11 décembre 2013
LES FOLIES DU MONDE du côté des scripteurs
Ci-après, quelques contributions recueillies sur le thème du jour.
Intervalle prolifique de ce 7 décembre où il fut aussi question des naufragés de Lampedusa, du corps de Toutânkamon, de la boîte de Pandore, de Fernando Pessoa sortant la nuit sous ses lunettes noires, d'Andrée Cheddid loin des berges stridentes, sans oublier l'Annonce faite à Marie donnée par la Compagnie de l'Égrégore.
*
à Ossip Mandelstam
Je marche
Je marche
Pieds à pieds
Les pieds nus
Vers ce ciel
Sur une échelle
Aux multiples barreaux ornés de poignards
Une lourde pelisse à mes épaules
Rejetant loin
Ce siècle fauve
L’odeur fauve
Le cadavre de la raison
NICOLAS ROUZET
*
S'asseoir, debout, marcher
S'asseoir, debout, marcher.
Cela fait un certain temps déjà que bruissent autour de moi mondes et contredanses. Je le sais quand mon front s'alourdit, quand s'affirme avant toute autre chose le sentiment de chute. Je me repère alors aux yeux de cette femme, qui valse seule et qui, tour après tour, semble dicter ma conduite de son regard direct.
Elle n'existe pas ! Elle n'existe pas ! Je dois frotter fort mon front de mes mains ; je dois circonscrire ce petit mal avant de trébucher les pieds gourds de peur.
Cela passe par l'exploration minutieuse des recoins, le soin apporté au remue-ménage. Quelle est cette question qui se pose sans cesse, revient, s'oublie, revient, s'oublie mais laisse son souffle déposé un peu partout ?
De part et d'autre du clos
Qu'est-ce que mon regard ? Dois-je lui confier mon abord des choses ? Dois-je le penser comme un élément nécessaire du mystère ?
Je vais mon chemin. Je lis. Je parle. J'écris. Je mange de bons petits plats. J'aime. Je n'aime pas. J'entre. Je sors. Je suis ému.
Qu'est-ce qui est vrai ? Je questionne chaque lueur. Je questionne jusqu'au battement de mon cœur. Puis j'oublie.
Le point focal décide du constat. Rien n'existe si je ne le sais, si je ne le prends par l'œil, si je n'incise la scène et l'arrière-rideau, soumis à l'impression et à son excision, dans l'écartèlement du cerveau.
Achevé sous un cèdre
Toujours au pied du mont. L'écume jaune preuve d'échec. Nulle eau ressurgie du gouffre. Serai-je proie au gré des fauves ?
Sur la crête, l'abrupt noir d'arbres mis en frontière, l'azur propice au rapt.
A l'instant, je suis aigle. Le vaste espace et ses vertiges sont envolées sauvages.
Belle illusion. Nécessaire illusion. Aigle ou simplement homme serein, savoir le croire par instants. S'échapper du trop vrai, du trop cru, de l'addition strictement sue.
Je viens de terrasser tout un jardin. Le vent, doux, joue avec les herbes encore vivantes. Un fond d'eau dans la bouteille évoque toute source. Pourquoi ces roses-là sont-elles si rouges ?
OLIVIER BASTIDE
*
La vocation du fou
Ô vous, tireurs de biais, honorez-le. À lui seul, l’honneur des astigmates !
Au pays du bizarre, la reine volontiers le dépêche.
De naissance et pour la fin du jeu, il tracera ses lignes, corridor tout en blanc, corridor tout en noir, comme le sort l’aura jeté.
Destin voué. On ne métisse pas la folie, on la traverse de bord en bord.
Un fou n’en cachera jamais un autre.
DOMINIQUE SORRENTE
( extrait de Le Jeu d’échecs et du mat, Pays sous les continents, MLD, 2010)
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27 novembre 2013
PONCTUATION EN OCTOBRE
Ponctuation forcenée de l'ordre des choses
Si l'ordre des choses existe nous le devons à notre extrême volonté de ponctuer d'un tempo ferme l'inextinguible avancée du courant contre lequel rien d'autre que le ralentissement d'une virgule le point serré qui forge l'arrêt avant la crise de nerf ou encore la suspension par triple points ne saurait faire loi déclarative donc point et plaçons à la ligne cette autre chose bienvenue et bien heureuse
exclamation
OLIVIER BASTIDE
à consulter le blog Dépositions d'Olivier Bastide
collection particulière D.S.
L’intervalle « Ponctuations » s’est tenu le 26 octobre à Marseille autour de l’acacia résistant de la montée de l’Oratoire. Passé le temps fertile et prometteur de L’Assemblée générale, les scripteurs ont ponctué le moment, entre virgules, exclamations, suspensions, et variations de rythme pour quelques phrases. Hommage à l’invité - surprise de la fête, apporté par Henri Tramoy : le point d’ironie (point d’interrogation à l’envers) tombé en désuétude, mais non disparu.
