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Hors les murs - Page 3

  •  FAIRE CARAVANE POÉTIQUE: NOTRE PRIMITIVE PASSION par Dominique Sorrente

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    « Les rues ont des noms, des numéros. À chaque numéro, aux façades, les noms de ceux qui y vivent. D’autres vécurent, d’autres vivront.
    Entre les murs, croisons les fantômes du passé, l’ombre de l’avenir. Les immeubles parfois s’effondrent. Tout comme les civilisations. Faut-il reconstruire ? Est-ce encore possible ?
    Avec un peu d’attention, quelques gestes d’humanité ou de langage, on aimerait colmater les brèches, poser des pansements dérisoires sur les plaies ».

     

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    Ce beau témoignage de Nicolas Rouzet à son retour d'Ulysse massaliote, dit fort sensiblement ce qu'a pu être la caravane poétique du Scriptorium le 24 avril à Marseille.

    Un pari audacieux, alors que la pandémie continue d'étirer son ombrageux ciel de traîne...Et pourtant un besoin, une nécessité de se retrouver en chair et en os, de réaliser un geste poétique en commun, comme nous le proposons au Scriptorium depuis plus de 20 ans. Ici, pérégriner à plusieurs, dans les lieux de Marseille où vit la mémoire des poètes, aller d'un point à un autre, dire des poèmes à chaque halte, prendre des voix et des voies de traverse, mêler le "pas gagné" de Rimbaud à la magie des mots prononcés à l'air libre. Croire à la confluence entre la chambre d'écriture et la marche à ciel ouvert.

     

    Or, dans ce temps de pandémie si souvent délétère, qui fait la part trop belle aux replis, empêchements de toute nature et aux mille raisons de renoncer, dans cette période de vies blessées, bloquées, et qui se perdent de vue si facilement, il m'a semblé, plus que jamais, nécessaire de faire Caravane. Et pour prouver par le réel que cela avait du sens, j'ai conçu un parcours dans Marseille. Marseille-en-poésie, autour de la "rive neuve" et vers la colline de Notre Dame de la Garde. Un parcours pour réveiller la mémoire de nos devanciers. Dire que le poème fait signe tout autour de nos quotidiens, et que, pour nous, si souvent hypnotisés par le saccage et la saturation des écrans, seul manque l'innocence retrouvée des yeux et des oreilles.  Pour aller au poème, et boire aux "fontaines de l'inspiration" comme l'écrivait AE.

     

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    Le 24 avril, c'est comme cela que tout a commencé. Sur une place minérale à l'italienne, avec des lampadaires à la place des arbres. Un canal disparu. Et la promesse de graines à jeter, de mots à troubler les regards assagis. Un goût d'effervescence.

     

    C'est comme cela que tout commence toujours en poésie.

     

    Par le vent, seul vrai maître des lieux, qui nous somme de parler haut et fort, par la jubilation de croiser les mots et les instants, par les gens qui se rassemblent et écoutent du fond des âges les voix des poètes qui nous précèdent et nous font signe: il y a du sens infiniment à vivre ainsi.

     

                                     Dominique Sorrente

     

    IMG_1566 Les pins près Gerald Neveu copie.JPG

     

         (pins rue Pythagore, au-dessus de l'habitation de Gerald Neveu

            où selon Jean Malrieu se retrouvaient "les poètes de Vauban") 

     

  • ENTRETIEN EXPRESS AVEC D SORRENTE à LA DIGUE DU LARGE

     

    à l'occasion de la sortie de A la digue du large (créé avec le peintre Gilles Bourgeade, édition Tipaza, 2020), Dominique Sorrente trace quelques repères pour la lecture-signature-expo qui se déroulera prochainement à l'atelier Christine Fabre Bourgeois à Marseille. Une mise en condition tonique !

    En route pour le déchiffrement...

                                           

    D Sorrente Gilles Bourgeade photo de Beatrice Somville.jpg

         Dominique Sorrente                Gilles Bourgeade

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    AJL : Côté livres, on vous avait quitté en poésie (avec « Les gens comme ça va » (Cheyne, 2017), qui portait toute son attention à l’humain contemporain, étrange et familier, au sortir des attentats de 2015...Ici, on vous retrouve au contact avec les éléments, et notamment la mer, votre proche horizon à Marseille, comme un prolongement de cet autre livre, "Mandala des jours". D’où écrivez-vous aujourd’hui?

