02 décembre 2008
En malle de Légende V

Au Scriptorium... de Marseille !
Depuis l’enfance, je ne connais pas le Vallon des Auffes. Ni les Catalans. Enfin, je ne connais pas… je connais bien un peu. Comme un touriste.
Un de passage. Il y a peu, je me suis assis dans un cabinet de pédiatrie du boulevard Cieussa ; maintenant, je suis, par intervalles, du quartier.
Mon accent vauclusien me fait immanquablement reconnaître pour quelqu’un du nord, moi qui suis du sud jusqu’à la moelle… mais j’ai vu les amarres des pointus depuis le haut du pont, alors… La dernière fois, c’était dans une maison de jeux municipale. Une curiosité. La prochaine, chez des retraités, peut-être… L’écritoire des poètes est nomade, enraciné dans un périmètre dont l’horizon maritime tranche avec le bitume.
Quelque part, quand je rejoins le Scriptorium, je vais à Marseille, chez Doumé… J’aime ça ! J’attends mon premier pastis sous la Bonne Mère ; mon poème suivra !
Olivier Bastide
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30 novembre 2008
En malle de Légende IV

Un samedi aux Catalans
sous la houle de novembre
On entre. Pas besoin de défalquer ou de disjoindre. On entre, rien de plus. Et ainsi on devient habitant.
Il convient ensuite de trouver sa place, veste habillant un dossier de chaise, objets placés en devanture, mots en friche, humeurs pleines. Chacun à sa table, à son plan d’écritoire, son territoire intermittent. Beau désordre… Il fait un temps propice à la déverse, mais pour l’heure, ce qu’on réclame est de la retenue. Un silence à mâcher avant toute profération.
Alors survient la première injonction : « Je vous invite à poser la pensée de l’instant qui s’impose à vous à ce moment de la journée. Sans jugement ni crainte, avec ce qu’il faut d’attention aux mots qui vont s’écrire sous votre main. Concédez pour cette pratique improbable et fertile les ratures qui traduisent votre condition, les élans géants et minuscules de la dernière-née de vos visions du monde, votre style, en quelque sorte, parti bravement à la recherche de son ombre. Cette pensée vous accompagnera durant tout le séjour ; de plus, elle rejoindra les autres habitants qui ont fait, chacun à sa main, le même geste du dedans. Ici, pas de cabinet noir définitif, la veilleuse allumée, la bouche en feu, et voilà… »
La seconde injonction naîtra un peu plus tard : « À présent, soyez copistes de quelques phrases qui vous ont précédés. Certes, vous êtes de la première importance, mais est-il inconvenant de penser que d’autres vous ont devancés dans cet étrange exercice d’une suite de mots à aimanter ? Graine de précurseurs, vous leur ressemblerez demain. Placez-les donc sous votre main comme si ainsi vous les remettiez en chemin de première création, comme si par vous leur existence en quelques vers se remodelait. Des poèmes jadis vous ont ouvert le pas. L’un vous fait signe ici. Vous avancez dans la rondeur de ses lettres. Vous pratiquez la main d’écriture qui vous relie à votre enfance, où copie n’était pas geste interdit, mais forme unique de bonheur imagé. Cela se passa avant l’invention de l’imprimerie ; cela se passera après...»
C’est le temps de l’œuvre aux couleurs, les habitants donnent de leur silence non entendu.
Ils font la courte échelle d’un poème à l’autre. Sourire en coin, sueur en prime, faut-il qu’il leur en souvienne… Les âmes muettes exécutent leur partition.
Quand tout cela est fait, vient le moment de rapporter en paroles croisées, découvrir sous l’empan des heures l’écho imprévu du voisin, toutes ces bribes de conversation à ciel ouvert. Les deux encrages, pensée d’instant, poème copié, ont trouvé leur séjour, dans ce petit monde d’intervalle qui glisse à présent à son rythme.
Plus tard, les habitants ont redoublé de mots, jeté d’étranges sonorités, appelé l’apprentissage du souffle à la rescousse. Insolite bruitage, chorus de ces périodes. Un beau tapage a fertilisé le hors - champ.
Puis quelqu’un a crié le mot « terminaison », et le mouvement du ressac final est venu.
- Faut-il partir l’un après l’autre, chacun dans son siècle, ou tous dans un au-revoir d’unisson ? a demandé le plus fugace.
La réponse s’est perdue dans un coup de vent imprévu.
- Mourrons-nous ensemble ou séparés ? a risqué une voix chanterelle entre ferveur et anxiété.
- C’est donc l’heure de passer à table ! a fait la boutade assurée, avec son talent de gourmande.
Décidément, il est dit en ce lieu éphémère qu’aucune dispersion ne ressemblera jamais à la précédente ni à celle qui vient.
Ainsi vont les géométries poétiques.
Une mallette ouverte a pris son rôle devant la porte. Chaque habitant, avant de rajuster son chapeau et de franchir le seuil, avant même de tomber dans le caniveau bras dessus bras dessous ou de gagner au loto un soir d’orage, a déposé dans l’urne favorable, autrefois emplie de dives bouteilles, des traces de son passage. Sur le couvercle, les yeux avertis ont appris à lire : « Obole pour la perte ».
- N’ayez pas peur de cet adieu. Quelque chose s’est accompli comme une mue de lézard blanc. Un de mes acolytes passera demain pour secouer l’ensemble de vos travaux, voir ce qui peut survivre au tamis de la relecture. Le monde peut à présent reprendre son récit… Faites cependant attention à la marche en sortant du poème, a ajouté l’ange des parenthèses.
Dominique Sorrente
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29 novembre 2008
En malle de Légende III

