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Le Scriptorium - Page 146

  • Voix intuitive

    Ce 19 janvier les scripteurs sont redevenus coudoucens et coudoucennes. Ils n'avaient pas oublié les oliviers et la fête jazzy de juillet dernier, lors du Chapitre 1 du Scriptorium. Ils ont rendez-vous cette fois pour un autre Intervalle fondateur. Le Conseil d'Administration de ce même jour a célébré la naissance des Poètes intuitistes.

     

    « Poètes intuitistes ». Qu'on se le dise !
    Intuitiste, comme on entend le tuit tuit qui appelle l'oiseau inconnu.

    Comme on devient zuitiste de l'intérieur des terres.

    Comme on fait danser autour du mot intuition les expériences de laborantins : temps du toujours présent, plaisir de la coïncidence, goût de la création tressée à plusieurs voix, pratique nouvelle avec d'autres arts ouvrant à la chorégraphie des mots, à la poésie chorale.

    Intuitiste : la Voix avec le corps, tout un. Pas de séparation mais des traversées.

     

    Après le soleil provocateur sur la terrasse du milieu de la journée qui exhorte à se mettre «aux abris !», voici donc le temps du feu dans la cheminée protégée par sa crèche d'Épiphanie. On se regroupe autour, comme en scène de veillée à l'ancienne. Une dizaine, bon nombre pour l'échange, l'écoute, les vibrations éprouvées. Chaque moment doit trouver son bon pluriel. En voici un réussi.

     

    Le thème qui les rassemble : «la Voix intuitive». Mais que nous veut la poésie lorsqu'elle précède l'écriture ou qu'elle la suit, qu'elle l'accompagne, la traverse ?

     

    « La poésie est l'autre voix » dit Octavio Paz en introduction du moment. Le nom de poésie zébrée, ni blanche ni noire, a été lâché par le drôle de zèbre qui officie. Hé oui, ce temps sera zébré en effet.

    Où alterneront les voix tranchantes et les voix promenées, voix qui affirment et voix qui caressent, voix pulvérisées et voix infimes de haute dilution... De tout il faudra donc pour faire le monde intuitiste de cet intervalle ; et plus encore de tout et du rien, et de leur aller-retour incessant.

     

    Honneur à un premier absent, Jacques. Des perles de haikus dont il a le secret.

            « Rivière au plus bas

             les truites sont presques nues

             le pêcheur a honte. »

     

    La voix intuitive s'amorce donc ainsi par la plainte de la nature, siècle en péril, le peu de mots né du regard, la respiration d'un haiku à l'autre.

    Slam survient alors du petit Bouddha, présenté par Philojane, qui sait dire «Ok baby» «de tête» et de coeur. Slam par coeur, pour qu'un enfant garde toujours son Bouddha en soi pour accoster au monde. «Ta petite main s'abat sur mon oeil gauche...» Et les participants rompus désormais à la poésie chorale que Nicolas nous a fait découvrir reprendraient volontiers « Allez baby au lit » en rythmique connivence...

     

    Slam encore de Gilbert, Slam à ch'val, qui délivre son texte dans un mouvement de derviche tourneur tempéré. La parole déliée atteste le plaisir, mais aussi la quête de nommer juste, lâche quelques perles et poursuit son énonciation dans une manière de présence instable, «poésie affolée» dira fort pertinemment Françoise.

             « J'ai appris à t'écrire des mots de cheval dans une langue de petit galop » et l'on se prend à suivre cette galopade inquiète et amoureuse, un peu perdue et appelante. « Il y a tant de gens qui me font des signes de la main, tant de gens, tant de gens...»

     

     

    Martial a-t-il fait un signe de la main singulier ? « la poésie intuitive est une méprise ! » lâche-t-il. Gilbert qui a vu des « lâchers d'étoiles » dans sa poésie affolée reconnaît soudain en Martial la figure de l'imprécateur, celui pour qui la cause est déjà entendue. Profération noire, parce que le monde qu'éprouve Martial court à ses pertes et qu'il ne se reconnaît pas dans l'autre poésie. Figure inverse de l'éloge de l'autre, à sa manière. Dialogue serré s'engage alors. L'image de Habacuc, le prophète, est convoquée dans cette séquence de tempête. La voix de l'imprécation est pourtant indispensable, dit un écho qu'il faut aussi savoir accueillir.

      

    Une participante s'étrangle soudain ce qu'il faut pour avoir besoin de sortir de la scène. Passée la surprise, on ne l'entend plus dans la pièce à côté. La question cornélienne du jour fuse alors de la bouche de Nicolas à l'adresse de l'imprécateur : « que choisiras-tu entre sauver une vie et lire un poème ? »  Rires reviennent avec le retour de la provisoire étranglée !