     

    DS : J’écris d’où ça me chante !  "Est-ce ma faute à moi si ce n'est pas le même à chaque fois..."(sourires). Chaque pierre de touche me renvoie à l’autre. Ce n’est jamais le moi raisonneur qui commande les poèmes. Ici, je ne délaisse pas la pâte humaine, loin de là. Mais je réapprends à respirer pleins poumons et j’aimerais donner à respirer face à la mer.

     

    AJL : C’est un livre à double entrée. Un poète, Dominique Sorrente et un peintre, Gilles Bourgeade. Comment se passe la  co-existence entre les auteurs ?

     

    DS: Complicité, connivence, compagnonnage...espérons que nous n’en restons pas à la première syllabe…! Gilles Bourgeade est un peintre d’une rare agilité, à l’écoute des poètes depuis longtemps. Lorsque je lui ai avoué ma passion pour le ping-pong, aussi bien physique que mentale, il a répondu banco ! Nous avons réalisé un « Carnet à double vue » pendant le confinement de printemps. Ici, avec A la digue du large, la mise en résonance a également opéré. Et Gilles Bourgeade a inventé ses digues en contrepoint des poèmes. Son art est de créer un univers ...parallèle...sans que l’image ne dévore jamais l’aventure des poèmes. Dans ce travail de pastels, il glisse entre Turner et Rothko, si j’ose dire…Et, comme disent les sportifs, il a un gros volume de jeu qui mérite le respect!

     

    AJL : Et l’éditeur, Tipaza ? On voit vite que ses livres sont réalisés avec un sens aigu de la forme…

     

    DS : Oui, Gilbert Casula et Yvy Bremond sont particulièrement attentifs à la disposition graphique, aux alliances des formes. Et jamais en panne de projets innovants. « A la digue du large » est le premier livre d’une nouvelle collection Nota Bene qui accueillera bientôt un deuxième ouvrage, « Ajouter au désordre », de Jacques Brossard et Roland Kraus. Des ouvrages en série limitée ( et avec quelques rares exemplaires de tête) qui, je l’espère, trouveront leurs lecteurs. Il faut saluer les éditeurs, tels que Tipaza, qui réalisent des livres de poésie dans la conjoncture actuelle.

     

    AJL : Comment voyez vous la rencontre avec le public ?

     

    DS : J’aime dire qu’écrire, c’est ouvrir une fête. Et pour qu’elle soit réussie, il est indispensable de partager une rencontre. C’est la raison pour laquelle nous avons donné rendez-vous avec les futurs lecteurs, ce dimanche 11 octobre, à Marseille, au 25 cours d’Estienne d’Orves. C’est un immeuble emblématique de la vie artistique, avec au rez-de-chaussée la librairie salon de thé Les Arcenaulx, et aux étages plusieurs ateliers d’artistes. Notre rencontre est accueillie par la relieuse d’art, Christine Fabre Bourgeois, ce qui est réjouissant et correspond bien à la démarche de tissage entre les arts que pratique aussi  notre livre.

     

    AJL: Et quel sera le mode d'emploi de la, ou plutôt des rencontres ?

    DS: Rencontre au pluriel, vous avez raison. Trois séquences sont prévues pour garder une jauge adaptée compte tenu de l'épidémie en cours et des précautions sanitaires que nous respectons. Une séquence à 16h, une à 17h30, une à 19h. Le public doit juste réserver par mail ou téléphone. Il y aura la partie signature des exemplaires, puis une présentation du livre par les auteurs. Je donnerai une lecture à voix haute de quelques poèmes, ma guitare traînera dans les parages... Sans oublier de jeter un regard sur l’exposition d’oeuvres de Gilles Bourgeade et un échantillon de mon fonds personnel d’auteur.

     

    AJL : Le poème pour relier, en somme ?

    DS : Oui, plus que jamais, en ces temps de recroquevillement, de frilosité, je plaide pour des moments de rencontre, comme nous le faisons au Scriptorium. La pandémie actuelle n’est pas une parenthèse, elle signe une mutation, selon moi, et nous devons donc trouver des solutions, des pratiques adaptées, sans rien céder de notre ferveur. En aucun cas, nous ne sommes appelés à nous dissoudre ! Vivre sous le signe de la poésie, c’est désirer ardemment nous relier, avec les mots dans leurs capacités de vibration. La poésie est d’abord un creuset, un lieu medium dont nous, les poètes, les artistes sommes les vecteurs privilégiés.

