    Like the gift of a rediscovered summer.

     

     

     

                                           Translated in english by MORELLE SMITH

     

                               

  • Laurent Xavier Cabrol ~ Peindre le souffle

     

      

     

    ATELIER par vent de sud-est

     

     

    au peintre Laurent Xavier Cabrol,

    assidû maroufleur des signes

    au parc du Mugel

     

     

     

    colibriN.jpg Pour Préface

     

     

    D’une rive à l’autre, l’oiseau porte et ramène.

    Les signes et les noms, les promesses de nids.

    Il est celui qui  toujours relie.

     

    L’autre rive est là qui nous regarde et se laisse regarder. L’autre rive aux gestes indistincts,

    devant elle coule une mémoire de Gange avec

    ses rites très anciens.

     

    On la soupçonne peu.  Et pourtant elle s’offre, se laisse contempler.

     

    Et peu à peu, à l’aune de ses allers-retours, on découvre que la réalité la plus sûre n’est pas celle des exercices quotidiens, mais l’horizon  qui les visite.

     

     

    On se laisse entreprendre par ces signes revenus de séjours d'arrière-monde.   

    On pressent qu’ il y a un peintre qui nous ressemble à la frontière de la mer.

     

    En toute sympathie, j’ai mis  mes mots sur ce chemin qui  invite 

    à quitter l’atelier pour mieux y retourner.  

     

    DS 

     

     

     

     

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    Peintures Laurent Xavier Cabrol

             Textes Dominique Sorrente

     

     

     

     

     

     

    ABRUPT

     

     

    Ceci est un périple.

    La fortune de l’air orientait ce moment singulier.Abrupt.jpg

     

    Un passant

    par vent de sud-est

    est parti à l’intérieur du paysage

    pour loger ses commencements.

     

    Surgie au-devant de lui-même,

    une trace comme une avancée

    fut instruite.

     

    Dehors, un aplomb posé en mer

    se raconte muet  

    dans l’immobilité malmenée.

     

     

     

     

     

     

    FACE à FACE

     

     

    Je te vois sans te regarder. 

     Face à face.jpg

    De rayures en brisants,

    trait pour trait,

    c’est comme un rythme qui se cherche,

    l’apothéose

    quand elle se penche aux bords du vide.

     

    Mon front est de poudre rouge.

    De ma bouche ne reste qu’un morceau de langue.

    Dans l’ombre de la joue

    s’applique un noir qui ne m’appartient pas.

     

    Tu m’as nommé en masque,

    tu m’appelles en visage.

     

    Et toujours là, esprit sourcier,

    l’étreinte de cette nuit me creuse.

     

    En moi

      loge à demeure

      le blanc de tous les yeux du monde.

     

     

     

     

     

     

    DIALOGUE AU PREMIER JOUR

    Dialogue au premier jour.jpg

     

     

    Qui te donne de naître et renaître ?

     

    O si diffus,

    Si difficile à nommer, et pourtant de plain-pied

    te faisant signe dans la chambre.

     

    Par le bleuté du manque, 

    par la tension du geste en noir qui se prépare,

    un songe à deux versants

    scelle ta vie. 

     

    Ici, pour espérer, il suffit d'une naissance d'ailes.

     

     

     

     

     

    VIRGULE ROUGE

     

     

     

    virgule rouge.jpgHaltes, répétitions, percées.

     

    Puis vient l’heure

    où le tumulte nous déplace.

     

    Ce sont les temps qui jouent en plein été

    l’heure des dieux.

     

    Trois signes revenus d'un feu aboli

    ont pris leur place sans se parler.

     

    La solitude en majesté

    soudain

    forme ses initiales.

     

     

     

     

     

     

     Les toiles de Laurent Xavier Cabrol sont exposées

    à la Galerie Sordini à Marseille.

     

     

     

     

    Cabrol cadrant.jpgIl est né le 10 Août 1955 à Oppède Le Vieux.

    Études artistiques aux Beaux-Arts de Paris et d'Avignon.

    Vit et travaille aujourd'hui à Oppède le Vieux dans le Luberon ainsi qu'au parc du Mugel

    à La Ciotat (France).

     

    CABROL, ou les fulgurances des énergies.

    Construites comme des partitions de musique, les toiles de Cabrol en ont toutes les caractéristiques, des cadences aux harmonies colorées. Remarquablement équilibrées, souvent à la limite de la rupture, elles dégagent des dynamiques, hymnes aux forces vitales générant les énergies sous-tendant toute vie.

    C'est une immense plénitude qui se dégage de ces travaux, comme si notre regard s'attardait sur l'équilibre de la nature. Mais c'est, en toute certitude, que l'enfance de Cabrol s'est nourrie de la terre du Luberon, de ses perspectives contradictoires et pourtant si paisibles: paysages majestueux et vastes canyons torturés.

    Incontestablement, un esprit règne en maître sur les compositions du peintre qui nous fait, au détour de tel graphisme ou de telle eurythmie chromatique, quelques confidences codées : passion pour la méditation, rattachement à la mémoire, exaltation des mystères de l'intelligence et, peut-être paradoxalement, nécessité d'ordonner toute chose pour tendre vers l'inaccessible perfection.

    L'ivresse est au corps ce que la peinture est à l'imaginaire, nous dit Cabrol. Et, certainement aussi, ce qu'une de ses toiles est à notre regard.

    Gérard Blua