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PISTOIA : le temps du jumelage poétique II

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Époque 2  -   Lecture à ciel ouvert  

 

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  © Ph. Olivier Bastide

 

 

 

 

 

 

Place d'Armes et Forteresse Santa Barbara : quadrilatères approximatifs et jumeaux, dans le coin sud-est, à droite sur le plan.

Et là, surprise (pour moi qui m’en faisais une autre image) : ce que Piero Bigongiari nommait « Piazza d’Armi » est un jardin public tout arboré, rebaptisé « Piazza della Resistenza ». Déjà pendant l’enfance de Piero, quoique dépouillée de végétation, elle ne devait plus être tout à fait un terrain de manœuvres ou de parades militaires puisque des cirques y paradaient également qui venaient planter là leurs chapiteaux, comme le donne à penser « Stazione di Pistoia », troisième poème du recueil Le Mura di Pistoia. 

Navacchio où il est né, Pescia et Lucca, étapes de son grandissement. Pistoia : Piero a déjà onze ans quand sa famille emménage via del Vento, au centre ville, avant de s’installer, quelques années plus tard, dans un probable « logement de fonction » accordé à son père employé des chemins de fer. Les lourds convois ébranlent la maison implantée parmi les quais de la gare de marchandises. Un train un matin charriant des appels de bêtes se révèle transporter la ménagerie d’un cirque. L’enfant du poème s’imagine cerné par les tigres, un éléphant pousse sa trompe dans le ciel au-dessus des lilas à la limite du jardin : vision quelque peu surréelle, connectée avec le souvenir d’un autre cirque, hivernal, sur la Place d’Armes où nous arrivons.  

 

Nous pénétrons dans la forteresse, sous la pluie, encore toute mêlée de soleil. Bientôt l’orage interdira de lire ailleurs que sous les abris ménagés dans le chemin de ronde. Vu d’en haut, un bel espace herbu, surveillé par un seul arbre, m’a fait penser à l’édénique prairie que filmait Pasolini au tout début de son Œdipe-Roi.

Oui nous avons d’abord invoqué l’esprit de Piero en lisant de concert, Paolo en italien, moi en français, ce poème « Place d’Armes ». Encore retentit l’« aveugle hilarité » - que Piero avait sentie dans l’air de son temps - lorsqu’un coup de tonnerre, d’un proche et invisible héraut jupitérien, salue la fin de notre lecture.

 

Chacun à son tour aura son moment de gloire, soulignée par les flashes du cosmique orageux. Dominique Sorrente d’abord, le pilote de notre équipée : son « Dit de neige » est relayé en italien par Paolo Iacuzzi, lui-même proposant un extrait de son Patricidio. Giacomo Trinci, discret et pertinent, fait part d’un sien poème avant de nous communiquer une belle traduction personnelle d’une page des Tragiques d’Agrippa d’Aubigné.

 

Un peu plus loin, à l’abri d’une casemate, je présente des extraits de ma Rue de la forêt belle, puis le sonnet de Philippe Jaccottet, L’effacement soit ma façon de resplendir, dans la traduction italienne de Fabio Pusterla. Maura del Serra parle à ma suite. Son Opera del vento souligne le jeu des éléments.

La pluie ne s’est pas arrêtée, qui nous fait gagner rapidement un préau construit sur un large rempart, puis rester, comme des stoïciens, sous le portique où nous entendrons successivement la sextine composée par Angèle Paoli, selon les règles observées chez le troubadour Arnaut Daniel, des fragments du Dopoguerra delle vertebre de Massimo Baldi (jeune poète et chercheur, travaillant sur Celan), le Matamore sous l’étoile d’Olivier Bastide (traduit par Elena Berti), puis un hommage à Char au travers d’un choix d’aphorismes. Enfin il tombe des hallebardes – c’est bien le moins que le ciel pouvait jeter sur la forteresse pour nous prouver la qualité de la bâtisse !– lorsque Martha Canfield  puis Martino Baldi déploient leur talent oratoire devant le rideau scintillant qui les éclabousse. Martino nous fait beaucoup rire avec un poème adapté de Prévert.

Fin de la manifestation. Les nuages se dissipent en même temps que les spectateurs. Je dirai une autre fois les merveilles trop vite vues dans la demi-journée précédant notre départ.

 

 

André Ughetto

 

 

 

 

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Langues de souffle et vie

 

 

Il y eut l’intensité des mots souffles de double vie

Il y eut la table des échanges

les repas partagés

Il y eut bien avant

toi et moi

mes premiers pas dans ces rues

le vent dans la rue bien nommée

Il y eut un poète

bâtisseur de remparts et de gares

Il y eut Naples

Il y eut Paolo

Il y eut le bonheur d’être en

fraternelle contrée en

pointilleux dilemmes

de jeux de joutes

de mots en échos sous l’orage

Il y eut les Pomone

Il y eut un autre tricolore

Il y eut Noël

en avril

Il y eut l’amitié

le creuset de poèmes

en double-dire

 

Il y a

toi

et moi

nos voix qui s’accompagnent

 

 

 

Olivier Bastide 

   

 

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D’un point à l’autre, les poèmes appellent sur eux l’écorce de l’orage.