    Il y a du bonheur à créer ces moments, et encore plus à les vivre à plusieurs. J'espère que le public répondra à cette invitation à "ouvrir la fête"...

     

    AJL : Et j’imagine alors que vous allez lever votre verre ?

    DS : (sourire)

    Je lève mon verre (invisible)

    à la beauté, la clandestine,

    la fugitive encore à naître,

     

    à celle qui ne demande pas la permission

    d’entrer, de sortir, de passer…

     

                                                                                 

                   Propos recueillis par Anne J.Lofoten

     

                                        ***

    Pour participer à la signature-lecture-expo de A la digue du large, trois rendez-vous sont prévus : à 16h, 17h30, 19h.

    Réservation obligatoire à poesiescriptorium13@gmail.com ou par téléphone : 0491339331

    Adresse : Atelier de reliure Christine Fabre Bourgeois, 25, cours d’Estienne d’Orves, 13001 Marseille

     

                                                         

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  • DANIEL SCHMITT a 90 ans: un PRINTEMPS DES POÈTES en février

                          Au fur et à mesure qu'il avançait dans cette ville trop connue,

                         les rues devenaient nouvelles   

                                         Daniel Schmitt, extrait de Donné par la nuit (Lo Païs)

    Le triomphe de DANIEL  S.JPG

    Quel bonheur ! J’ai connu à Puryicard, au nord d’Aix-en-Provence un vrai Printemps des Poètes avant l’heure. Un 9 février. Mieux qu’un lever de rideau. Tous ceux qui viendront faire « événement » le mois prochain n’ont qu’à bien se tenir pour être à la hauteur.

     

    Le poète Daniel Schmitt vient de fêter ses 90 ans, et nous étions quelques-uns à l’accompagner dans ce geste qui fut aussi celui de croquer dans un gâteau de livres à nul autre pareil, et de compter les bulles de champagne comme tous ces jours traversés.

     

    IMG_20190209_132810 La leçon de Daniel copie.jpg

    J’ai une immense affection pour le poète de Donné par la nuit ( édité par Lo Païs, 1997). Je partage avec lui  mes initiales ( il est mon aîné dans la famille des D.S.) mais aussi évidemment bien plus que ça. Un homme rare, agile, courtois, capable d’une merveilleuse attention, et qui connaît encore par cœur des poèmes et des pensées qu’il partage à l’envi avec le public du moment. Il se dit « rangé des voitures » et tant mieux. À nous les chemins de traverse où il y a du prodige à trouver.

     

    Daniel et Manou.JPG

    Ce samedi où nous avons fêté son bel âge, il nous a encore gratifiés du souvenir de sa première rencontre avec Pablo Picasso. Une salve ! C’était en 1958. Son ami Lucien Clergue lui avait demandé un insigne et surprenant service, faire le quatorzième à la table du maître…et Daniel se demandant bien ce que c’était que cette affaire tordue, mais toujours partant pour l’aventure d’amitié, avait accepté. Il avait pris son intrépide solex, fait quelques heures en deux-roues de Cannes-la Bocca au Pont du Gard chez le collectionneur d’art, Douglas Cooper. Le solex et son conducteur s’étaient amusés comme des fous dans l’ambiance guindée des limousines.

    Dans la demeure, un Nicolas de Staël traînait par terre. Paulo Picasso servait les apéritifs de son père.  Daniel se souvient qu’il avait bu là son premier whisky et qu’on l’avait installé à côté de Jacqueline et en face du maître.

    Fin de l’épisode.

     

    À notre dernière rencontre, il y a peu, Daniel nous avait crédité d’autres histoires réjouissantes avec un art consommé de l’effet et une rare précision dans les détails. Comme Marie Ginet lui parlait de slam, irritée de la méconnaissance de nombreux poètes en la matière et capables pourtant de discourir sur le thème (lire son excellent article « Slam, peuple et poésie », publié dans la revue Terre à ciel https://www.terreaciel.net/Slam-peuple-et-poesie-par-Marie-Ginet#.XF_lIs9KjOQ   ), Daniel Schmitt, haut comme deux pommes et demie, était allé se hisser au-dessus d’une bibliothèque et avait brandi avec un grand sourire une coupe, en racontant l’histoire de son trophée. « Ça s’est passé en 1993. Deux américaines qui avaient sans doute connu Marc Kellly Smith, le fondateur du mouvement slam, ont eu l’idée d’organiser un premier concours de slam en France au château de la Napoule. Elles avaient battu le rappel. Et de ce fait, il y avait beaucoup de monde, et notamment toute la poésie qui compte et qui voulait se montrer pour ce moment. Je me suis inscrit. Le concours était mené tambour battant. Je disais un texte différent à chaque fois comme il se doit. Le public votait. Les compétiteurs tombaient petit à petit. Les poètes éliminés faisaient de drôles de têtes. Et c’est moi qui suis resté ! J’ai gagné des t-shirts, devenus des reliques, et cette coupe ». La rencontre pionnière de La Napoule ne fut jamais renouvelée. Fin d’épisode. On en fut quittes pour une photo de fortune.

