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Le Scriptorium - Page 73

  • JEAN-MARIE PELT la passion de la terre en héritage (1933-2015)

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     Octobre 1977. Collège d’Europe de Bruges.

    L’homme qui est devant nous n’enseigne pas comme les autres. Il repousse les murs, il invente des fenêtres, il raconte comme je ne l’avais jamais entendu le dialogue entre l’arbre et le nuage. Soudain les discours ambiants de mes années universitaires de sciences politiques et économiques prennent un coup de vieux salutaire. Le poète qui réclamait en moi de scruter autrement le réel tend à nouveau l’oreille. Le monde, tout d’un coup, s’enrichit d’une compréhension nouvelle ; la science économique trouve le terreau qui lui manquait, une réalité nourricière qui lui donne sens.

     

    Je découvre l’écologie, danse des systèmes.

    J’apprends cette évidence : l’homme a débarqué sur la lune, il y a huit ans à peine, oui, mais il en est revenu. Et après ? Plus que jamais c’est la terre qui nous appelle à prendre soin d’elle.

    Le réel est infiniment plus intelligent qu’on nous l’enseignait ailleurs dans les cours ordinaires et sans âme. Pour un jeune poète qui remue son tohu-bohu intuitif, sans trop d’écho, voilà l’aubaine : une présence alliée dans le champ académique.

     

    Celui qui anime cette conscience-là a le verbe généreux, enthousiaste, drôle. Sa silhouette est massive, mais pas intimidante. Sous ses lunettes, la malice est en état d’alerte permanente. Dès la première rencontre, nous sommes un groupe d’étudiants de toutes nationalités à prendre spontanément Jean-Marie Pelt sous notre coupe, à l’inviter à prolonger le cours dans notre résidence étudiante de Jorisstraat pour la soirée. L’audace ne se monnaie pas dans cette jeunesse avide de comprendre ce que nous dit la terre ; elle s’est trouvé ici un singulier intercesseur pour nous parler d’elle.

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    Dès le premier cours, une amitié est née. C’est décidé : avec ce maître-éclaireur, nous partons « refaire le monde ».

     

    La déferlante des questions, le bonheur des entretiens, les retrouvailles suivront, avec le rire toujours à l’affût.

    Et des pages, et des pages pour la suite des années.

     

    Et toujours en mémoire, ce jour d’examen-conversation

    hors du temps avec les oranges partagées.

     

    À Jean-Marie Pelt, je dédie ces mots d’un livre « C’est bien ici la terre » (MLD éditions) dont il m’avait offert en toute amitié d’écrire la préface en octobre 2011. Puissent ces quelques mots posés en forme de stèle le rejoindre, l’accompagner à la merci des vents:

     

    Alors le secret m’a accordé ce quelque chose

    que je ne saurai dire

    autrement qu’en murmure.

     

    Sur ma peau, en écriture sympathique, il est écrit :

    « je suis l’autre rebord du monde

    et je t’attends ».

     

                                             Dominique Sorrente

     

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     Jean-Marie Pelt, écrivain, botaniste, pharmacien, biologiste, précurseur de l'écologie urbaine, est décédé le 23 décembre 2015

  • ACCORDEZ ON : la fabrique du livre à plusieurs mains

     

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       Sarrians, Vaucluse. Grisaille sur la saison. Temps propice pour une journée d’atelier dans les règles de l’art.

     

       Pour ses quinze ans, le Scriptorium a choisi de créer un poème à plusieurs mains. Créer dans toute l’acception du terme. Des phrases jaillies, agencées, mises en relation d’un poète à l’autre (première phase) jusqu’à la conception d’un objet-livre, sous la forme accordéon (deuxième phase) puis sa mise en espace et voix qui suivra (troisième phase).

     

       Le poème collectif est né il y a six mois : onze signatures mêlées en un texte commun.  Ce 5 décembre est le temps fort de la fabrication.

     

       Huit participants, quatre auteurs/quatre lecteurs, quatre femmes/quatre hommes, sont là. Parités remarquables...

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       Pour la plupart, c’est une première. Passer de l’autre côté du livre-objet, non celui des yeux qui lisent, mais celui du geste qui fabrique et façonne. En procédant à chaque étape de ce parcours. Tel est le défi. Il règne une atmosphère de rentrée des classes avec le lot de fournitures à déposer sur la table et les consignes minutieuses que prodigue le maître de cérémonie du jour, Henri Tramoy. Le projet a exigé de longs préparatifs. La forme du livre, les proportions, les modes de pliage, la solidité de l’objet, les écueils possibles, les réactions des matériaux, sans oublier l’ISBN et le dépôt légal…

     

       Et voilà les instructions qui commandent aux mains. Les moments se succèdent : fabriquer, découper, passer le papier de verre sur les bords des cartons, casser les biseaux, sculpter les angles, glisser les pinceaux pour l’encollage, fixer et ajuster les pages, tourner et serrer la presse, laisser se détendre les pages…

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       Aristote est appelé à la rescousse : « Rien de trop ! »

    « Rien de trop peu » ajoute un participant qui, en tirant la langue, passe sa couche de colle au pinceau-brosse.

