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Le Scriptorium - Page 72

  • ACCORDEZ ON : la fabrique du livre à plusieurs mains

     

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       Sarrians, Vaucluse. Grisaille sur la saison. Temps propice pour une journée d’atelier dans les règles de l’art.

     

       Pour ses quinze ans, le Scriptorium a choisi de créer un poème à plusieurs mains. Créer dans toute l’acception du terme. Des phrases jaillies, agencées, mises en relation d’un poète à l’autre (première phase) jusqu’à la conception d’un objet-livre, sous la forme accordéon (deuxième phase) puis sa mise en espace et voix qui suivra (troisième phase).

     

       Le poème collectif est né il y a six mois : onze signatures mêlées en un texte commun.  Ce 5 décembre est le temps fort de la fabrication.

     

       Huit participants, quatre auteurs/quatre lecteurs, quatre femmes/quatre hommes, sont là. Parités remarquables...

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       Pour la plupart, c’est une première. Passer de l’autre côté du livre-objet, non celui des yeux qui lisent, mais celui du geste qui fabrique et façonne. En procédant à chaque étape de ce parcours. Tel est le défi. Il règne une atmosphère de rentrée des classes avec le lot de fournitures à déposer sur la table et les consignes minutieuses que prodigue le maître de cérémonie du jour, Henri Tramoy. Le projet a exigé de longs préparatifs. La forme du livre, les proportions, les modes de pliage, la solidité de l’objet, les écueils possibles, les réactions des matériaux, sans oublier l’ISBN et le dépôt légal…

     

       Et voilà les instructions qui commandent aux mains. Les moments se succèdent : fabriquer, découper, passer le papier de verre sur les bords des cartons, casser les biseaux, sculpter les angles, glisser les pinceaux pour l’encollage, fixer et ajuster les pages, tourner et serrer la presse, laisser se détendre les pages…

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       Aristote est appelé à la rescousse : « Rien de trop ! »

    « Rien de trop peu » ajoute un participant qui, en tirant la langue, passe sa couche de colle au pinceau-brosse.

     

    Les gestes, maladroits, patauds, apprennent à se trouver. Et parfois à se souvenir du temps jadis des travaux manuels à l’école de l’enfance. Passer la colle, former un pli, presser avec le gras du pouce : délicieuses évidences oubliées…

     

       La poésie s’invite aussi dans ces gestes méticuleux.

    Tailler les bords en demi-lunes…

    Disposer la macule sous la page…

     

       L’économie aussi : « Vous noterez qu’on augmente le produit intérieur brut aujourd’hui ». « 50 exemplaires : tout un monde de rareté… »

     

       Les élèves du jour s’appliquent, se trompent, corrigent ou… se font corriger. Coups d’éponge, reprise d’alignement, mis en corbeille parfois. On apprend par l’exemple, on s’exerce, on râle, on s’étonne, on se réjouit.

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       La journée tourne avec, à peine, le temps d’un repas tartiflette et d’un gâteau au chocolat de la boulangerie voisine. Un repas…sur le pouce, avec célébration trinquée qui s’impose : quinze ans en rouge du pays du Ventoux.

     

       Huit heures en déroulé pour les « horribles travailleurs », sans la moindre promenade (on découpera les Dentelles de Montmirail, à la marche, une autre fois), et tout au bout du jour, les premiers exemplaires sont là. Posés en nouveaux-nés sur une table dans leur forme guirlande qui s’étire, se contracte, se lit sur les deux faces. Sous les élastiques argentés au parfum de cadeau de Noël, ça semble tenir. Ça tiendra.

     

       Le livre-poème est né entre les mains des artisans du jour.

     

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       « Et s’il y a des imperfections, ça montrera que ça a été fait par des mains humaines » chuchote une voix prévoyante.

     

       Le poème écrit à plusieurs mains s’appelle : ACORDEZ ON. Les « je » de l’atelier ont trouvé ensemble le tempo.

     

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       Il y a désormais comme un secret de valse à déplier : ce sera la tâche des scripteurs, dans leurs lectures chorus, en 2016.

       Pour vous, plus que jamais « poètes de la coïncidence », une autre époque à vivre, si le cœur vous en dit…

     

                                                                            D.S.

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    Le livre « Accordez On » (tirage limité à 50 exemplaires) sera disponible sur demande motivée auprès de Dominique Sorrente à partir du 1 janvier 2016. Il sera transmis de la main à la main soit en produit fini soit en éléments à relier, selon l’état du stock disponible. Le tarif indicatif est de 10 euros. Les ventes doivent permettre de couvrir les frais engagés et faciliter l’organisation des lectures publiques ultérieures.

     

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  • CETTE MINUTE DE SILENCE

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    Il n’y a plus de match France-Allemagne qui tienne,

    plus de concert des aigles du métal mort,

    plus de tournée à offrir au Café de la Belle Équipe,

    ni de bière à siroter dans la salle du Carillon

    ni de commandes pour un dessert au Petit Cambodge.

     

    Il n’y a plus

    de chaussures à talons pour battre le pavé,

    de paquets-cadeaux à préparer

    avant le passage en caisse,

    plus de devantures à lécher des yeux,

    plus de billet de loto

    à rapporter pour le vendredi jour de chance.