     

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            Daniel Schmitt et Marie Ginet, Cannes janvier 2019

    C’est le même Daniel Schmitt, admirateur de Trenet, qui a souvent côtoyé René Char, André Villers, et plus tard écrit des paroles de chansons pour Henri Salvador.  

    Fidèle à sa passion de toujours, la poésie. Sans faux-fuyant, draperies, coteries sociales, avec juste le goût d’enchanter le réel, malgré les malheurs des temps.

     

    Déjà enfant, atteint gravement de la scarlatine, il avait inventé dans un délire de fièvre le nom de ses ennemis « les « hangués » pour mieux les convertir en mots.

    Et aujourd’hui, il en est de même : face aux monstres de notre époque dont il se sent étranger, s’accorder quelques bulles d’air, ou phrases caressantes. Et partager tout ça, partager avec ses plus intimes, comme sa femme Manou, la « Manou des quatre saisons », ou Lucile, son arrière-petite fille aux coloriages étincelants. Partager encore avec le premier venu.

     

    IMG_20190209_154805 Le gâteau.jpg

    Ce 9 février, à Puyricard où merveilleusement accueillis par sa fille Nathalie, nous fêtions notre ami, Daniel a refait ce geste que je l’ai vu faire tant de fois : sortir de son sac un feuillet, sa « Besace », et nous en donner à chacun un exemplaire.  On pouvait lire un poème de novembre-décembre 2018, grave comme la conscience du temps. Et l’énigme de ce que nous devenons en « disparus » que tôt ou tard nous serons.

                                                                 

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                         A gauche, le photographe et plasticien André Villers - à droite Daniel Schmitt 

     

     

    Comment va-t-il se rassembler

    Le Dispersé

    À qui donc va-t-il ressembler

     

    Comment va-t-il se rencontrer

    L’Éparpillé

    Dans quelle improbable contrée

     

    Qui ou quoi va-t-il retrouverL’Introuvable Trouvère

    De trous d’air en trous d’air égaré

     

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    Avec ma guitare, j’ai chanté la chanson « Petit prince de nonante ans » que j’avais écrite et composé en l’honneur de mon D.S. Et dit un poème « Quand l’année me tourne la tête » qui me semble avoir été écrit par lui. J’ai fait ça du mieux que j’ai pu comme Lucile avec son cadeau coloriage. J’ai été payé d’une embrassade d’évidence. Ici la vie ne ment pas.

     

    Oui, l’anniversaire a bien duré jusqu’ à 18h30.

    Le temps de la poésie s’étire en douceur. Avec le consentement des convives complices. Dont le peintre aixois Gilles Bourgeade, qui fut le passeur inspiré entre Daniel et moi. Pour ceux qui ne connaissent pas, visitez sans attendre son atelier virtuel: http://gilles-bourgeade.wixsite.com/arts

     

      

    Au moment où je devais repartir, j’ai vu Daniel déplacer son auto. Il s’apprêtait à repartir vers Cannes, vers son appartement à double vue montagne et mer. Avec Miro, Cocteau, et tant d’autres dans son coffre à souvenirs.

    Avec Manou, dans son silence parlant, « Manou ma saison jusqu’au bout ».

     

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    Un poëte est un sentier

    Un chemin de traverse

    Parfois même une impasse

    Et c’est bien comme ça

     

    Avec plein de gens de rencontre

    À chaque Besace expédiée

    Contre la mort contre la montre

    Je fais l’amour ou l’amitié

     

    Et que nous dit ici Lucile (qui a 4 ans et demi maintenant) ? :

    « Je décide et tout est possible ! ».

     

    Même pour Daniel de mettre un tréma sur le e de poète. Sans sourciller.

     

      

                                                         Dominique SORRENTE