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Le Scriptorium - Page 108

  • Olivier Bastide ~ Contemplations en ma maison

     

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    Contemplations en ma maison

     

     

    En préambule, il m’appartient de voir le vent, de saisir d’instinct l’oracle par la foudre. C’est de mon propre fait que j’entendrai l’écho de toute chose. Homme peu doué pour l’aigre et le contrefeux, je choisis l’acte premier et la contemplation. Quiconque me connaît sait mon goût des odeurs, ma langue habile à décider des salaisons. Toi qui là-bas t’embarrasses de l’ombre, fouette de musc leur grise mine, petit conseil simplement dit, envoie-les par-delà le fleuve sur d’autres rives.

     

    L’orage s’est avancé discrètement, en douce promenade. De grosses gouttes ont suivi le ciel grisé de midi. Il n’est encore de tempête, de tonnerre et d’éclair.  L’heure est au calme, à l’intime repli sur soi. Face aux mots attendus l’inconstance est une étreinte blême. Il saigne, des conditions, un souci de vindicte, discrédit du soleil. L’arbre feuillu assigne à résidence la fraîcheur et son agrément. En ce jardin, je suis maître et facteur. J’ai la parole vive, le sommeil à mon heure. J’ouvre à tout chant mon vol de passereau. D’une question, j’anime la rectitude des géomètres.

     

    Je pense aux escargots, aux petites flaques sur la margelle du puits, à chaque brin d’herbe, encore effarouchés d’un été débutant. Je respire la terre chaude et mouillée. Le bruit de la pluie s’entend du pas de porte, et c’est assez pour dire. L’appel nous trouvera à notre ouvrage, notre établi empoussiéré de belles larmes, de clameurs et de hontes bues, entre équité et doute. L’allée va du lever au soir indépendante  des conspirations.

     

    J’ai caressé le mur dans l’escalier. Il est froid comme l’aiment les chaleurs de juin. Quelques pas entre l’une et l’autre ont dessiné mon bonheur. Des carreaux rouge sombre bougent et crissent parfois. Une sieste d’enfant. Une femme endormie. Un homme au pas feutré a repris l’écriture. La pluie a cessé.

     

    Au lendemain, j’entends l’escale. De cuisine et d’autres bruissements, elle prévient la nuit déjà présente. Il n’est plus dense recueillement, plus objectif balancement des organes que celui édicté à la nuit. Je préviens les gardiens du Temple de notre envolée païenne. Ils doivent convenir d’une juste échappée. Sans cela, leur destinée serait macabre, bonne seulement à nourrir quelques chiens galeux. Je règle le métronome au besoin propre des amoureux. 

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    Ici, les herbes sont farouches à l’églantier. Elles isolent sa morgue pour dire la beauté du chiendent, leur vigilance  à toute approche. Qu’un chien passe et le chat guette l’inimitié. Nous ne sommes pas seuls à refuser le vin et l’eau. Au premier printemps s’envisagent feuilles et fleurs. L’ouvrier a labouré la vigne ; le ciel attend l’heure infinie des bleus et de l’été. Je suggère à ma fille d’arracher quelques herbes avec un outil ; les salades sauvages finissent leur vol sur le talus voisin.

     

    Mais le jardin se teint d’amertume. En passe de résolution, la vie par la mort accomplie. L’octave est pleine fleur et l’alambic assène son soupir à l’exhalaison commune. Choisie du vent douceâtre, l’onde des blés assume l’été  et l’indemnisation des coquelicots. Quand on moissonnera, je serai au loin des collines, assigné aux courbes violines. Et ce sera le soir. Le bétail gémira ses revendications, l’enfant sera dans les bras de son père. Ils parleront d’amour, de naissance et de pleurs. La porte, en continu, prêtera jour et fermeture. Ils iront en deux sens vers le même soleil.

     

    Pour autant, le lapereau détient le vent d’automne et ses secrets. L’orchestre précipite l’harmonie au ruisseau et se disperse. J’ai plus de questions en tête que tous les grains de vent ; je m’invite à l’oubli et sacrifie  l’oracle. Derrière, peu ou rien ! Alors de mots j’environne mon temps précis. Je dis de gré à gré mon sentiment. C’est simple persuasion des commissures à se comprendre, volonté d’enivrer le décor. Musique devenue, la crainte des soleils s’étrenne au crépuscule. Ta robe déconcerte. Tes lignes, l’infini ! L’infiniment connu, précisé, précipité du quotidien en mes bras.

     

    À cet instant, le cyprès tend son être au ciel, et c’est tout son chemin. Son évidence, son abstinence d’autres choses, sa persistance. Doigts dressés, pressés d’immobiles scansions que je n’attribue pas. Entre observation et observance mon éthique s’abreuve à mes veines, par nécessité. 

