"Au fil de l'eau nous caladâmes
de pierres sèches en arbousiers et récitâmes
en caravane sur la drai de Saumane" E.S.
Voilà encore une bien belle édition de la Caravane Poétique du Scriptorium hors les murs (notamment guidée par les maîtres en la matière Dominique Sorrente et Olivier Bastide) qui s'est déroulée le 09 octobre dernier en partenariat avec l'association Pierre Sèche en Vaucluse (Danièle Larcena) dans le cadre de la manifestation Trace de Poète (Nicole Mignucci). Poètes et marcheurs marchèrent et poétisèrent au fil de l'eau et sous un soleil radieux, en goûtant l'histoire du paysage environnant le château de Saumane en Vaucluse (fief de la famille du Marquis de Sade qui y séjourna pendant son enfance), histoire contée de main de maître par Danièle Larcena.
De larmiers en murs en clavade, de chemins escarpés sous ces roches appelées "peau d'éléphant" en forêts verdoyantes, chaque halte au cœur du Vallon de la Tapy fut l'occasion d'offrir un texte choisi, poème personnel ou poème d'un auteur aimé, découvert ou retrouvé pour l'occasion. Gabriela Mistral (autrice chilienne, Prix Nobel 1945) ; Claude Roy ; Eva-Maria Berg ; Ovide ; Aragon… Et haïkus rédigés en marchant au fil de l'eau par Claudine Baissière accompagnée de sa fidèle camarade de randonnée, Elfie.
Le traditionnel pique-nique, cette fois sur les hauteurs, fut le moment de reprendre son souffle, partager les mets, et faire plus ample connaissance dans la douceur de l'été indien. Avant de repartir sous la roche, magnifique habitat troglodyte restauré par l'association Pierre Sèche en Vaucluse, pour échanger encore quelques textes mis en valeur par une acoustique de premier choix. À cette occasion, furent lus en écho par Emmanuelle Sarrouy et Marc Ross deux textes écrits en hommage à Sophie Vallon, autrice, animatrice d'ateliers d'écritures (l'Antre Parenthèse), et grande amoureuse des mots et de la littérature dans son ensemble, disparue récemment.
Il fut ensuite temps pour les caravaniers de tracer un double chemin. Les plus courageux continuèrent encore à grimper avant de redescendre sur le village. Les autres redescendirent tout doucement vers Saumane pour aller prolonger encore un petit moment l'aventure à la terrasse du café qui s'offrait à eux ! Histoire d'échanger et de prolonger le geste poétique, quelques mots saisis au vol pendant la marche furent lancés, et le défi fut proposé d'écrire quelques lignes à brûle pourpoint. Jolie et joyeuse récolte à n'en point douter ! (merci d'ailleurs à celles et ceux qui le veulent bien de nous renvoyer leurs textes).
Il fut ensuite temps de se séparer jusqu'aux prochaines retrouvailles !
À noter sur vos tablettes:
Le 10 novembre à Marseille, à l'Atelier de la Photo (100, bd Jeanne d'Arc 13005 Marseille), Nuit des Poètes et des Poétesses organisée par Claudine Baissière.
Et le 13 novembre, à Marseille également, librairie-galerie des Arcenaux, "Une revue, un auteur"-première rencontre de ce format, organisée par le Scriptorium avec la Revue des Archers (éditions Titanic Toursky) et avec l'autrice Michèle Dujardin . Nous en reparlerons bientôt…
Au plaisir évident de vous retrouver !
Anne Lofoten
Je me souviens des gestes
et c’était pour me donner de l’eau.
Dans la vallée du Rio Blanco,
où prend naissance l’Aconcagua, je vins boire,
je bondis boire dans le fouet d’une cascade,
qui tombait chevelue et dure et se rompait rigide et blanche.
Je collai ma bouche aux remous, et cette eau sainte me brûlait,
trois jours durant ma bouche saigna de cette gorgée d’Aconcagua.
Dans les terres de Mitla, un jour
de cigales, de soleil, de marche,
me penchai sur un puits, un indien
vint me soutenir dessus l’eau, et mon visage, comme un fruit,
était dans le creux de ses paumes.
Et je buvais ce qu’il buvait,
c’était sa face avec ma face,
et dans un éclair je sus que
la chair de Mitla était ma race.
Dans l’île de Porto-Rico,
lors de la sieste emplie de bleu,
mon corps paisible, les vagues folles,
et comme cent mères les palmes,
une fillette, par jeu, rompit
près de ma bouche un coco d’eau,
et moi je bus, comme une enfant,
cette eau de mère, cette eau de palme.
Tant de douceur jamais n’ai bue
ni de mon corps ni de mon âme.
À la maison de mes enfances
ma mère m’apportait de l’eau.
Entre gorgée et autre gorgée
je la voyais dessus la jarre.
Plus la tête se relevait
et plus la jarre s’abaissait.
Cette vallée, je l’ai toujours,
et j’ai ma soif et son regard.
Ce serait là l’éternité qu’encore
nous sommes comme nous étions.
Je me souviens des gestes
et c’étaient gestes pour me donner de l’eau.
"Boire", de Gabriela Mistral, extrait du recueil D'amour et de désolation, traduit de l’espagnol par Claude Couffon (ELA/La Différence 1988).
crédits photographiques © Olivier Bastide, Emmanuelle Sarrouy