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Le Scriptorium - Page 146

  • « L'aventure a déjà commencé »

     

    PAROLE PREMIERE

     

     Notre époque, tout occupée à son miroir se regarde faire ; on dirait même qu'elle se regarde se regarder. Il y a un curieux vide dans son propos, une inconsistance au creux de ses gesticulations et de ses bruitages. Pourtant certains réclament une ferveur retrouvée par-delà les masques, un mot de passe à partager en amis, une parole en juste longueur d'onde.

     Alors ils choisissent de faire halte. Ni meilleurs, ni prires que d'autres, sans doute, mais fervents d'une étoile qui ne leur appartient pas vraiment. C'est dans ce lieu à ciel ouvert, nourris et traversés, qu'ils se nomment poètes, chose rare en ce temps. Ils disent la poésie bien vivante, émue par le chant de sa nécessité, promise de toutes les promesses à l'accomplissement.

    Ils se sont mis à la table commune du Scriptorium. Là, chacun grandit à sa propre parole en éprouvant le langage de l'autre. Les mots sont jetés sur la table, à la façon des cartes qu'on redistribue, chaque fois. Le temps donné d'un intervalle est le rythme retrouvé du sémaphore qui disparaît, revient, disparaît, revient...

    Ici et là en même temps, ils apprennent l'art de recevoir les jours à inventer. Dans le travail de l'aube, il y a du bonheur. Quand la donne du jeu et la quête du sens se croisent puis se fécondent, l'aventure peut commencer.

    L'aventure a déjà commencé. Demain, sur les routes du vaste monde, ils partent à la rencontre, le coeur devenu différent, l'esprit relié. Cette voix de la poésie que bâillonnait l'empêchement de l'ordinaire du jour se fait entendre à nouveau. Hasard incandescent.

    Et chacun à son pas rejoint les parvis.

    Le rire aux lèvres, nous sommes avec vous de ces quelques-uns qui oeuvrent pour qu'habiter la terre signifie.

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    Nuit du 31 décembre 1999

    au 1er janvier 2000

     

    Dominique Sorrente

     

     

     

  • Fragments sorrentins

     

    Derrière les volets gris

     

     

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    Autrefois, la terre était la terre qui emporte tout sur son passage,

    et la terre passait.

    Demain, si proche, n'est-ce pas la terre, elle-même, qui est emportée ?

    Je voudrais ici sur parole ne pas être cru.

                                    

     

                                                                *

     

    Et sur parole encore.

    Les vraies questions : celles qui s'ouvrent à la lumière

    et glissent sous la porte, au matin.

    Les vraies réponses : celles qui savent dans un fossé du soir

    perdre leur temps.

     

                                                              *

     

    Je plaide pour des utilités sans gloire et sans armure,

    celle des bulles de savon, par exemple.

     

    Elles, du moins,  savent s'envoler en demandant : quelle est l'utilité

    de vos utilités ?

    Et il n'est pas  nécessaire de chercher à les retenir.

     

     

                                                               *

     

    Sur la fenêtre, une déesse à la cognée.

     

    Sa mémoire a fermé les portes à double tour,

    pour s'endormir dans la fontaine.

     

    Là, je bois comme j'écris.

     

    D'une gorgée à l'autre, remontant vers le signe d'abondance,

    sous le paraphe des orangers.

     

                                            *

     

     

    Le monde : tu peux l'appeler ainsi sous l'acacia qui dure.

    Il est fait d'étoiles filantes et de mousses, de fourmis  et d'anges gardiens,

    de rues ouvrant sur des fleuves, de limites et de franchissements.

     

    Une partition qui se donne à portée du premier regard innocent venu.

     

                                                        *

     

    J'aime les yeux qui demandent ce qu'ils savent déjà.

    Comme une promesse faisant retour.

                                                                      

                                                        *

     

    Cette limite inconnue qui nous raconte, jour après jour.

     

    Ce chant lacunaire où nous tentons des bribes, avec nos gorges d'assoiffés.