Séance de Wani wetu yi (lune de l'hiver qui commence)
Août était venu, et filait vers sa fin abandonnant au soir un peu de fraîcheur, tellement appréciée, quand les dernières cigales, après un dernier adieu au soleil tombé, se taisaient et que la brise parfois venait caresser son épiderme par ailleurs toujours promis, toujours épousé par les courants de la rivière cévenole qui bordait ses vacances retirées.
Elle s'était mise en route répondant à l'appel du rêve, tendue vers un accomplissement dont l'étape première serait de vivre cette soirée sous l'arbre. Et elle avait gravi le chemin parmi les yeuses jusqu'à l'aire consacrée, accompagnée de ses partenaires, quelques membres choisis du clan du Scriptorium venus de Marseille fêter l'anniversaire de leur ami peintre, héros de cette soirée dédiée à la poésie. Des tables dressées, des livres exposés, attendaient les protagonistes. Octeonda arriva donc, et aussitôt elle entendit : « Sois la bienvenue ma soeur…»
Une femme mince qu'elle trouva grande et bien campée sur ses jambes se trouvait en face d'elle, qu'elle ne connaissait pas, et qui avec aisance l'accueillait comme si depuis toujours elles s'étaient côtoyées.
« Sois la bienvenue ma soeur » répéta la brune inconnue. « Je suis heureuse de te voir, oui tu es surprise c'est évident, mais nous sommes vraiment soeurs. »
Quelque chose de l'acier dans le bleu de l'oeil d'Octeonda luttait entre le sourire et l'angoisse. Mais elle ne perdait rien de son allure altière et de sa dignité.
«Tu me vois grande ma soeur, mais mesurons nos tailles veux-tu.»
Dos à dos, elles prirent contact et s'appuyèrent l'une contre l'autre. La brune était la plus petite. «Tu vois mon aînée, rien de bien impressionnant à la vérité».
Elles finirent par s'assoir côte à côte et la lecture des poèmes démarra.
Octeonda avait le sentiment que la brune captait tous les regards, que sa voix allait toucher profond le coeur de l'auditoire, que rien n'ébranlait sa calme assurance, elle savait, elle parlait, elle souriait, elle riait même, rien ne semblait pouvoir gêner ses mots au sortir de ses lèvres. Octeonda ce soir là avait confié la lecture de ses textes à Tania, comédienne de métier, elle n'oserait jamais ce que la brune lui semblait si bien réussir.
La nuit venue, l'assistance éparpillée, le repas commun consommé, brune et blonde se retrouvèrent dans le même logis, comme il était normal pour deux soeurs. Octeonda cette fois prit l'initiative :
«D'où tiens tu que nous sommes soeurs, comment peux tu le prouver ?»
Alors la brune raconta son histoire qui coincidait avec ce que la blonde savait de sa propre vie, puis elle dit: «Chantons, veux-tu ?
toujours plus vite devenez mots
sur l'herbe verte, sur le sentier
ou sur d'une scène le plancher
toutes deux réunies bientôt
nous tresserons lierons nos mots femme qui change l'a dit,
dans l'harmonie nous irons, dans la beauté nous marcherons, conclua-telle.
«Mais quel est ton nom» demanda Octeonda
- Je suis Owankte, ta ressemblance secrète, ta soeur qui joue de la différence.
- en qualité d'aînée, je souhaite te voir intégrée au clan du scriptorium
- en qualité de cadette j'accepte avec joie d'y faire escale.
Et c'est ainsi que les deux soeurs désormais font route ensemble pour participer aux cérémonies du Vallon des Auffes, là où le clan du Scriptorium accomplit les rituels sacrés offerts à la coincidence .
Béatrice Machet
en mémoire d'un jour d'été à Oppède le Vieux
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