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Le Scriptorium - Page 138

  • Variations sur le JE - Laurence Verrey

     

     

    On connaissait Laurence Verrey poète, sa passion originelle pour l’univers de la musique, ses façons de donner de l’ardeur et de la rythmique aux mots, de mettre en appel une voix qui traverse de plain pied et la terre et le ciel, comme dans Pour un Visage (Éd. L’Aire, 2003) ou Vous nommerez le jour (Samizdat, 2005). On la découvre ici en tenue de prose, avec un réel bonheur, livrant une suite de textes brefs, dits « proses libres » qui ne sont ni chroniques, ni nouvelles, et savent avec malice et élégance  échapper aux classifications courantes. Chaque prose est comme une partition, sans rien qui pèse, choisissant une clef particulière, un angle d’attaque spécifique pour offrir un aperçu signifiant de l’espace humain et de la démarche littéraire de  l’auteur qui ici, plus encore qu’ailleurs, vivent de concert.

    Oui, comme l’annonce justement Laurence Verrey en préface, c’est une « foule de présences » qui vivent dans ces pages sachant jouer de tous les registres, graves et souriants, instruits ou naturels, toujours généreux et attentifs à cet autre qu’elle rencontre dans son  jardin comme au bout du monde. Alors des formules étincelantes viennent se poser parmi nous, comme celle-là : « Les graveurs de blé. On les appelle aussi poètes de l’invisible ».

    Et l’on saute d’une lecture à l’autre comme d’une pierre de ruisseau à la suivante, en prenant le temps du plaisir.

     

    « Une brève transe de cailloux » est un ensemble remarquablement minutieux, qui témoigne d’une vigilance à l’égard du monde qui ne se dément jamais, avec de belles percées d’humour, des digressions de connaissance, un amour de la création et de profonds questionnements. Voilà pourquoi ce livre ajoute à l’œuvre de ce poète de tout premier plan dans le monde de la Suisse romande contemporaine ; il témoigne de ces variations sur le Je si contemporaines qui éclaireront le lecteur. Il signe une indéniable maturité d’écriture.

    Il convient également de saluer le travail remarquable de l’éditeur, L’Aire, un de ces rares éditeurs à offrir des livres dont on coupe les pages au coupe-papier, pour mieux en goûter la saveur.

     

    Hommage appuyé ici à ces amis des mots du « pays de lenteur » dont notre hâte d’hydrogène n’a pas fini d’apprendre les leçons.

     

     

     

    Dominique Sorrente

     

     

     

     

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    Graveurs de blé

     

     

    Les graveurs de blé. On les appelle aussi poètes de l’invisible. Ou céréaliers de la perfection. Ou danseurs des cercles. Ils agissent de nuit, sans crier gare. Ils se produisent surtout lorsque la lune est dans sa plénitude et les blés tendus par la fécondité. Ils se rendent sur des lieux cultivés avec des instruments qui échappent à la vue des dormeurs tranquilles. Ils ne sont pas bruyants, ce ne sont pas des brigands, bien qu’ils éveillent la colère de certains agriculteurs, ils ne viennent pas pour voler le blé, seulement le coucher un peu comme dans un berceau, comme pour bercer la beauté dans son lit, mais une beauté intelligente, qui signifierait, mais quoi ? chercherait à ouvrir les esprits à une autre dimension, mais laquelle ? Ils se déplacent avec une vélocité inouïe, et créent en quelques secondes d’étranges poèmes visuels. À l’insu de tous les regards. Auriez-vous la place dans l’une de vos nuits pour un charme second, une prière de blé ? Nul ne les a convoqués, et les voilà venus pour une apparition brève et splendide. De cercles ou de croissants tracés dans la toison des champs comme avec des compas géants, par des mains diligentes et rapides.

    Certains, armés de cordes et de planches, ont bien tenté d’imiter les chefs-d’œuvre des faiseurs de cercles apparus dans le passé, usurpant l’idée des géomètres célestes. D’autres plaquent en pleine nature des slogans aguicheurs, bien décidés à faire profit du mystère entourant ces manifestations.  Mais leurs créations n’égalent en rien celles des authentiques graveurs. Ni en beauté, ni en soleils cachés. Et l’énigme nocturne des graveurs de blé étonne par sa gratuité, sa tranquillité souriante, qui se passe de discours. Nul ne revendique ces atteintes à la posture naturellement noble du blé que le vent ou les orages n’ont pas réussi à entamer. Cela devrait suffire à nous alerter, à élargir notre regard.

    Lorsque les vrais céréaliers ont agi, laissant le champ en proie  à une intense perfection, c’est comme si un courant d’énergie différente avait traversé le champ du visible. Une chaleur passe, de larges ondes parcourent l’espace, comme à la lecture d’un poème ou à la contemplation d’une toile aux vibrations claires. Les visiteurs qui se rendent sur les lieux se sentent envahis d’une exaltation inconnue, d’une attirance soudaine pour des formes naturelles qu’ils ne remarquaient même plus : la lune dessinant ses arabesques sur un ciel encore pâle, ou l’éclat de sa forme de lentille lorsqu’elle s’élève du coeur d’une brume. Ils s’exclament : nos mains aussi pourraient sculpter cette beauté ! La terre n’est pas là que pour remplir gosiers et coffres, faire fleurir les affaires en bourse. À force de pillages, de gaspillage, nous détruisons son visage sacré. Et les forces de la nature se déchaînent.