     

    Il n’y a plus de déflagrations

    pour trouer les ciels, un à un,

    plus de corps qui tremblent parterre et tentent de ramper

    hors de la scène,

    ou disparaître en fœtus d’oubli sous les rideaux.

     

    Plus de ces cris jetés,

    hoquets d’artères, appels en miettes,

    hors de la boîte à paniques, hors du coffre aux terreurs.

     

    Hier se raconte soudain en conte de fée oublié

    barré d’une croix rouge.

    On a déposé les photos des jours heureux

    en icônes improvisées sur les rebords de nuit.

     

    Maintenant, c’est l’âge du creux, la cérémonie de la faille.

    Deux passants, droit debout,

    absents du temps,

    main dans la main écoutent

    le glas qui tombe en avalanche d’une cloche à l’autre,

    déposant devant eux

    toutes le guerres du monde.

     

    Maintenant, c’est le signe de la pitié,

    bougies et armes blanches,

    qui descend en poudre sur les fronts.

     

    Maintenant, il y a au milieu du tamponnage des bruits,

    des instants routiniers qui vaquent à leurs occupations,

    commentaires en boucles d’images

    et jacassements qui reprennent déjà,

    il y a

    le temps du roulement dans les feuilles d’automne

    qu’une enfant de quatre ans

    lève à pleines brassées.

     

    Maintenant, il y a

    le suspens de vivre,

    l’autre porte de la mer qui s’ouvre,

    la trajectoire sans fin.

     

    Cette minute de silence qui cogne,

    cogne aux tympans.

     

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                                                       Dominique Sorrente

     

                                                                        Strasbourg-Paris-Marseille

                                                                            ce 16 novembre 2015

     

                                                

  • DES MOTS ENTRE LES GOUTTES, À LA VALLÉE DE SAINT-PONS

     

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    « Info météo : ici c’est le déluge ». Le sms du matin balance son sac de doutes. Mais non, on ne va pas annuler ce premier pique-nique avec ses phrases d’automne dans la vallée de Saint-Pons, près de Gémenos. Les voitures sont prêtes, et les lectures, et le parcours, et les vivres à tirer des sacs, et les feuilles ocre sur la promenade. On parie sur l’accalmie du gris, les humeurs des micro-climats. On ne demande rien d’autre que de pouvoir mêler les mots et les mets, pleine nature.

     Les scripteurs, participants d’un jour ou fidèles praticiens de nos expériences de poésie partagée sont une quinzaine à défier la grisaille du ciel. Ils ont bien raison. Une petite marche jusqu'au bivouac: la cérémonie peut s’ouvrir. Dégustation. On prend la parole, commencement timide, autour de la table de bois, puis plus haut au bord de la rivière, et encore sur le flanc de l’abbaye cistercienne. Queneau, avec ses expressions de gourmandise, écoute Erri di Luca dans la défense du mot « sabotage », le récit d’une fête de la solidarité dans la Crau croise la mémoire d’une parole d’ingénieur, les questions tournent autour de l’éclatement des mondes verbaux dans notre époque.

    table victuailles.jpgOn se reprend à marcher, à grimper en douceur vers la source. Elena nous convainc que le poème peut aussi se danser. Il y a une nouvelle halte à trouver pour cette petite troupe qui progresse jusqu’au monastère. Le dialogue du « je » et du « tu » est notre refrain choisi, auquel répond un étrange hérisson mutant sorti pour la fin du monde. Les pique-nique ont leur part d’insaisissable… Contre  la pierre de l’abbaye, une famille vietnamienne élargit notre assistance, écoute nos prises de paroles comme on cueille des fruits de saison.

    Une voix fredonne les trois mots de Jean-Roger Caussimon

    J’ai rayé de mon vocabulaire
    Trois mots qui me faisaient la loi :
    « Autrefois » , « Jadis » et « Naguère »

     

    Un homme s’approche, nous annonce qu’il est « le retardataire ». Il détient les clés de l’abbaye. Il nous annonce que nous n’y entrerons que si nous connaissons le nom de cet arbre qui étend ses branches nues devant nous. C’est un charme et il sait opérer.

     

    Le veilleur (à d’autres heures, garde forestier à cheval) nous dit qu’il ne laisse pénétrer dans cette demeure que les gens motivés et les poètes. Nous a-t-il reconnus ?  Privilège du moment, là, derrière la nef, après le cloitre, tout en haut sous les dernières arcades, le…scriptorium.

     Nous sommes dans notre élément, copistes de l’instant.

    Seuls et côte à côte. Mêlant notre minuscule récit groupé à celui des pierres vénérables. Et nous nous redisons les formules de la sagesse reçue en ce lieu :

    « Hier raconte une histoire. Demain demeure un mystère. Aujourd’hui seul est un cadeau. »

     Dans cette vallée de Saint-Pons, on a lâché des conversations furtives, accompagné des tremblements  de voix. Sans préséances, sans signaux de distinction. Avec cette part d’humilité retrouvée qui fait signe au pied des arbres centenaires.

     Les pique-niqueurs auront aussi appris que deux parapluies magiques suffisent parfois à écarter la pluie.

     En aparté, un dyslexique a avoué que le nom de Scriptorium était pour lui imprononçable. Peut-être est-ce parce qu’il est la patrie toujours nomade des « poètes de la coïncidence ».

     

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