Fin du mois d'avril dernier. Une escouade de poètes du Scriptorium s'achemine vers la ville de Pistoia où leurs homologues toscans et la municipalité, en l'enceinte de la belle bibliothèque San Giorgio, leur réservent un accueil chaleureux. Trois jours durant, au rythme soutenu des différents temps de rencontre, les quatre poètes français, Dominique Sorrente, André Ughetto, Angèle Paoli et Olivier Bastide ainsi que leurs accompagnateurs Elena Berti, Yves Thomas et Valérie Brantôme, vont amorcer un parcours commun en poésie sous le signe de l'Europe en compagnie des poètes italiens Paolo Fabrizio Iacuzzi, Maura del Serra, Martha Canfield et Alessandro Ceni.
Au programme, conférence, ateliers de traduction, lectures en extérieur et à l'auditorium Tiziano Terzani de la bibliothèque, découvertes du patrimoine culturel.
Époque 1 : Tour de table dans la langue des poètes
Mercredi 22, jeudi 23 et vendredi 24 avril - Les Matinales à la « Saletta Bigongiari » : dédiée à l'illustre poète italien du même nom, cette salle de la bibliothèque héberge les 5000 ouvrages documentaires du Fonds Bigongiari rassemblés sous l'autorité de P.F. Iacuzzi ; elle sera le théâtre des ateliers de traduction poétique. Fruit de collaborations à la fois bilatérales et collectives, les poèmes objets des traductions * donnent lieu à des débats animés et pointent tout l'enjeu de la justesse de cette pratique de translation d'un idiome vers l'autre : coller au plus près du texte dans un souci de fidélité, adapter parfois jusqu'à réécrire dans sa langue, se fondre dans la peau du poète étranger pour retranscrire au mieux son style, tels sont les éléments qui ont nourri les échanges des participants assis autour de la table.
Quand la donne du jeu et la quête du sens se croisent puis se fécondent, l'aventure peut commencer. **
Le coeur devenu différent, l'esprit relié **, l'aventure continue...
Au retour, impressions et poèmes ont fleuri de part et d'autre dans le sillage des rencontres.
Face à face nos langues
au commerce de mots,
regarde au magasin
les réserves de sens,
pèse à leur trébuchet
le métal de syllabes,
choisis l’or des vocables
à leur fine musique.
Face à face nos corps
nos amours nos énigmes,
désir d’identité :
autrui est-il le même
ou suis-je singulier
derrière mes remparts ?
Les murailles du moi
rendraient vaines les flèches
dirigée vers les cœurs
que l’on voudrait gagner ?
Mais l’acte de traduire
et son vœu de séduire
rendent heureux le négoce :
du poème invité
à franchir les frontières
un luxe de paroles
différemment rythmées
ajoute d’autres moires
à son éclat premier !
André Ughetto
ATELIER 1
Ils ôtent un mot, puis l’autre, en déploient dix, monnaie d’échange,
forment rayures de tout cela. Ils se partagent à pleines dents
la phrase livrée du poème du jour, la placent sur le dos de la table
pour instruire leurs bricolages minutieux.
L’un s’aventure, l’autre retranche. La formule se cherche, pierre secrète
à frotter jusqu’au feu.
Ou bien non. Ils ne font que glisser dans le calque incertain,
porter l’empreinte à l’athanor.
Dans le peu à peu des propositions, passé les écueils et les manques,
le poème se dessinera au milieu d’eux
une manière double.
Une ressemblance équivoque qui, tour à tour, les inquiète, les réjouit.
ATELIER 2
En marge du désordre promis aux officiants, j’habite désormais
une vitrine sous laquelle je laisse les minutes m’envahir.
Lettre décachetée, je m’expose au temps qui posera ici ses yeux
en trait d’union.
Le déchiffrement d’un jour
qui a choisi de se poser sur cette aile fragile
me tient lieu de
plein exercice.
Qui croira que je saurai rester là dans cette enclave de bibliothèque
sans troubler les passants,
leur enseigner comment
attendre l’aube d’un jour de vie depuis longtemps déjà
révolu ?
ATELIER 3
Quelque chose s’entreprend qu’on ne sait dire.
Entre l’intime concision de quelques mots, tressés sur page,
et l’univers en extension des voix
qui se prolongent à l’infini.
Plus l’on fixe et plus l’on déploie. Leçon de la matinée.
Le poète présent regarde avec la curiosité d’un encore vivant
s’en aller son travail dans un autre berceau de langage.
Rappelle-moi qui je fus
quand le monde des regards multipliés
n’existait pas, dit-il, quand le monde de l’autre
se terrait encore dans son premier tremblement ?
Dominique Sorrente
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NB : * Les poèmes traduits lors des ateliers seront publiés dans son prochain numéro d'automne par la prestigieuse revue italienne de poésie comparée Semicerchio, partenaire des rencontres du jumelage poétique à Pistoia.
** Citations extraites de Parole première, texte fondateur du Scriptorium.
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