                                                  

                                                     *

     

    Dommage parfois de ne pas savoir saluer à sa juste valeur d'oiseau divin

    un geste de sportivité au milieu des roses.

     

    Comme refermer en plein soleil les volets gris pour libérer le paysage.

     

     

    Dominique Sorrente

      (Inédit 2006)

     

     

  • Hommage à Christophe Tarkos

     

     

    Pour Christophe Tarkos

     

    « Je suis né en 1963. je n’existe pas, je fabrique des poèmes.

    1-Je suis lent, d’une grande lenteur.

    2-invalide, en invalidité.

    3- séjours réguliers en hôpitaux psychiatriques depuis dix ans.»

     

    Christophe Tarkos est mort le 30 novembre 2004

     

    Telle est la notice biographique de Tarkos dans le catalogue des auteurs P.O.L, éditions qui se partagent avec Al Dante l’honneur de l’avoir publié.

    Difficile en partant de ces lignes pleines d’humilité mais auxquelles la mort donne une résonance tragique de ne pas tomber dans l’hagiographie. Et de ne pas écraser cet ascétique travailleur de la langue sous les références sublimes : génie précoce comme Rimbaud, fulgurances nées de l’inadaptation comme Artaud, combat minutieux et héroïque avec les mots, « les sons fondamentaux », comme Beckett.

    A mes mots, j’imagine qu’il aurait souri, ou plaisamment protesté. J’imagine, ne l’ayant pas rencontré mais ayant dans ma mémoire la ritournelle, cocasse, enfantine, à la fois tendre et burlesque du Petit Bidon.  Expressif, le petit bidon. La ritournelle commence  ainsi

    On a un petit bidon, un bidon d’huile, sur la table, un petit bidon vide, un petit bidon normal, normalement, sur la table, avec du vide dedans. Il est fermé, mais il est vide

    Et ainsi s’achève : On a de la chance d’avoir un petit bidon, le petit bidon posé là sur la table. Merci, le petit bidon, merci le petit bidon.

     

    Difficile aussi à la lecture de l’œuvre de ne pas employer les grands mots, les gros mots.

    Le « métapoétique », Ma langue est poétique, ma langue est absolument poétique, ma langue est immédiatement poétique, ma langue est poétique, ma langue est poétique est un leitmotiv poétique, ma langue est poétique est poétique, ma langue est poétiquement désirée, c’est un désir de langue, un désir de langue poétique, ma langue est une langue poétique, ma langue se répète poétiquement, ma langue est une répétition poétique, ma langue s’agence poétiquement, ma langue est un désir de langue. Ma langue

    Le « métalinguistique », Il n’y a pas de mots. Les mots ne veulent rien dire. Les mots n’ont pas de sens. Il n’y a pas de mots parce qu’il y a un sens, le sens a vidé les mots de toute signification, les a vidés complètement, il ne reste rien aux mots, ce sont des sacs vides vidés qui ont été vidés, le sens a pris tout le sens, il n’a rien laissé pour les mots, coquilles vides, le sens se débat tout seul, il n’a nul besoin de mots, le sens veut tout, veut tout prendre, s’essaye, il ne se rattache à rien, les mots se rattachent à rien, il ne veut pas se rattacher, il veut continuer à faire sens coûte que coûte, il écrase les mots pendant qu’il se débat, pendant qu’il se débat seul, on ne peut plus prendre les mots pour des éléments de sens, pour des éléments de tirades sensées, il n’y a pas de mots, il y a le sens qui pousse, qui s’attache à la poussée.  Le Signe=

    L’ « ontologique »,  il n’y a pas d’autre langue que la langue. Il faudra essayer d’entrer. Au seuil un ennui enlève la force. Il n’y a pas d’autre langue que la langue, il faudra entrer à l’intérieur, on a toujours été à l’intérieur, il n’y a pas à entrer à l’intérieur, on est dedans, y aura-t-il question de sortir du ventre ou faudra-t-il toujours essayer de rester ainsi à l’intérieur du ventre….  Le Signe =