     

    Depuis, le froid a obligé au feu. En deux jours, les feuilles du mûrier sont tombées. Nous avons craint la neige. Enfin, le gris est resté pour représailles du pays. Chacun, en sa maison, le temps s’est replié ; l’escargot, disparu ! Les fossés, dénués d’estime, se chargent de meurtrissures… Le printemps pointe déjà… maintenant l’été s’apprête au souvenir par l’hirondelle alignée avec l’hirondelle. J’ai été négligent. Et donc s’est déroulé le cours des choses, pareillement.

     

    Ce soir, comptable du vert et de l’or, j’affirme en deux questions l’absence et l’impossible : en quoi suis-je utile à l’éclosion d’un bourgeon ? Que valent l’œillet, la mûre et le sourire de la Lune sans l’invention de la beauté ?

     

     

    Olivier Bastide 

  • Septembre en mer, à boire au Comptoir

     

    Autour du Premier Comptoir

     

     

     


    La poésie, ce n’est pas la mer à boire, annonçait la parodie de slogan. 

    Est-ce alors la terre ? 

    À manger ? suggérait un passant du jour...


    L'équipe du Comptoir 1.JPGDans ces jours de septembre en mer, nous avons mené l’enquête à la façon des éphémères que nous sommes. En baptisant notre nouvelle saison « Comptoir des poètes » avec la voix des autres mêlée aux mots en carafe. Jetant sur le tapis les noms de Delteil, Cabral, Saint-John Perse, Tagore, Baudelaire même dans ses manières d’enivreur. Tentant des croisements de voix en forme de ping-pong, rive à rive. Plaçant les écarts d’harmonica ou de guimbarde pour glisser autour des phrases.  Deux heures durant, à se reconnaître assoiffés, réclamant à la fin à sortir sur la place. Le temps d’emporter le dernier poème vivant : un paquebot  sorti du port, traversant l’instant en ligne d’horizon.

     

    À l’entrée du Vallon des Auffes, c’est promis : malgré la tentation des anagrammes, le comptoir des poètes ne sera jamais le dépotoir des comètes…

     

     

     

     

    *

     

    Ces petits riens

     

    Un vent

    va

     

    prend

    l’air

     

    inspire

    douze éoliennes

     

    On se laisse griser.

     

     

    Laurence Verrey

     *

     

    Quand le bateau boit…

      

    Je suis un chat marin.

    J’habite une barque amarrée au Vieux-Port. 

    Je suis un chat inquiet : mon bateau boit. 

    Il est trop accueillant pour les eaux et marées, 

    Et le sel le grignote. 

    Parfois, sans vent ni vagues ballottantes,

     Il se penche sans raison.  

    Parfois, il navigue en zig, en zag… 

    Mon bateau boit et le fond de sa cale me mouille les pattes, 

    De petites vagues me chatouillent le ventre. 

    Pour aller au Frioul, il s’en va par Gaby. 

    Pour aller à l’Estaque, il mouille à Morgiret. 

    Mon bateau boit. 

    Ses vieilles bordées font corps avec la mer. 

    S’il croit ainsi attirer les girelles, 

    C’est plutôt le contraire. 

    Je suis un chat marin, qui sera un nageur. 

    Car mon bateau, à boire sans soif, 

    Dans un moment d’ivresse 

    Rejoindra un beau jour, les poissons les coraux. 

    Les oursins et les poulpes viendront l’habiter. 

    Je serai chat nageur, 

    Ma maison sous les eaux, sera loin de mon port. 

    Et je miaule ce soir, ce qui dans la langue des chats, veut dire pleurer.

     

     

     Gérard Boudes

     

    *

     

     Quelle certitude

     

     

    Quelle certitude a-t-on

    que la mouette n’emporte pas

    les notes de musique ?

    Et comment savoir

    si cet oiseau n’est pas l’enfant

    d’un ourlement de vague

    ou celui de la risée d’un océan ?

     

    Le musicien face au vent

    est devenu invisible ;

    l’oiseau traverse l’horizon,

    gris-menaçant :

    Tout s’explique ;

    tout a une cause première,

    une raison d’être ;

    sauf quelquefois le hasard

    quand il vient chambouler l’instant.

     

    Philippe Deniard 


     

     

     

     

  • Exil, retour ~ Henri Tramoy

    Train_nuit.jpg

    Source

     

    EXIL, RETOUR

    (extrait)

     

     

     

     

    Y a-t-il place pour d'autres dire

    Plus hauts que cathédrales et leurs démons de pierre

    Accrochant aux nuages les vestiges des siècles

    Voici mon chant ma danse et mon espoir L'exil

    Est au dedans de moi mais déjà je reviens

    Vers mon Esclavonie.