Le débat passionné entre coupes et flûtes de champagne, anniversaire oblige, a prolongé l’appel à témoins de vivre, en rythme, bien sûr. D’un point à l’autre…Olivier Bastide nous a confié pour l’occasion ce poème d’humeur exclamative. Petit concentré de ces signes séparateurs qui nous ont, ici, réunis pour la meilleure cause qui soit. Un intervalle de plaisir rythmé, en attendant l'entrée en scène de celui sur "Les folies du monde", le 7 décembre.
D.S.
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30 septembre 2013
Intervalle "Marseille dans tous ses états" 21 septembre 2013
EN SEPT APPROCHES
I
La lumière est toujours à même de s'ouvrir à l'obscurité; dès le commencement soleil eau et espace. Pauvreté et chômage apportent sur les plages un poids plutôt léger, mais le texte que la ville écrit sur le sable demeure mélancolique, même si les vagues l'effacent aussitôt.
II
Vues d'en face, les maisons sur le port semblent inscrites dans le réseau des mâts des bateaux; l'une ne se tient pas sans celle d'à côté et qu'aucun souvenir pris dans une autre perspective n'existe. De jour comme de nuit les mains tendues ne se rencontrent que dans les têtes. Le port a pris possession de l'homme, de son corps et de son âme et les cicatrices tatouent sa mémoire sur la peau.
III
Dans la chaleur méridienne la ville se tait, se liquéfie avant le mistral de son souffle ne fouette son visage. Les mouettes volent bas et leur rires ôtent le sourire de la bouche des enfants. Et moi, je recueille le vent sur les dalles rouges pour que la mémoire ne consume pas ses membres dans leur chute.
IV
Les jours de canicule le soleil plombe le marché aux fleurs. Les iris riment avec les lis qui, dans les deux langues, parfument la vie et la mort quand ils sont déposés sur les tombes accompagnés de la cloche funèbre et de la chaleur qui surgit en même temps que l'hortensia, celle qui passionnément casse les pierres, porte fleur et feuille au devant de Sirius comme si elle mâchait le feu pour les défunts.
V
Par les rues en pente, le souffle et l'oppression des drapeaux de linge séchés sous le vent jusqu' à ce qu'une étoile scintille et que la nuit, folle d'espace, engloutisse les parfums des boutique de savon. Lavande, miel et fleurs d'oranger gratte l'image et l'éclat de la peau écarte la parole de son chemin. Hors "noir" aucun mot n'a sa place et plus rien ne distingue le fragment de la totalité, les désirs des peines.
VI
La ville marque sa signature sur la haute colline de Notre Dame de la Garde. Sans refléter dans la mer, elle protège tous les marins des épidémies, du sida, des naufrages. Les footballeurs montent à la basilique avant les championnats, allument des cierges: Ô Sainte Marie, Mère de Dieu, fais nous gagner, nous respecterons les étrangers, chaque culture de ton rocher à toutes les places, de toutes les rues à la chambre la plus sombre. Les mouettes argentées s'élèvent de la mer tel un pèlerinage. Une prière gutturale, un rire gémissant: Ô Sainte Marie, Mère de Dieu, sur ta couronne dorée laisse-nous faire nos petits besoins avant de plonger et qu'un éclair rédempteur nous garde dans le droit chemin.
VII
Derrière le port la ville change de visage. D'un côté marbre, arcade et rosace. Les buissons ardents jaillissent des murailles du fort et les grands personnages de bronze racontent l'Histoire. La foule flâne par les rues, va et vient entre les bancs et les boutiques toujours emplies. Des chanteuses d'opéra sont assises aux terrasses des cafés et les bars s'offrent aux séducteurs.
De l'autre coté vers le nord dans la poussière entre murs délabrés et tas d'ordures, le quartier raconte son histoire sur la place du marché : être clandestin ou non, mais renaitre en s'improvisant chaque jour alors que se manifestent la lamentation, l'indignation et la source de pertes. Pour être un homme ici, il ne faut pas courber l'échine, mais parler haut et fort ou battre le tambour ou se battre tout simplement.
Leonor Gnos
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MARSEILLE, LUMIÈRE BLANCHE AU COU DE TAUREAU
Marseille
Lumière blanche au cou de taureau,
Un ciel d’huître se tord sur la ville
La mer ressasse éternellement une même histoire
Par delà les dômes, les pylônes
la ville dort, au bord du vide
Nos nuits se peuplent d’oiseaux marins
Le flux, le reflux
Les eaux polluées de la mémoire
Nicolas Rouzet
12:44 Publié dans Intervalles | Lien permanent | Commentaires (0)