    L’ « éthique », Tu vois, dire la vérité, c’est le poème. Tu vois de dire la vérité, le problème que ça pose. La contrainte qui se fixe quand on se dit je vais dire la vérité.[…….]   Le poème ne veut pas dire la vérité du monde mais il veut dire la vérité. Je ne vois pas si la différence est compréhensible, si tu l’entends. C’est une grosse contrainte que de ne pas dire ce qu’on peut sentir n’importe comment. Tu vois le genre de désagréments que ça apporte de n’avoir qu’à la dire. Je veux dire personnellement, tout de suite, par écrit. Par exemple, si tu es con, toute la connerie qui se met à la place de la vérité qui devait s’y mettre. Pan

     

    Car, il faut bien l’admettre, la poésie de Tarkos pense et à sa manière, humble, farfelue, j’oserai dire rigolote, mais formidablement inventive, elle crée des concepts : la pâte-mot par exemple. Pâte-mot est la substance, est la substance de mots assez englués pour vouloir dire, on peut se déplacer dans pâte-mot comme dans une compote, pâte-mot est une substance dont on peut mettre à plat la substance, on peut aussi la mettre pas à plat en bosse, en faire de la neige et en faire des nuages……Le Signe =

    Et ce sont les termes d’un philosophe, Deleuze, qui viennent à l’esprit pour qualifier l’entreprise de Tarkos, ceux qu’il utilisa pour rendre compte de l’expérience de Beckett ou de Kafka : épuisement du possible, bégaiement de la voix, pratique de sa langue comme d’une langue étrangère.

     

    Qu’il me soit permis en définitive d’essayer de m’expliquer simplement le choc qu’a produit sur moi la poésie de Tarkos .

    Entièrement immanente à la langue, elle a, me semble-t-il, un pouvoir inouï d’évocation (d’invocation ?) du monde. Entièrement ironique (dans le sens où elle interroge et critique sans cesse sa propre pratique) elle est, me semble-t-il, émotion pure (angoisse, douleur, révolte, compassion)

    Entièrement maîtrisée, elle se fait au risque de la déraison.

    Enfin, pour moi, son plus grand titre de gloire est de s’être nommée un temps Poézi Proléter : refus de la culture bourgeoise [en ce qu’elle promeut un sens (le sien) avant tout] mais surtout engagement dans la lutte au nom de l’honneur des poètes.

     

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    Nuages ou Pour en finir avec le jugement de Tarkos

     

     

    Je suis nue

    Sans âge

    Nue

    Huée

    De toutes parts

    De ma part

    Dénuée

    Parfois obnubilée

     

    Nouée

    Nulle

    Sans mariage

    Viellarde

    Ennuagée

    La poésie est belle

    Elle passe par là-bas

    Sans lien avec la terre

    Où je m’enroue

    En rage

    Et la langue nouée

     

    Je suis dans le cirage

    Nuages

    La rage n’est pas la confiture

    Exquise

    Aux bons poètes

    Et pas un traître mot

    Ou alors des mots traîtres

     

    Qui ne peuvent pas traire

    Extraire

    Le lait des nébuleuses

    Exprimer le jus pur des nuages

    Qui passent sans me voir

     

    Vous qui passez

    Mirages

    Sans me voir

    Ô miroir

    Je suis nue

    Huée et dénuée

    Obnubilée

    Sans lien avec le ciel

    Je nage en pleine terre

    La tête ennuagée

     

    Je suis damnée

    Niée

    Nue

    Huée

    Dénuée de toutes qualités

    Ma poésie à moi est ouvrage de dames

     

    On m’a damé le pion

    Damnée

    Nue

    Avant l’aube

    Je fus assassinée

    Avant toute sentence

     

    Nuages de Tarkos

    Devant vous je parais

    Déniée

    Dénigrée

    Âme noire niée

    Je hurle à la nue

    Nue huée

    Dénuée

    De tout sens et de toute décence.

     

     

     

                                                 Françoise Donadieu

     

     

     

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    • C. Tarkos (Note de lecture sur Pan, par Jérôme Game)
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           29.III.2008