     

     

    Geneviève (Guenièvre) n'a pas de texte (sinon sa belle contribution à la poésie intuitiste) et le regrette à présent. Lui revient le désir du texte manquant. Il y a des textes auxquels on pense toujours lorsqu'ils ne sont pas là. Elle est là, plus que jamais alors, dans une de ses stations secrètes, pour se remettre à l'écoute. Un intuitiste sait bien qu'écouter est le premier commandement du jour...

     

    Béatrice a la voix ferme des mots abstraits pointés en flèches. Elle place, sûre de son tracé, au moment juste de parler. Sa voix sort souvent de l'infinitif présent. Laborantine à son oeuvre de feu. « Aile de flûte.  Cristal magnétique. Forêt » puis plus loin « D'ors et d'ours  ~ Sidéral silence ». Voix de syncopes, voix syncopée. Faut-il tomber dedans ? Ou bien en épouser le rythme ? Plutôt sans doute s'accorder à cette pulsation pour éprouver en soi « l"animal que donc je suis ».

     

     

    La page de Genevova est toute différente. fragments de phrases et de mots dispersés sur la page, et entrée marquée dans le rituel de la prise de parole. Entre l'inclination philosophique et la tension de poésie, les silences du son rejoignent les blancs de la page. Une partition à la fois précise et improbable, car l'instant toujours dit autre chose que l'écrit.

             « Voix      vent     vol retenu      onde ronde     cercle en sa totalité.... » Genevova se voue à ce cheminement qui apprête la voix, l'explore dans ses mutations, à ce temps de l'indicible qui parcourt la parole en tous ses états jusqu'à ce moment d' «alors la voix devient prière ». Le temps des mots, entre l'inarticulé et le dit, en bas de page aura tourné sa meule.

     

    Autre et pourtant le même...

     

    Un instant, le plaisir des qualifications reprend parmi les intervalliers ; il ne désertera guère le lieu et le moment. On repère les formes psychiatriques des traceurs d'écriture : les obsessionnels, les schizoïdes sont les figures dominantes. Ici, dans cet Intervalle, l'obsessionnel qui règne dans l'air ambiant de la poésie française contemporaine n'est pas à la fête. Plusieurs scripteurs parlent de ces commencements toujours glissants, des jeux de formes toujours à l'oeuvre, de l'oeuvre qui n'est pas ce mastodonte certifié conforme rêvé par certains surmoi... Diversité, kaleïdoscope, mouvement de propositions... Les intuitistes se découvrent cette vertu-là de la recherche toujours en état d'alerte, avec le petit démon de l'éclatement pour viatique. Douce schizoïdie de ce temps poétique... Vécue à plusieurs, on l'apprivoise mieux sans doute.

     

    Françoise se lève. Elle a lu Gherasim Luca à la suite des voix slameuses. Puis elle a donné des Planches courbes de Bonnefoy pour faire entendre La Voix incertaine.

     

    C'est de là que Dominique a fait écho en lisant La Voix absente de Valérie. Voix doublement absente ce jour parce que l'auteur n'est pas là et qu'elle évoque un territoire d'arrière-monde, et pourtant voix étonnamment offerte, au milieu de l'instant, placée soudain dans l'énergie du cercle par la lecture de l'officiant. On entend le refrain « Elle est » tourner et revenir derrière l'absence jusqu'à l'assertion finale « Elle est passerelle ignorée vers le monde ».

     

    Françoise lit Porto. Dans l'émotion limite des mots qui se libèrent et qui éprouvent. « J'ai fait l'amour avec les vagues / Qui m'aime m'a aimée m'aimera / Jamais / Jamais / J'ai fait l'amour avec la mer.» Le poème suit son périple entre impression du sordide et lumière fichée sur la hauteur. Dobrigado, Françoise ! Porto obtient son billet es géographie intuitiste pour conduire une avenue jusqu'à l'acropole, avec son "a" minuscule majuscule.

     

    Nicolas dit par coeur quelques vers que sa tête penchée vers l'avant et de ses mains concentrées l'une à l'autre sont allés sortir de terre. La poésie intuitiste est aussi là de savoir surgir et s'effacer sans laisser de trace. Écologie suprême du langage...

