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Les feuillets de poésie - Page 2

  • De ce silence de deux ans

     

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                                                                           à Patricia, disparue le 17 octobre 2011

     

     

    De ce silence de deux ans

    revient

    la porte à peine poussée,

    tout ce qui vole en éclats,

    soudain le sol

    à quelques mètres du ciel,

    et les doigts de sorcière mouillés

    qui s’agrippent au souvenir,

    et le vertige de l’autre temps,

    flaque inversée

    qui nous sourit.

     

    Désormais, puisque les branches

    ont des petites ailes,

    tu peux aller partout,

    de siècle en siècle,

    de gravier en gravier,

    avec grappes d’enfants ou bien seule,

    et aussi nous tenir en veille

    comme nous ne le savons pas,

    îles en fuite

    promises à l’inventaire du vent.

     

    Désormais, quand tu souris,

    lestée par le secret des feuilles,

    j’ai la manie

    de nous croire en voyage

    avec le laisser-passer de ce jour.



                           Dominique Sorrente


     

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  • Geneviève Liautard ~ Le champ d'écume

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     © Photo Hugo Colares Pinto

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    De la mer à la mer
    tu as bâti ta maison
    entre deux rivages

    Tu t'y sens à l'étroit
    repousses les limites 
    avec tes maigres bras

    Tu attends que le flot t'emporte
    vers cette lumière
    prépares le cri
    qui fendra l'univers
    et placera le temps au premier jour

     

    Regarde ce qui creuse la confiance
    en amont des chutes

    Sens tous ces corps que tu habites
    et prends la mesure
    de cette nouvelle demeure

    Espérer dans l'ardeur du commencement
    que ce feu nous hisse chaque fois plus haut
    sur l'échelle de notre commune présence

     

    Faire l'expérience du sable et du vent
    Refaire inlassablement le sillon
    Ajouter à chaque tentative un peu plus de poids

     

    Geneviève Liautard, extrait de Le Champ d'écume
    La Bartavelle éditeur, coll. Modernités, 2011 

  • Pierre-Albert Jourdan ~ Ébauche d'un paradis perdu

    Très loin, le craquement d'une écorce. Un arbre qui étouffe.


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    Il faut grandir. Les rêves sont prohibés. L'immémorial été a franchi les colonnes de la terre. Les saisons neuves déjà se bousculent et plantent leurs blasons. Et cette route infatigable passe par leur corps. Et ils se savent dans le sommeil liés à ce corps délirant, ils n'ont que lui comme miroir. La grande table de la terre !

    Il faut grandir ; ils grandissent, mêlés aux touffes de thym, aux romarins vibrants, aux fleurs brutales des grenadiers. Membres épars dans ce massacre, ils savent les liens. Ils se fortifient d'absence. (Les rides sont le langage du dieu).

    Il faut grandir encore mais déjà, comme un enfant émerveillé lance les dés, l'aube roule sur les collines. Il y a dans leurs muscles, au réveil, la trace d'un chemin inconnu.

    Qu'ils partent ! Qu'ils soulèvent la poussière ! Ô, qu'ils partent et que la poussière se tasse sur leur chemin, que la poussière leur soit douce !

     

    *

     

    L'homme s'éveille avec peine de cette longue nuit. Il s'arrache aux liens tissés. Il le croit. Il secoue sa compagne, comme si la prière de l'aube résonnait encore dans sa tête. Partir ! Mais il contemple ce corps allongé près de lui. Il lèche cette chair endormie. La chaleur monte dans ses reins. Et le désir s'échappe, glisse dans les terres, frappe l'ombre miroitante et se love dans les collines. Il gonfle la pâte des nuages, étoffe les feuillages, leur donne odeur puissante. Il entaille la terre, l'ouvre aux semences.

    L'homme et la femme marchent d'un même pas. La tâche n'est pas remplie, vide est encore l'horizon qu'ils ne foulent pas. Il faut donner un nom à cette beauté éparse, la convaincre d'exister.

    Ils franchissent des terres innombrables. Veulent-ils oublier ce lieu sauvage d'éblouissement et de terreurs ? Peuvent-ils fuir ? Ils ne fuient pas. Ils sont ces étranges intercesseurs sans rien connaître de la nécessité qui les porte. Ils longent de grandes étendues et la fatigue voilent leurs yeux. Depuis combien de jours déjà ?

    Parfois comme une voix semble raser l'herbe nouvelle : de frêles tiges de sauterelles où bleuissent de petites mousses ; des plaques rousses sur le sol craquelé, l'étendue passionnément grise. Une voix, oui, qui froisse de longues tiges noires et jaunes et d'un duvet la caresse soyeuse, petites crinières de vent.

    Et le vent est partout.

    Ils s'arrêtent, se logent dans cet abri. Des oiseaux blancs aux longues pattes d'or dessinent les étoiles d'un ciel commun.

    [...]

     

    Pierre-Albert Jourdan, extrait de Ébauche d'un paradis perdu,

    Le bonjour et l'adieu, Mercure de France,1991, pp.275-276