Campagne Pastré, Marseille. Ce 25 juin.
Entre deux matchs de l’Euro de foot, après la mauvaise blague du Brexit, l’invention idéale promise à la saison d'été qui, cette fois, annonce la couleur.
Joëlsonne et Medjina en plein travail
Oui, une sieste poétique, la première du genre au Scriptorium, avec ses règles à énoncer. Entre deux campements de nénuphars.
ICI on peut dire des textes passionnants ou soporifiques, sans être inquiété par la police du ras du sol.
Chaque lecteur reçoit un chamallow comme récompense. Ça encourage étrangement les audaces.
L’auditeur a le droit de ronfler. Et le lecteur aussi…
Le scripteur en chef en pleine posture méditante
À chaque intervention, on salue, à la façon des sourds, en agitant les bras vers le haut.
La guitare pourra lâcher ses accords au gré des chansons et des comptines.
L’yeuse proposera son abri généreux aux nattes en tous genres.
Le temps s’étirera à la mesure de l’intervalle ouvert.
Un ange sous l'yeuse lit son voyage vers les îles
Hic et nunc. Une quinzaine de participants ont goûté ce plaisir-là. Où fut également proposé un micro-atelier, inspiré du livre de l’Art de la sieste et de la quiétude, tiré de la sagesse chinoise.
Écoutez comment vient cette Sieste au milieu de l’été (Liu Ch’ian)
dans la solitude désœuvré au cœur de l’été
contre les murs sous l’auvent, je suis en quête de vent frais
mes plans politiques ambitieux n’intéressent personne
mieux vaut donc être un dragon endormi au soleil du sud.
Les réponses sont venus, écrites sur les genoux, au bord des tiges, en palabrant avec les insectes. En voici quelques-unes :
"sous le pin parasol
les soleils s'affolent
les puissants n'en ont cure
les marchés en armure
l'Angleterre s'est fait la malle
l'Europe entière
est à repenser
mais il faudra pour commencer
avant toute chose se reposer
la carpe koï pour alliée
Emmanuelle Sarrouy
Que t’apportera cette attente de vent frais ?
L’attente d’autres mondes, d’autres cieux,
d’autres dragons éveillés…
Appel des humains éblouis…
Thérèse Dufresne
slam à deux voix venues du Var
vers dans le vert, sous les arbres,
rimes qui roulent à bicyclette
vers un ailleurs caché-
on roule, on roule, on se perd…
cercles d’enfants qui jouent, qui rient,
ballons en vol, ballons au sol,
on joue aux boules,
on chante « joyeux anniversaire ! »…
on applaudit…Pour qui ?
Marthe Paoli
Au bivouac des poètes, assis sur leurs nattes,
en bord de nénuphars,
nous sommes en quête d’immobile,
mes petits comptes d’apothicaires sur les résultats des matchs
n’intéressent personne,
mieux vaut donc laisser le temps devenir
papillon qui rêve
Dominique Sorrente (1)
*
Mieux vaut préférer ce qui est farfelu
S'échapper, oui mais en vain
Pour aller où ?
Alors :
Courir, contre quoi, pour quoi, contre courant
Rouler comme un ballon
L'herbe ailleurs reste verte
Et des cris et des cris et des craquements
Toujours dévaler pleins phares, pleins feux
Qu'importe que ça soit
Lu, ou non
Vu, ou non
Entendu, ou non
Le vent emportera les lettres et les couleurs
Sur les pages
Et les gros titres cracheront leur encre
Dans la sueur de joueurs
Effondrés, ou non
Puis la chorégraphie hilarante, peut-être
D'un dragon
Puis quarante carats
Ou quarante jours plus loin
On oubliera
Et on recommencera
Mieux vaut préférer ce qui est incongru
Glisser, oui mais en vrac
Pour aller où ?
Alors :
Courir, contre quoi, pour quoi
MÜ
*
Au milieu des bruitages des campements voisins,
vautré sur mon plaid au tartan d’Ecosse,
je digère mille chamallows
mes soucis de capsulite rétractile n’intéressent personne,
mieux vaut donc dériver
jusqu’à ici et maintenant
en applaudissant les mains en l’air
Dominique Sorrente (2)
*
Sur le vert allongé et sali
Balancée par le son de la ville d’à côté
Je pense à l’espace
Séparant la chose de son contraire
Mieux vaut être aujourd’hui
Que tous les jours de toutes les autres semaines
Sylvie Combes
Et pour s'abîmer tout à fait dans ce temps qui fut nôtre, cet extrait d'"Un homme qui dort" de Georges Perrec:
"Il y a d'abord des images, familières ou obsédantes ; des cartes étalées que tu prends et reprends sans cesse, sans jamais parvenir à les ordonner comme tu le voudrais, avec cette impression désagréable d'avoir besoin d'achever, de réussir cette mise en ordre, comme si d'elle dépendait le dévoilement d'une vérité essentielle, mais c'est toujours la même carte que tu prends et reprends, poses et reposes, classes et reclasses ; des foules qui montent et descendent, vont et viennent ; des murs qui t'entourent et dont tu cherches l'issue secrète, le bouton caché qui fera basculer les parois, s'envoler le plafond ; des formes qui s'esquissent, s'esquivent, reviennent, disparaissent, s'approchent, s'estompent, flammes ou femmes qui dansent, jeux d'ombres.
Plus tard, des souvenirs qui ne parviennent plus à se frayer un chemin, des preuves qui ne prouvent plus rien, sinon, peut-être, qu'un Observatoire à Aberdeen, à Inverness, a effectivement réussi à capter des signaux venant d'étoiles lointaines : était-ce la Nébuleuse d'Andromède, ou la Constellation de Goll et Burdach ? Ou les Tubercules quadrijumeaux ? La solution immédiate, évidente, du problème qui jamais n'a cessé de te préoccuper : le cavalier n'est jamais maître à cœur à moins que le fausset n'ait été défaussé. Des mots sans suite porteurs de sens embroussaillés tournent en rond autour de toi. Quel homme est enfermé dans quel château de cartes ? Quel fil ! Quelle loi ?
Il faut être précis, logique. Agir avec méthode. À un moment donné, il faut à tout prix savoir s'arrêter, réfléchir, bien peser la situation. S'il y a un lac au milieu de ta tête, ce qui est non seulement vraisemblable, mais normal, encore qu'on ne puisse l'affirmer sans précautions, il te faudra un certain temps pour l'atteindre. Il n'y a pas de sentier, il n'y a jamais de sentier et, près des bords, il te faudra faire attention aux herbes, toujours dangereuses en cette époque de l'année. il n'y aura pas de barque non plus, bien sûr, il n'y a presque jamais de barques, mais tu peux traverser à la nage."
Les photos de la Sieste poétique ont été réalisées par Audrey Gambassi. Avec tous nos remerciements ainsi qu'à tous les participants de l'après-midi.