 

Un peuple de confidents s’invente la loi des haltes sans retour

sur le chemin de ronde du moment.

 

À ciel fermé, les briques stoïques se laissent faire,

tandis que les mots crachés au micro tentent de reprendre la main.

 

J’observe les derniers soubresauts du printemps,

sa hargne pour sortir de ces murs,

sa façon de recevoir le dialogue improbable

que font les mots et des éclairs.

 

À ciel ouvert,

une solitude gorgée de vert est le récit du contrebas.

 

 

 

Dominique Sorrente

 

 

 

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— Poésie —

 

Mots de passion et mots de lave dissous délavés défeuillés

                                                tenus serrés dans les réticules de pluie

orage de mots crépitant sous la foudre vaticinations de feu lancées

par-delà les remparts

— labyrinthe noyé —

flots de feuillages noirs ondoyants de lumière fauve

 

Je marche clapotis de pas

— rivée à la parole autre —

visages offerts à la lenteur de l’air

 

 

 

— Voix —

 

éclairs d’échos hissés de lointains intérieurs

cheminements des mots au long de berges sans mémoire

passé aveugle des remparts de Pistoia

j’aborde aux temps égarés de nos voix

stries d’éclairs de grondements tambours de pas incertains

                         feuillages noirs écumant leur colère au large

des mots clairs

 

la pluie volutes de notes enveloppe les rythmes

scande le temps

les voix phylactères ténus déroulent d’invisibles anneaux

 

mots sous la pluie.

 

 

Angèle Paoli

 

 

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Commentaires

  • C'est une émotion véritable qui vient par ces évocations. Dominique pourrait nous dire si jamais le Scriptorium fut déjà un tel creuset de rencontres. En tous les cas, l'aventure est belle et je souscris à ses lendemains. Merci à nous tous !

  • Merci Olivier de rappeler que le creuset de rencontres est le rêve poursuivi,
    d'une aventure à l'autre, dans les actes du Scriptorium depuis le début. Dans sa figure native de sémaphore et ses fragiles intermittences qui nous rapprochent.
    Le travail de mémoire, si bien réuni par Valérie, est un temps indispensable pour faire sentir cela, et les contributions de chacun, et l'ordonnancement de l'ensemble.
    Ta souscription aux lendemains me fait ôter mon chapeau ! Des présences vouées comme la tienne ou celle d'Elena déterrent l'ardeur à vivre, mots en joue. Dominique

  • BABILLAGE INSTANTANE

    Présent d'une lame double
    Taillée dans un rocher
    Jamais plus haut qu'un murmure
    Qui tranche dans la soie

    Présent sans dire un mot
    Au signifiant sans égal
    L'intensité de la caresse
    Qui défigure les averses

    Présent d'un vieux prématuré
    Qui redevient l'enfant
    Qu'il est toujours
    Sans qu'il ne sache pourquoi


    UN VERT FAUVE

    Il en va des mots
    Comme des éclairs
    Il font rendre gorge
    Quand la main insolente
    Qui tient la foudre
    N'est pas bridée
    Par les laisses chevelues
    De la propriété

    Il en va des éclairs
    Comme des chevaux
    Ils mangent dans la main
    Qui délivrent les coups
    Que le tonnerre s'amuse
    A fredonner dans l'instance
    Des méridiens cardinaux

    Il en va des chevaux
    Comme d'une horde sauvage
    Sous laquelle les héros
    Rejouent la fille de l'air
    Tatouée au creux des reins
    Comme une langue de soie
    Au parfum sans issue
    Autre qu'un sourire charmant

    STURM UND DRANG

    Panzerfaust à la main
    Des grenadiers sans loi
    Parsèment de buissons
    Les allégories printanières
    Cueillant des fleurs de napalm
    En riant de la mort
    Que leurs faux assoiffées
    Font jaillir en plein ciel

    La voix de la poésie
    Comme un pléonasme sans scrupule
    Eradique d'un revers de fortune
    Tout autre goût que la gentiane
    Sucre moelleux du génocide
    Inventé par l'altérité
    Sans aucune forme de procès

    Donne-moi donc des tempêtes
    Qui sonnent aussi fort
    Que la caresse d'un vent chaud
    Sur les blés mûrs
    De l'hiver des sagas
    Quand les Vikings se retournent
    Au beau milieu de Ragnarök

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