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Le Scriptorium - Page 143

  • Propos du Futur Antérieur

     

     

    C’est bien connu, les poètes entretiennent une relation ardente, équivoque, souvent déconcertante, avec les temps des verbes qu’on enseigne à l’école. Il leur arrive de malmener le présent à lui donner le tournis, de déplacer les imparfaits dans d’improbables futurs, de jouer le conditionnel comme une certitude dérobée de l’instant, prédire l’éternité dans un paysage à l’ancienne.  Ils disjoignent, ils relient, ils interrogent sous toutes ses coutures la courbe du temps qui a bien des difficultés à demeurer docilement euclidienne. Bref, ils évoluent ici comme ailleurs en univers joyeusement instable.

     

    Le futur antérieur apparaît dans le dispositif du Scriptorium comme un temps particulier propice à conjuguer à la croisée des dimensions. Il y pointe sûrement la sensation de la perte irrémédiable qui emporte avec elle le coffret des souvenirs. On peut aussi lui découvrir la vertu d'un rare moment où l’accomplissement n’est pas encore clos, mais où déjà il se donne à lire. On aura vécu, disent les écrits de ceux qui égrènent ces pages. Sous-entendu, cela en valait bien la peine et la joie, toutes ces rencontres de mots et d’âmes en errance…

     

    On peut aussi s’embarquer dans une gamme de l’esprit qui vous fait regarder aujourd’hui dans un déjà futur qui apprend à se retourner. Nous nous serons bien amusé, après tout…

     

    Le fonds du Futur antérieur est ainsi toujours en chantier, fait de ces boucles qui nous font passer sur les instants d’hier comme sur ceux de demain pour inventer des solutions, insaisissables par nature.

     

    Au grand jeu de la coïncidence qui est le nôtre, l'aujourd’hui qui nous requiert aura ici cette humeur d’un jour qui lève, toujours paradoxal. Un point sur une géométrie de fortune où nous n’en finissons pas d’apprendre à nous loger, toi, moi, et tous les scripteurs de passage, les perdus de vue comme ceux qui pointent à l’horizon. Le « toujours maintenant » en exercice de cordée.

     

                                                                          

    Dominique Sorrente

     

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    Vous avez dit "Intervalle" ? 

      

    Le Scriptorium se présente sous la forme d’INTERVALLES où se réunissent poètes, artistes et lecteurs du groupe, membres de l’association ou invités d’honneur.  Chaque Intervalle est l’occasion de vivre une expérience de création partagée, à partir de thèmes proposés en amont, d’évocations de lectures et de toute autre digression intempestive, l’imagination du moment faisant le reste !  Seule loi de l’Intervalle : que la poésie vivante soit le fil d’Ariane des travaux.  Quelques thèmes explorés : «Poésie des éléments», «Lettres amoureuses ou pas», «Musique et Poésie : comme une partition », «Marseille, Glasgow, etcetera », «Poètes phares et poètes voisins», « Danse Improésie »,  Hommage à Louis Brauquier...

    Les travaux réalisés dans le cadre des Intervalles du Scriptorium sont vécus comme des moments particuliers et irremplaçables, chacun repartant ensuite dans sa vie personnelle en ayant fait son miel des paroles échangées. Au-delà de ce temps spécifique, les membres du groupe colligent un certain nombre de traces qui constituent le Fonds du FUTUR ANTÉRIEUR.  

     

     

     

     

     

     

     

     

  • En malle de Légende V

     

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    Au Scriptorium... de Marseille !

     

     

    Depuis l’enfance, je ne connais pas le Vallon des Auffes. Ni les Catalans. Enfin, je ne connais pas… je connais bien un peu. Comme un touriste.

    Un de passage. Il y a peu, je me suis assis dans un cabinet de pédiatrie du boulevard Cieussa ; maintenant, je suis, par intervalles, du quartier.

    Mon accent vauclusien me fait immanquablement reconnaître pour quelqu’un du nord, moi qui suis du sud jusqu’à la moelle… mais j’ai vu les amarres des pointus depuis le haut du pont, alors… La dernière fois, c’était dans une maison de jeux municipale. Une curiosité. La prochaine, chez des retraités, peut-être… L’écritoire des poètes est  nomade, enraciné dans un périmètre dont l’horizon maritime tranche avec le bitume.

    Quelque part, quand je rejoins le Scriptorium, je vais à Marseille, chez Doumé… J’aime ça ! J’attends mon premier pastis sous la Bonne Mère ; mon poème suivra !

