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Les feuillets de poésie - Page 5

  • Aux quatorze foudres du jour

    Boris Pasmonkov_Mon Plaisir.jpg

    © Photo Boris Pasmonkov

     

     

     

    C’est ainsi que je te voulais

    sur le grand lit écartelée

    et toute pudeur en allée

     

    Je t’ai connue tulipe close

    puis un vent noir nous emporta

    vers de pourpres jardins aux roses

    où tu naquis entre des draps

     

    Souveraine et impénitente

    nue mais plus nue de le savoir

    pour les solennelles ententes

    de nos nuits comme des mouroirs

     

    C’est ainsi que je t’ai volée

    sur le grand lit écartelée

    et toute pudeur en allée

     

    * * *


    Tu es l’odeur d’une fourrure

    du pétrole bleu dans le port

     

    Tous les vents à leur encolure

    le sel et les sables d’Armor

     

    tu es l’oubli d’une coiffure

    la silhouette d’un décor

     

    Le jeu d’une tendre torture

    où le tricheur est le plus fort

     

    Tu es l’invisible fêlure

    du géomètre de la mort

     

    * * *

     

    Fille de Dundee

    qui me sers le thé

    tu es du pays

    des châteaux hantés

     


    Redis-moi redis-moi encore

    cette légende de linceul

    fantômes de Glamis Castle

    et tous les comtes de Strathmore

    qui tremblent d’avoir un secret

    lorsque la mort vient les sacrer

    insoupçonnable vagabonde

    dans ce château le plus hanté

       du monde

     

     

    Fille de Dundee

    en naïveté

    tu es du pays

    des temps arrêtés

     


    Tes histoires sont comme une vieille chanson

    et j’aime dans tes yeux ces ombres de frisson.

     

     

    Louis Calaferte,

    extrait de Londoniennes [Rag-time, Poésie/Gallimard, 2002]


  • Jean-Philippe Salabreuil ~ La chambre à feu

     

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    © Photo Helder Reis



    La chambre à feu


    Au bord du livre que j'écris tourne le ciel et ses montagnes. Une chose plus essentelle que la vie est le matin du monde en fleurs à travers nous. La hauteur bleue nous habite et nous dédaigne non remaniée depuis les âges nous qui changeons. Voici l'automne de nouveau qui toujours se ressemble. Et lorsque l'âme à la fin s'émerveile un cri plus pur de rouge-gorge enfile nos sombres haies de buis jusqu'au silence.

    Écrire ici pour moi n'est plus ouvrage de lumière. Ailleurs m'interpellent des morts à la dérive qui n'ont encre ni papier ni plume en leur barque si noire. Et puis quelques vivants de même démunis parmi l'enclos des monts branchus. Mais l'aube me retrouve à pic entre deux lucarnes de l'espace où je balconne et ne me laissera jamais semblable. Une heure ou deux le grand parti des rossignols a pris ma chambre à feu pour un pin de ténèbres. Ils sont mots violents que la nuit range mal et dérange. Ainsi les mains levées plus fréquentes et tremblantes. Ainsi le coeur tardif. J'y gagne une rigueur.

    Aux soirées lisses et dévidé le fil ténu des jours cette allégresse m'a recommencé. Mise en doute la fatigue un ruisselant sommeil m'élève au profond visage des nues. j'ai pour témoin ma vieille lampe avoir à sa lueur défoui les menées blanches d'un pays d'érables. Et l'éternel glissement d'astres en route pour l'hiver. Ô douce lune es-tu venue quand je me suis tourné vers la muraille ? À  minuit les roses de novembre ont quitté mon jardin pour le ciel.
    Une à une les pages de livres lus et refermés les montagnes s'enneigent et s'effacent. Au monde limpide entier ma fenêtre ouverte demain secouera sa charge de bois obscurs.

    Jean-Philippe Salabreuil

    La Liberté des feuilles, Gallimard, 1964

  • D'hiver en hiver - Tomas Tranströmer

      

    SOMBRES CARTES POSTALES 




    I 

    L’agenda est rempli, l’avenir incertain.

    Le câble fredonne un refrain apatride.

    Chutes de neige dans l’océan de plomb. Des ombres se battent

    sur le quai. 



    II 

    Il arrive au milieu de la vie que la mort vienne

    prendre nos mesures. Cette visite

    s’oublie et la vie continue. Mais le costume

    se coud à notre insu. 


    La place sauvage (1983) 



      

    Quai de Seine.jpg

     Source

      


    AU MILIEU DE L’HIVER 


    une lumière blême

    jaillit de mes habits.

    Solstice d’hiver.

    Des tambourins de glace cliquetante.

    Je ferme les yeux.

    Il y a un monde muet

    il y a une fissure

    où les morts passent la frontière

    en cachette. 

    Funeste gondole (1996) 

     

     

    Tomas Tranströmer

    ______________________________

    Sur l'oeuvre de T. Tranströmer, voir La Quinzaine littéraire