Le Huit de Script
ou la carte inopinée
Le Huit de Script est une carte à jouer qui était encore inconnue de tous, avant que nous ne la trouvions quelque part au détour d'un chemin, à la faveur d'une expérience commune.
Nous (un octette de poètes) nous sommes mis à jouer la création de huit poèmes à distance (au temps du confinement du printemps 2020), à modelages successifs, selon les instructions données par le meneur de jeu.
Après quelques coupes et remises, la partie s'est donnée. Les poèmes sont là. Objets nés de passages au tamis de l'hybridation. Chaque poème est donc à plusieurs voix. On pourra les lire, les parler. L'étrangeté est qu'on ne pourra pas dire le nom d'un auteur particulier lié à tel ou tel poème. Tout au plus, certains trouveront des fragments de leur travail ou de celui d'un autre, comme de petites pièces-pépites de reconnaissance, des bouts infimes d'identité. Histoire de se rassurer ou de s'amuser, en se voyant ainsi happé par le poème en mouvement.
L'atelier pose plusieurs questions (idéologie de la pratique, fondements de la création, réflexes langagiers, imitation des formes ou des émotions...).
Le Scriptorium est aussi fait pour cela.
Au-delà de l'écoute des créations et découvertes des uns et des autres, tenter des gestes collectifs. Sans jamais perdre le plaisir natif qu'on éprouve avec les mots, celui de jouer une partie toujours un peu inconnue de soi...
Ensemble, avec la carte du Huit de Script !
Ont participé à cet atelier:
Isabelle Alentour, Olivier Bastide, Wahiba Bayoudia, Elena Berti, Gérard Boudes, Marie Ginet, Emmanuelle Sarrouy-Noguès, Dominique Sorrente
***
Un Atelier d’écriture collective
Le poète est le plus souvent un créateur solitaire. Il aspire à une reconnaissance individuelle. Les poètes du Scriptorium ne font pas exception. Ils ont toutefois la particularité d’être du Scriptorium, de se dire Scripteurs, lorsque le moment découle d’un geste du collectif.
L’atelier Huit de Script est exemplaire de la gageure de faire groupe pour des poètes. Si la plupart des membres de l’octette signataire des huit poèmes issus de l’atelier publie habituellement nominativement, tous ont accepté, non le jeu de l’anonymat, mais celui de la signature collective. Ils ont accepté d’être bousculés dans leur écriture, leurs idées, leurs lexiques ; leurs poèmes ont été démantibulés ; ils ont emprunté ce qu’ils aimaient ou aimaient moins dans les textes qu’ils recevaient afin de proposer au poète suivant un poème qu’ils savaient être fugace. Ils ne connaissaient pas à l’avance les consignes de l’atelier, seulement sa destination.
Moi-même, pourtant concepteur de l’atelier, l’ai subi comme mes partenaires. Je ne sais plus ce que j’ai écrit personnellement, quelles bribes de textes seraient issues de ma tête. Je reconnais, et certains de l’octette me l’ont dit, l’hybridation de l’écriture.
Ces huit poèmes sont les nôtres ; ils ont fleuri dans Avril confiné en pied-de-nez à l’isolement.
Le meneur de jeu
Poème 1
À la Tombée de la nuit
Du balcon, la mer est à portée de mains ;
J'en écoute les cris
à la tombée de la nuit.
Le ciel remue encore
des îles de lumière.
Loin des tourments du monde,
je rêve un saut dans l’inconnu.
Poème 2
Dans le petit matin mes rêves
Je cherche dans le petit matin mes rêves ; je suis dans l’entre-deux, ni l'encore vivant ni l’oisillon qui se cogne aux vitres.
Il y a ceux que l’envol fait déjouer, ils vivent l’espace-temps premier ; ils errent aux alentours des feux, sujets aux mirages et aux fulgurances.
Et cette voix qui ne veut pas crier quand elle me dit : « Je sonderai l’écho pour connaître l’obstacle et, si tu sais m’entendre, nous nous évaderons au-delà des journées. ».
Sur la table de marbre, ce sera l'heure où l'on sirote un café.
Poème 3
Au joli mois de mai...
Au joli mois de mai,
les chansons sont parfois idiotes,
mais on les aime ainsi.
Elles aident à tourner les pages,
à avouer sans dose de ridicule excessif
que des cœurs pleurent.
La voix serait une caresse.
Un petit ruisseau suffirait ici
à vaincre la solitude.
On dirait : « Que les fleurs s'ouvrent ! »,
et le printemps viendrait
comme un avènement,
avec les sueurs animales sur le corps.
Les chansons descendent de la vieille tour
pour nous parler.
Et mine de rien, leurs mélodies
sont un défi au temps qui se retient
sous la voûte lactée.
Le mois de mai déjà sur toutes lèvres.
Poème 4
À ma vitre il a frappé
Flâner dans l'immensité.
Rêve de sirène,
fait de mer et solitude ;
un miroir dans une bulle de savon.
Un oisillon
posé sur des arbres,
à ma vitre il a frappé.
Poème 5
Au diapason des lunes
au diapason des lunes
elle s’était subrepticement évaporée
dansons !
lui avait-elle soufflé
sur d’extravagantes ritournelles
aux rythmes parfumés
dansons !
nos baisers pour unique paysage
sur la roue de nos souvenirs
en route vers d’étranges destinations
comment décrire alors cette échappée
importance d’un geste sans provenance
envolée vers l’azur qui efface les tourments ?
Poème 6
Ivresse
Ce que tu contemples à l’extérieur,
azur, grand printemps, étranges paysages,
tu l’absorbes,
baiser d’avril, envol d’hirondelles,
bien un peu rieuses
Tant d’oiseaux habitent sous ta peau,
boivent à la source de tes gestes
et du vent d’après,
éclairent l’Inconnu.
Vers l’immense bleu,
l’alouette et la mésange,
le rossignol ou le faucon
concerto à plusieurs voix
tu parcours les airs…
Poème 7
Dans l'espace-temps domestique
Le chant de quel oiseau ? Le cri de quel animal ?
Sorti d’un rêve étrange au milieu de la nuit,
À défaut de plonger dans la mer, dans l’écume, à l’horizon des vagues,
S’éclipser sous la douche, s’envelopper d’un manteau d’eau chaude,
Et soudain retrouver la mémoire ruisselante, réjouie à l’odeur du savon.
Hésitation lente à marcher dans cette énigmatique pénombre
Tel un astéroïde errant sans boussole dans l’espace-temps domestique,
Bousculé au hasard, semble-t-il, celui là même encore une fois
Impossible à convoquer, tant il est capricieux
Au sortir de ses draps, on dirait qu’elle se réveille.
Poème 8
Le parfum d’une nuit d’été
C'est une question de regard
ou peut-être d'écoute
ou même de sensation
se placer à l'affût de la vie
dans la contemplation
de l'immensité de l'univers et des petites choses courantes
non pas se laisser envahir
par les tournitures
les miroirs et leurs craquelures
non pas évoquer l'idéale éternité
S'attacher aux espoirs éphémères
mais s'émerveiller de ce que l'aurore est venue de
scruter
tâtonner
Sillonner dans la peau
comme l'argile ou le tournesol
qui lentement s'ouvrent à l'immensité
ne pas chercher à vaincre la solitude
mais la chérir comme une intime
part de douceur et de doute
elle est la lumière qui s'attarde
là où nous frémissons
Le parfum d'une nuit d'été après la pluie
On reconnaîtra ci-dessus "à vol d'oiseau" les huit participants au Script de pique d'avril 2020. Merci à Jo pour ces superbes portraits.