portrait de Christian Guez par Jean-Marc de Samie
IL DIT ENCORE…
Je n’ai plus connaissance sinon
du seul silence qui là-bas m’a reconnu
Christian Gabriel/le Guez Ricord
Il dit encore :
c’est ainsi
l’emplacement exact
où j’ai perdu mon chemin
sur la terre de l’insensible.
Quelque chose a bougé
pour que se forment en chrysalide
dans cette nuit plus loin
l’exil et la patience.
Il dit encore :
la nuit, c’est elle encore, ce pli durable, toute ma vie en quarantaine,
elle dans l’enchevêtrement des pas,
ou bien
l’acte de s’éloigner encore et encore
au paysage des années,
quand on sait de moins en moins dire : « où es-tu ? »
et que pourtant on cherche dans les recoins
le maître de l’insomnie.
Il dit encore : continue de manger le petit livre oublié,
qui est fait de présent et d’oubli, dans la dépossession ouverte
où ne se joue plus le temps ni son contraire.
Il dit encore : visage toujours pâle,
vêtu de peau arabe, portant sourire hébreu,
et l’habillage des résolutions qu’on retourne,
et les tendresses au milieu des hoquets, et le café
pour saturer le marc de la parole.
Il dit encore :
écartez-vous de ceux qui ont morcelé l’innocence,
il y a désormais ce peu d’écorce laissé sur le sol,
ce glyphe d’éphémère malmené par le sable,
et dans ma constellation, vous me reconnaîtrez,
je suis le poursuivant des dernières poussières,
l’ange posté contre le mur,
Germain Nouveau en perdant magnifique
est l’ami éprouvé
et le chien s’en souvient
au parvis de la basilique Saint-Sauveur
où tous les amoureux distribuent la monnaie des morts.
Il dit encore :
sur le fronton de la rue du sommeil,
on a posé ces vers
Pourquoi le nom du navire
Puisqu’il est l’heure de l’étoile
et l’étoile depuis se poursuit, à la tourne des heures,
et dans le vide maternel, même une mandoline
devient
un corps fébrile.
Il dit encore : ne cessez pas de questionner,
qui peut départager
celui qui sait et l’autre, tête-bêche,
dans la sueur amère des nuits que nous formons ?
Il dit encore : l’un après l’autre, vous partirez aussi,
tandis que les retardataires vous donneront le geste machinal
comme on allume un feu
de l’autre côté du fossé.
Il dit encore : vingt-quatre années plus loin,
c’est si peu sans langage,
peut-être dans vos noms sentirez-vous ma revenue
d’un temps à l’autre, et cette part de trouble
au coin de la rue qui s’absente.
Il dit encore : et chacun à son tour devra tomber,
en racontant les fenêtres écorchées,
routes, sœurs perdues, rien ne trompe le temps,
mais ce n’est pas le fin mot de l’histoire,
quand les instants convoient le souvenir
de la fête des morts en lumière
et les deniers de la raison,
j’ai vu
une barque qui a quitté le ciel en l’emportant pour toujours avec elle.
C’est un long jour parmi les nombres, parmi les eaux ;
où se tient-elle,
celle qui saura en moi
blottie dans mon impasse
prélever la part sauve du temps ?
Si elle se glisse
en lune autour du cercle,
continue d’écouter
l’heure ouverte
qui jamais ne descend tout à fait.
Nous écrirons à quatre mains le psaume,
je te le dis,
et suivrons dans les yeux
la lueur du jour qui ne délivre aucune trace.
Il dit encore : éclipse,
le feu caché des circonstances.
puis le Seul
nageant au seul amour,
veillant au cœur,
c’est d’ici que toujours
nous partons.
(extrait de Il y a de l'innocence dans l'air, édition L'Arbre à paroles, 2014)
Ce poème en prolongement de la belle soirée d'évocation partagée le 11 juin 2018 au théâtre de la Casina à Marseille avec des proches et nouveaux amis de Christian G. Guez Ricord.
Parmi eux, la dernière compagne Mireille Mammini, le photographe Jean-Marc de Samie (dont le témoignage de scènes sur le vif est prenant), le sculpteur et peintre André Lauro, ami au temps de Vaudrans, l'écrivain et critique d'art Alain Paire, les poètes André Ughetto, Marien Guillé, Jacques Lucchesi ...
Merci à Martin Kimmel d'avoir accueilli ce moment de ferveur et à Danielle Manoukian d'avoir prêté sa voix.
L'oeuvre de Christian G. Guez Ricord continue de s'écrire et de se dévoiler grâce à des éditeurs fidèles et obstinés, Anik Vinay (L'Atelier des Grames), Christian Le Mellec (Le bois d'Orion), avec le concours de Bernar Mialet, exécuteur testamentaire, et le remarquable travail de déchiffrement lancé par Ana Maria Girleanu en 2008, lors de sa thèse universitaire « Négation et Transcendance dans l’œuvre de Christian Gabrielle Guez Ricord » ( Paris IV).
À signaler récemment la lecture d'extraits de la Couronne de la Vierge par Caroline Sagot-Duvauroux au Marché de la poésie de Paris.
Egalement la belle présentation faite par Olivier Boura qui figure dans son Dictionnaire des écrivains marseillais (édition Gaussen, 2017).
Et encore le documentaire Devenir Ange réalisé par Stéphane Sinde: http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/28045_1
Pour entendre la voix de Christian Guez Ricord, on peut retrouver la belle émission de Catherine Soulard "Surpris par la nuit" (France Culture): https://www.youtube.com/watch?v=_wqWp1J7hjo
Un voeu (parmi bien d'autres, concernant l'oeuvre de "beauté géante" tant poétique que picturale de Christian G.Guez Ricord : la réédition de l'ouvrage à deux mains "Du fou au bateleur" écrit avec le psychiatre Jean-Pierre Coudray en 1984. Qui s'y collera ?
Mon exemplaire unique réclame compagnonnage...