     

     

    Olivier Bastide

     

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  • En malle de Légende IV

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    Un samedi aux Catalans

    sous la houle de novembre

    Intervalle gagnant 

     

     

     

    On entre. Pas besoin de défalquer ou de disjoindre. On entre, rien de plus. Et ainsi on devient habitant.

     

    Il convient ensuite de trouver sa place, veste habillant un dossier de chaise, objets placés en devanture, mots en friche, humeurs pleines. Chacun à sa table, à son plan d’écritoire, son territoire intermittent. Beau désordre… Il fait un temps propice à la déverse, mais pour l’heure, ce qu’on réclame est de la retenue. Un silence à mâcher avant toute profération.

     

    Alors survient la première injonction : « Je vous invite à poser la pensée de l’instant qui s’impose à vous à ce moment de la journée. Sans jugement ni crainte, avec ce qu’il faut d’attention aux mots qui vont s’écrire sous votre main. Concédez pour cette pratique improbable et fertile les ratures qui traduisent votre condition, les élans géants et minuscules de la dernière-née de vos visions du monde, votre style, en quelque sorte, parti bravement à la recherche de son ombre. Cette pensée vous accompagnera durant tout le séjour ; de plus, elle rejoindra les autres habitants qui ont fait, chacun à sa main, le même geste du dedans. Ici, pas de cabinet noir définitif, la veilleuse allumée, la bouche en feu, et voilà… »

     

    La seconde injonction naîtra un peu plus tard : « À présent, soyez copistes de quelques phrases qui vous ont précédés. Certes, vous êtes de la première importance, mais est-il inconvenant de penser que d’autres vous ont devancés dans cet étrange exercice d’une suite de mots à aimanter ? Graine de précurseurs, vous leur ressemblerez demain. Placez-les donc sous votre main comme si ainsi vous les remettiez en chemin de première création, comme si par vous leur existence en quelques vers se remodelait. Des poèmes jadis vous ont ouvert le pas. L’un vous fait signe ici. Vous avancez dans la  rondeur de ses lettres. Vous pratiquez la main d’écriture qui vous relie à votre enfance, où copie n’était pas geste interdit, mais forme unique de bonheur imagé. Cela se passa avant l’invention de l’imprimerie ; cela se passera après...»

     

    C’est le temps de l’œuvre aux couleurs, les habitants donnent de leur silence non entendu.

    Ils font la courte échelle d’un poème à l’autre. Sourire en coin, sueur en prime, faut-il qu’il leur en souvienne… Les âmes muettes exécutent leur partition.

     

    Quand tout cela est fait, vient le moment de rapporter en paroles croisées, découvrir sous l’empan des heures l’écho imprévu du voisin, toutes ces bribes de conversation à ciel ouvert. Les deux encrages, pensée d’instant, poème copié, ont trouvé leur séjour, dans ce petit monde d’intervalle qui glisse à présent à son rythme.

     

    Plus tard, les habitants ont redoublé de mots, jeté d’étranges sonorités, appelé l’apprentissage du souffle à la rescousse. Insolite bruitage, chorus de ces périodes. Un beau tapage a fertilisé le hors - champ.

     

    Puis quelqu’un a crié le mot « terminaison », et le mouvement du ressac final est venu.

     

    - Faut-il partir l’un après l’autre, chacun dans son siècle, ou tous dans un au-revoir d’unisson ? a demandé le plus fugace.

     La réponse s’est perdue dans un coup de vent imprévu.

     

    - Mourrons-nous ensemble ou séparés ? a risqué une voix chanterelle entre ferveur et anxiété.

     

    - C’est donc l’heure de passer à table ! a fait la boutade assurée, avec son talent de gourmande.

     

    Décidément, il est dit en ce lieu éphémère qu’aucune dispersion ne ressemblera jamais à la précédente ni à celle qui vient.

     

    Ainsi vont les géométries poétiques.

     

    Une mallette ouverte a pris son rôle devant la porte. Chaque habitant, avant de rajuster son chapeau et de franchir le seuil, avant même de tomber dans le caniveau bras dessus bras dessous ou de gagner au loto un soir d’orage, a déposé dans l’urne favorable, autrefois emplie de dives bouteilles, des traces de son passage. Sur le couvercle, les yeux avertis ont appris à lire : « Obole pour la perte ».

     

    - N’ayez pas peur de cet adieu. Quelque chose s’est accompli comme une mue de lézard blanc. Un de mes acolytes passera demain pour secouer l’ensemble de vos travaux, voir ce qui peut survivre au tamis de la relecture. Le monde peut à présent reprendre son récit… Faites cependant attention à la marche en sortant du poème,  a ajouté l’ange des parenthèses.

     

     

     

    Dominique Sorrente

       

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