     

    Les gestes, maladroits, patauds, apprennent à se trouver. Et parfois à se souvenir du temps jadis des travaux manuels à l’école de l’enfance. Passer la colle, former un pli, presser avec le gras du pouce : délicieuses évidences oubliées…

     

       La poésie s’invite aussi dans ces gestes méticuleux.

    Tailler les bords en demi-lunes…

    Disposer la macule sous la page…

     

       L’économie aussi : « Vous noterez qu’on augmente le produit intérieur brut aujourd’hui ». « 50 exemplaires : tout un monde de rareté… »

     

       Les élèves du jour s’appliquent, se trompent, corrigent ou… se font corriger. Coups d’éponge, reprise d’alignement, mis en corbeille parfois. On apprend par l’exemple, on s’exerce, on râle, on s’étonne, on se réjouit.

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       La journée tourne avec, à peine, le temps d’un repas tartiflette et d’un gâteau au chocolat de la boulangerie voisine. Un repas…sur le pouce, avec célébration trinquée qui s’impose : quinze ans en rouge du pays du Ventoux.

     

       Huit heures en déroulé pour les « horribles travailleurs », sans la moindre promenade (on découpera les Dentelles de Montmirail, à la marche, une autre fois), et tout au bout du jour, les premiers exemplaires sont là. Posés en nouveaux-nés sur une table dans leur forme guirlande qui s’étire, se contracte, se lit sur les deux faces. Sous les élastiques argentés au parfum de cadeau de Noël, ça semble tenir. Ça tiendra.

     

       Le livre-poème est né entre les mains des artisans du jour.

     

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       « Et s’il y a des imperfections, ça montrera que ça a été fait par des mains humaines » chuchote une voix prévoyante.

     

       Le poème écrit à plusieurs mains s’appelle : ACORDEZ ON. Les « je » de l’atelier ont trouvé ensemble le tempo.

     

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       Il y a désormais comme un secret de valse à déplier : ce sera la tâche des scripteurs, dans leurs lectures chorus, en 2016.

       Pour vous, plus que jamais « poètes de la coïncidence », une autre époque à vivre, si le cœur vous en dit…

     

                                                                            D.S.

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    Le livre « Accordez On » (tirage limité à 50 exemplaires) sera disponible sur demande motivée auprès de Dominique Sorrente à partir du 1 janvier 2016. Il sera transmis de la main à la main soit en produit fini soit en éléments à relier, selon l’état du stock disponible. Le tarif indicatif est de 10 euros. Les ventes doivent permettre de couvrir les frais engagés et faciliter l’organisation des lectures publiques ultérieures.

     

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  • CETTE MINUTE DE SILENCE

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    Il n’y a plus de match France-Allemagne qui tienne,

    plus de concert des aigles du métal mort,

    plus de tournée à offrir au Café de la Belle Équipe,

    ni de bière à siroter dans la salle du Carillon

    ni de commandes pour un dessert au Petit Cambodge.

     

    Il n’y a plus

    de chaussures à talons pour battre le pavé,

    de paquets-cadeaux à préparer

    avant le passage en caisse,

    plus de devantures à lécher des yeux,

    plus de billet de loto

    à rapporter pour le vendredi jour de chance.

     

    Il n’y a plus de déflagrations

    pour trouer les ciels, un à un,

    plus de corps qui tremblent parterre et tentent de ramper

    hors de la scène,

    ou disparaître en fœtus d’oubli sous les rideaux.

     

    Plus de ces cris jetés,

    hoquets d’artères, appels en miettes,

    hors de la boîte à paniques, hors du coffre aux terreurs.

     

    Hier se raconte soudain en conte de fée oublié

    barré d’une croix rouge.

    On a déposé les photos des jours heureux

    en icônes improvisées sur les rebords de nuit.

     

    Maintenant, c’est l’âge du creux, la cérémonie de la faille.

    Deux passants, droit debout,

    absents du temps,

    main dans la main écoutent

    le glas qui tombe en avalanche d’une cloche à l’autre,

    déposant devant eux

    toutes le guerres du monde.

     

    Maintenant, c’est le signe de la pitié,

    bougies et armes blanches,

    qui descend en poudre sur les fronts.

     

    Maintenant, il y a au milieu du tamponnage des bruits,

    des instants routiniers qui vaquent à leurs occupations,

    commentaires en boucles d’images

    et jacassements qui reprennent déjà,

    il y a

    le temps du roulement dans les feuilles d’automne

    qu’une enfant de quatre ans

    lève à pleines brassées.

     

    Maintenant, il y a

    le suspens de vivre,

    l’autre porte de la mer qui s’ouvre,

    la trajectoire sans fin.

     

    Cette minute de silence qui cogne,

    cogne aux tympans.

     

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                                                       Dominique Sorrente

     

                                                                        Strasbourg-Paris-Marseille

                                                                            ce 16 novembre 2015