    Énigme occulte et lumineuse, phénomène de boules de feu venues du cosmos ? Ou actes de plaisantins, comme on l’a dit ? À n’en pas douter, plaisantins magnifiques, dont l’art pourrait  devenir contagieux. Jubilatoire est en effet le feu qui donne envie de créer à son tour la beauté. Les graveurs de blé nous interpellent : soyons nous aussi des déchiffreurs avisés du message contenu là !

     

     

     

    Laurence Verrey

    (extrait de Une brève transe de cailloux)

     

     

     

     

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    - Voir également le site de Laurence Verrey,

    - une notice bio-bibliographique

    - poèmes extraits de Vous nommerez le jour (Samizdat, 2005)

    - La scriptothèque

     

     

  • Caravane de printemps

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    CARAVANE  POÉTIQUE 

     

    « Des vagues et du rire »

     

     

      

     LE SCRIPTORIUM 

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    2ème édition

     

     

     *

     

    samedi 21 mars 2009

     

    10 heures

     

     *

     

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    « Mon verre s’est brisé comme un éclat de rire »

                                          Apollinaire

     

     

     

     

     

    « L’appel du large », « Rire aux éclats », « Où tous les mondes prennent place », «  Cultiver son jardin secret » : tels sont les quatre stations-bivouacs  annoncées par la caravane des poètes du Scriptorium pour sa deuxième édition.

     

    Mais qu’est-ce qu’une caravane poétique ? C’est la façon insolite que propose l’association littéraire Le Scriptorium pour  partager des textes, à ciel ouvert, dans les rues de la ville, tout en pratiquant l’exercice salutaire de la marche à pied.  Pour cette seconde édition, elle se déroulera durant deux heures environ dans son quartier d’ancrage, le 7ème du bord de mer à Marseille : le port du Vallon des Auffes, la Corniche, les Catalans.

     

    La caravane cheminera dans le sillage de l’événement national du  « Printemps des poètes » dont le thème de cette année est « En rires », tout en gardant son style particulier. C’est ainsi qu’elle lancera des éclairs de rire, mais aussi accueillera des éclats de vivre. Elle donnera rendez-vous à Jean Tardieu au détour de la place Cieussa, par nous renommée « Place des Poètes » et s’attardera à l’heure du pique-nique au jardin secret. Ainsi par quatre fois elle fera halte en ces oasis où seront invités à lire au vent sept nomades inspirés par le thème annoncé – chaque texte ne devant pas excéder deux  minutes. Chacun pourra présenter un écrit personnel ou une page d’un auteur qu’il  souhaite transmettre. Les textes non lus pendant les haltes pourront être lus ou dits en chemin de façon informelle dans le plus parfait désordre de marche… On peut également rejoindre la caravane en cours de route, en se signalant auprès des caravaniers.

     

      

     

    Feuille de route :

     

    Rendez-vous à 10h précises sur le parking devant la Maison des Jeux des Catalans   (7, boulevard Cieussa, 13007 Marseille)

    Prévoir des chaussures confortables pour marcher environ 2 heures

    et un pique-nique à partager à l’arrivée.

     

     

    *

    • Oasis 1 : placette du bout du port du Vallon des Auffes (devant l’entrée du restaurant L’épuisette -  juste après la place Pierre Barbizet)

                      Thème :  « Le Scriptorium prend le large »

     

    • Oasis 2 : esplanade des Catalans sur la Corniche

                     Thème : « en rire »  

     « Rire est le propre de l’homme » (Rabelais)

     

    • Oasis  3 : place des poètes (Bd Cieussa)

                      Thème : hommage à Jean Tardieu

    « J’aime cet espace où tous les mondes prennent place» 

    JeanTardieu  (Le bon citoyen de l’univers)   

                                                                                                                 

    • Oasis 4 :  jardin du Bd de la Rade

                      Thème : Le jardin et ses secrets

     

     

     * * *

     

     

    Pique-nique au jardin (bancs-fontaine-poubelles !) ou en cas d’intempérie,

    à la Maison des Jeux des Catalans.

     

     *

     

    Limite d’inscription pour les lectures : le 14 mars 2009

    à scriptorium13@club-internet.fr

     ou sur le website Peuplade (Marseille),

    au rendez-vous  « Caravane du rire poétique »,

    ou par courrier à l’adresse : Le Scriptorium,

    16 boulevard Cieussa, 13007 Marseille.

    Téléphone ( faute de mieux) :  0650912617

     

     *

     

    En cas d’intempérie, la Caravane ne sera pas annulée, mais nous la transformerons en caravane d’intérieur à la Maison des Jeux des Catalans (7, boulevard Cieussa, 13007 Marseille).