     

    A la passerelle de tout à l'heure répondent en bout de route les Aphorismes de l'oiseau passeur de Dominique. «Dans la tourmente, garde toujours près de toi une queue de sirène» a la faveur de certains. D'autres préfèrent «l'océan à la hanche de sel». Poète est passeur pour celui qui écrit cet aphorisme-là, être d'aller-retour, de nulle discipline, parce qu'il les traverse toutes.  Et oiseau, dans son désir aérien d'un autre état. Pratiquant de l'aphorisme, une de ses respirations formelles qu'il affectionne, parce qu'il appartient à l'ouvert, au jeu des demi-cercles du monde. Intuitiste, cette démarche des mots-brèches, hors le «cristal arrogant du concept».

     

    C'est l'heure du gâteau des rois qui réclame à présent.  Intuitistes devenus soudain fringaliers ! Quelques dents heurteront la fève et les sujets. On se couronnera au son du champagne et de denses conversations sur les houillières de Gardanne. Terre souterraine et ciels tutoyés, quand confettis seront lâchés sur la terrasse en autant de poèmes pulvérisés....

     

    Le Script épiphane aura vécu. Intervalle en voix plurielles et mêlées.

     

     

                                                                                       D. Sorrente

     

     

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    Auteurs du Scriptorium cités : Jacques Ferlay, Jeannine Anziani, Gibert Arbogast, Martial Teboul, Béatrice Machet, Valérie Brantôme, Geneviève Bertrand, Geneviève Liautard, Nicolas Rouzet, Françoise Donadieu, Dominique Sorrente.

  • à LA LIBRAIRIE DU MUCEM, l'ARDEUR DU POEME entretien-lecture DOMINIQUE SORRENTE

     

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    Dans le cadre du 20ème Printemps des Poètes, le Scriptorium propose de partager l’ardeur poétique et foisonnante de Dominique Sorrente à l'invitation de la librairie du Mucem.

     

    Le samedi 10 mars, la librairie du Mucem donne en effet rendez-vous aux amateurs de poésie pour un moment particulier. Un entretien-lecture avec Dominique Sorrente qui échangera avec Olivier Boura sur son parcours poétique commencé à l’âge de 16 ans, ses rencontres marquantes, et bien sûr, focus sera fait sur ses récentes créations : poèmes, micro-fictions chansons.

    Un témoignage d'ardeur poétique toujours présente à travers les années. Il y sera question d'amitiés fortes, celle de Christian Gabriel/le Guez Ricord, décédée il y a tout juste trente ans, celle de Jean-Marie Berthier, disparu en 2017, l'un et l'autre, figures singulières de la poésie de langue française contemporaine, étant nés à Marseille. L'échange portera aussi sur les deux ouvrages parus dernièrement: Les gens comme ça va, publié chez Cheyne éditeur et le livre-CD sonodrame B comme Bran réalisé avec deux plasticiens sonores Colette Papilleau et Daniel Vincent, publié par le Scriptorium/thebookedition , dont on pourra entendre des extraits. Temps d'échange mais aussi moment de lectures variées de poèmes, puisqu'on pourra également écouter les voix de poètes du Scriptorium présents, le Scriptorium étant l'association qu’a créée Dominique Sorrente en 1999 et qu’il continue d’animer.

     

    Le public pourra également entendre deux chansons du nouveau répertoire que Dominique Sorrente, accompagné de sa guitare, propose avec son trio des Ivres vivants ( D Sorrente, Audrey Gambassi, Lionel Mazari). Deux concerts auront d'ailleurs lieu les 17 et 18 mars, dans la salle associative du "3013", un lieu d’utopie qui convient bien au répertoire des chansons-poèmes.

     

    Le 10 mars au MUCEM sera ainsi un temps fort du Printemps des Poètes à Marseille. Un beau moment foisonnant "d'ardeur poétique" à partager qui se poursuivra avec le concert du soir de la chanteuse Raphaele Lanadère dite L. dont on (re)découvrira le répertoire et le nouvel album.

    contact: poesiescriptorium13@gmail.com

     

     

  • Poèmes des Commencements (IV) ~ Daniel Schmitt

     

     Entre l’Enfance et la Vieillesse



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     © Photo Boris Pasmonkov




     

    Entre l’Enfance et la Vieillesse

    J’ai toute ma vie balancé

    Je n’ai pas connu la jeunesse

    Balle au bond sur la vie lancée

     

    Je n’ai pas connu l’âge adulte

    J’ai fait semblant j’ai composé

    Savez-vous ce qui en résulte ?

    J’ai tout le monde abusé

     

    Je n’ai pas connu l’âge mûr

    L’Autorité, la sûreté

    Je n’ai rencontré que des murs

    Auxquels je me suis heurté

     

    Entre l’Enfance et la Vieillesse

    Toute la vie m’en suis conté

    Je vous en fais la confidence

    À présent que le temps m’est compté.

     

     

    Daniel Schmitt  

    (La Besace à Poëmes N° 62)