     

     

    ***

     

     

    Là-bas dans l'ombre londonienne

    Aux couches des bourgeois j'ai changé les draps surs

    Et appris quelque écho de leurs rites

    Les traces qui maculaient leur linge

    Écrivaient mon malaise quand tôt passé le goût

    Du dépaysement du folklore de l'exotisme

    Le despotisme de salon des droits qu'ils s'arrogeaient

    Me renvoyait l'image de ma roture

    Ô le chant de ce train qui ramène au pays

    La fierté de mon peuple

    Et ma soif s'apaise à la chair

    D'une tomate olive et mon palais s'égaie

    D'un fromage de brebis

    Sur les chemins de mes orages

    J'ai rencontré mes frères aux barreaux de vos bagnes

    Au fond des fosses creusant l'humidité des villes

    Dans le chahut des marteaux-piqueurs

    Et le silence des rues sur eux retombe

    Criant l'angoisse des heures sans sommeil

    Alors ce train

    Traversant les frontières comme on célèbre un rêve

    Renversant les alliances les leurres

    Roule vers l'avenir

    Ô fumer en silence cigarette sur cigarette

    Des américaines de préférence avec un bout doré

    Demain

    Se lèvera le premier jour de ce qui me reste à vivre

     

     

    ***

     

     

    La porte du compartiment s'ouvrit il savoura ton regard l'idée déjà

    de te connaître deux exilés à se chercher à se connaître et pourquoi

    pas au hasard on partagera les victuailles et notre angoisse s'efface

    un paysan projette le linge blanc de son repas et le convoi s'égare

    tiré par deux colombes la nuit est un alcool et ses heures bleues

    vacillent le printemps renaît au plein coeur de l'été s'avance

    il pose son regard par la chemise ouverte entrevoit leur histoire

     

     

    ***

     

     

    (une mouche troubla l'instant qu'il chassa)

    Et déjà les jours à venir

    La traversée des sables des villes des tunnels

    Déjà leurs mains qui se hèlent

    Les yeux plongés au plus secret de l'autre

    Les jours et les nuits l'oubli de l'exil des mondes armés

    Quand la Terre se décrit comme patrie commune

    Au vent des frontières socialistes la belle le rebelle

    Et l'autre encore son pays se dit yol

    Parti se vendre au nord de l'homme

    Et plus au nord encore que personne ne croît

    Que Günther écrivit et vécut à sa place

    Dans sa chair et son âme

    Crachant sa germanité aux pieds de ses bourreaux

    Pour mieux la regarder en face

     

     

    ***

     

     

    Laisse entrer la nuit dans ton compartiment

    Smiljka aux yeux de camomille

    Ton chant au plus intime gonfle ta robe

    D'un orbe palpitant qu'appelle la caresse

    Et l'humide de ta lèvre le désaltère

    Chassé des cuirs endimanchés de têtières blanches

    Quand la première classe exclut du rang des voyageurs

    Les hommes des figuiers et des orangeraies

    Et le gardien des règles suisse de préférence

    Colle une amende en douce pour usage usurpé

    Des moquettes réservées

    Ah écraser une cigarette encore rouge

    Sur ses galons glacés

    Ô laisse entrer la nuit dans ton compartiment

     

     

    ***

     

     

    Vous parlez un sabir

    Qu'aucune académie ne saurait reconnaître

    Mais la tienne au grand jour

    Vaut bien cet écart de langage

    Entre tes dents s'égare sa langue

    Dans le silence qui rythme la conversation de vos yeux

    Tu restes énigme

    Et pourtant tu te livres

    Et se délivrent les lignes sages

    Ô livre à peine un corps ouvert

    Effleuré de peur d'y découvrir des cités interdites

    Au bout de tes secrets un à un arrachés

    À la musique muette de ton regard mica

    Une eau mêlée de cobalt et d'ozone

    Smalt d'azur écrin des îles de Dalmatie

    Luit

     

     

    ***

     

     

    Dans les sommeils de mon enfance

    Il me souvient d'avoir grandi au sein d'une louve

    Ô ouvre ta chemise de violettes noires

    À la bouche égarée qui me mord

    La soie de ton sourire when you smile en silence

    Ô l'oiseau de ta peau ton sein de miel

    Retrouver avec toi les courses de rivière

    Et les flots de soleil

    Les frontières s'effacent les grands oliviers bleus

    Ta terre mouillée et ses chevaux de nuit

    T'emportent sur leurs vagues

    Ce train file et au bout du voyage

    Est le commencement

    Ta main se pose sur les heures qui se comptent

    Et mon pouls bat l'amble de nos espoirs liés

    Voici ton chant ô Smiljka de miel et de mica

     

     

    [...]

     

     

    Henri Tramoy

     

    extrait de “Exil, retour

    Bulgarie 1968 / France 1987

    in Ecrits poétiques rassemblés (volume I)

    Ed. Presse & cousoir, 2011

     

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    H_Tramoy.jpgHenri Tramoy est poète. Il dirige également les éditions Les Solicendristes et co-anime la revue Soleils et Cendre.