     

     

     

     

     

     

  • Nicolas Rouzet ou l'instinct d'inversion

     

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    N.Rouzet
     
     
     
     
    L’ENVERS DU DECOR

     

    Ils séjournaient dans un refuge de montagne aux confins des frontières, dans un pays peu fréquenté dont les contours s’effaçaient souvent sous la marée de nuages hostiles.

    Lorsque le temps le permettait, ils faisaient le tour du sommet.

     

    La nuit tombée, vint l’heure de passer à table. La vaisselle était belle, les convives joyeux. Tout était presque consommé, lorsque l’un d’eux eut l’idée de retourner son assiette, pour chercher à tâtons, à la lueur d’une chandelle, la marque de fabrique de cette porcelaine immaculée. L’assiette à son envers, portait une croix gammée. Chacun des convives fit de même, chaque assiette à son envers, portait le même signe. Un ange passa…

     

     

     

    Nicolas Rouzet ou l’instinct d’inversion

     

     

    Et si cette écriture qui ne paie pas de mine abritait quelques intuitions troublantes ? Je la devine capable de renifler l’imminence d’une catastrophe dont personne aujourd’hui ne pourrait prétendre rester indemne. Je la vois vivre de bricolages dans les possibles. Elle traque le monstrueux qui s’est allongé par fausse inadvertance dans nos divertissements de saison. Derrière les éléments les plus prosaïques de notre décor quotidien, n’est-il pas salutaire de démasquer une forme grotesque, peut-être démoniaque, fantastique à coup sûr ? Tel est, me semble-t-il, l’instinct d’inversion de Nicolas Rouzet.

     

    Voici un inventeur d’images d’Épinal inédites qui a choisi d’entreprendre le monde à l’envers. Par des phrases qui endorment le lecteur, une distanciation d’avec les sentiments, l’humour au coin des lignes, tout est prêt pour qu’en ce temps-là, l’horreur n’ait plus besoin de film. Entre sacre et massacre, dans le jeu d’apparitions et de disparitions, toutes inspirées d’une histoire vraie, le lecteur se retrouve où souvent il ne voudrait pas être. Emportée de l’âge d’or à la chute, la poésie en déroute a ici sa façon de faire carnaval, en humeur limite, jusqu’à un amour du prochain devenu l’adoration d’un gros lézard vert.

     

    Dominique Sorrente

     

     

      

    pendule.jpgL’ HISTOIRE CACHÉE DU SCRIPTORIUM

     

     

    Au début ils se réjouirent : lorsque les livres eurent disparu du commerce et de la circulation, choses devenues sans valeur, depuis que le nouvel ordre mondial avait organisé les loisirs de masses relayés jusqu’à l’asphyxie par des écrans géants, toute la somme de ce qui avait été écrit tenait désormais dans quelques entrepôts dont ils étaient désormais les seuls à avoir encore le mot de passe.

     

    Délaissant leur travail, leurs enfants, leurs épouses, ils se gorgeaient de textes jusqu’à l’infini. Leurs corps devenus diaphanes étaient d’une extrême maigreur depuis qu’ils ne se nourrissaient plus que de papier, s’en gargarisant en infusion, dans d’invraisemblables borborygmes…

     

    Mais lorsque les choses prirent un autre tour, leur déception fut grande : peu à peu les lettres imprimées s’effaçaient ne laissant que des pages blanches au milieu des reliures. Cela ne toucha d’abord que quelques auteurs mineurs, des romans de gare dont on pouvait aisément se délester. Mais ce phénomène sans précédent frappa finalement tout ce qui avait été imprimé depuis l’époque des Lumières. Ils se consolèrent alors en relisant les sermons de Bossuet et Massillon, les œuvres complètes de Pascal et de Montaigne, les dénonciations tonitruantes de Luther, la Bible du Maître de Sacy et les commentaires de l’Evangile par un chartreux anonyme. Parfois, ils avaient encore la joie de trouver des romans d’amour courtois, voire des œuvres plus licencieuses dont l’Enfer faisait leur miel. Après avoir espéré une rémission, ils virent finalement le mal s’étendre à tout ce qui avait été imprimé depuis  l’époque de Gutenberg.

     

    Ils se consolèrent alors avec des cadastres sur des parchemins notariés, de rares enluminures, des traités de démonologie écrits avec du sang séché sur des peaux de bouc, des interdits gravés dans les répliques des tables de la Loi.

     

    En attendant la mort, ils passèrent le temps, se récitant les uns aux autres, quelques-uns des textes qu’ils avaient pu sauvegarder en mémoire, et qui bientôt disparaîtraient avec eux.

     

    Nicolas Rouzet

     

     

    Bio + crayon NR.jpg
    Portrait au crayon de Nicolas Rouzet réalisé par Jacques Basse
    extrait de l'anthologie «Visages de poésie» (Tome 2)

     

     

         Voir la Scriptothèque, références des deux dernières publications citées :  L'envers du décor  &   Le voyage sans retour de Juan Martinez.