Le 9 septembre, en ouverture du festival Trace de poète, dont le thème cette année est la Beat generation, Le Scriptorium de Marseille a décidé pour sa caravane poétique « hors les murs » de partir On the Road again, pensant à Jack Kerouac bien sûr, mais chantant avec Bernard Lavilliers, chanteur-poète-bourlingueur, s’il en est. Cette pérégrination à l’oralité échevelée s’est faite, comme à l’accoutumée, en partenariat avec Pierre sèche en Vaucluse, ce qui permet aux esprits les plus volatiles de retrouver la terre, ou, à l’inverse, à ceux bien trop ancrés dans la stricte science d’entrevoir le soleil et la lune en leur poétique rendez-vous.
La bonne quarantaine de caravaniers n’a pas volé son plaisir tant ils furent tannés par la chaleur de septembre. Ces grands méritants, cornaqués par Dominique Sorrente et Olivier Bastide pour le Scriptorium et Danielle Larcena pour Pierre sèche en Vaucluse, ont cheminé au fil de haltes évocatrices imaginées par Danielle Larcena : le Moulin, la Borie, le Bancaou, la Citerne… lieux propices à des lectures érudites du paysage et poétiques d’auteurs classiques, contemporains, parfois auteurs-lecteurs.
La chanson de Bernard Lavilliers fut le fil rouge de la journée. Olivier Bastide avait choisi d’écrire à la suite de fragments issus d’On the Road again ; chaque halte fut l’occasion d’entendre ses poèmes, dont le premier :
Bandits joyeux, insolents et drôles,
Nous sommes le geste nous sommes le verbe.
Nous sommes ce tout qui anime les flammes ;
nous sommes les flammes mêmes.
Nous sommes l'eau et sa poussière advenue.
Bandits joyeux, insolents et drôles,
nous sommes le vent.
(En italiques, les mots de Lavilliers)
Dominique Sorrente, caravanier en chef, rendit hommage à Kenneth White, décédé dans l’été, Kenneth White poète ouvert aux horizons, poète dont Dominique rappela qu’il se disait « marcheur des lignes du monde » et dit le poème créé en hommage, Il n'y a pas de fin au voyage White ; Sabine Raimon et Roselyne Sibille complétèrent l’hommage au poète, que la lecture d’un de ses poèmes, Prose pour le col de Marie-Blanque, extrait de Terre de diamant, Grasset 1985, rendait étonnamment présent.
Au fil du parcours, Danielle Larcena nous rendait moins ignorants et nous payions la beauté des lieux de poésies lançées en l’air par :
- Thierry Offre en provençal ( Transhumance de son cru, mais aussi lecteur de Léon Cordes en occitan),
- Claudine Baissière avec Elfie la chienne (Tankas et haikus de Kerouac),
- Henri Perrier-Gustin lisant Nicolas Bouvier et un extrait de son propre récit de voyage,
- Benedicte Bellier,
- Yvon Javel,
- Gisèle Roman lisant Andrée Chedid,
- Nicole Mignucci, Madame Trace de poète, lisant Walt Whitman,
- Marc-Paul Poncet disant de mémoire une histoire de Vieux loup, en cherchant les rebonds mémoriels de regards intérieurs, nous amusant, toujours,
- Claude Kraif, lu au final en terrasse de café dans le brouhaha de la fête médiévale du jour, et des lieux, par Olivier Bastide devant pousser à fond son potentiomètre vocal…
- Et celles et ceux que l’on oublie sans doute, et auxquels nous demandons pardon…
Alors, avant la dislocation de la Caravane, un geste ultime nous fit entonner On the Road again ; si BL nous avait entendus…
Le poème de Dominique Sorrente :
D. Sorrente en compagnie de Kenneth White à Mouans - Sartoux
IL N’Y A PAS DE FIN AU VOYAGE WHITE
à Kenneth White i.m.
Il n’y a pas de fin au voyage.
Seulement un travail du jour par le jour
sans désemparer,
marqué de signes sauvages.
Un périple
toujours à reprendre,
avec vents et marées…
D’où vient
ta soif impérieuse de connaître ?
te demande la pierre.
Le monde blanc est devant toi, toujours.
Et sans cesse, il revient
en figure du dehors.
Il atteste le plus lointain
éclairé par la route bleue.
Et le pays invariablement qui se dérobe.
Il n’y a pas de fin au voyage, répètes-tu
encore.
Seul un trouble face au monde blanc.
La vie se raconte ainsi.
La goutte d’eau est la forme chimique de tout l’océan.
Tu marches,
Tu lis tout ce qui se passe sous la main.
C’est la route qui te décide,
Ce point d’aimantation qui dure,
la route bleue, toujours elle,
quand elle te salue.
Tu entres dans l’écriture en te passant de protocole.
Avec l’énergie des commencements,
tu rejoins le dernier clochard céleste
debout sur un archet de contrebasse,
chantant
où va le souffle anonyme.
Merci à Michel Rimaud, à Roselyne Sibille, à Olivier Bastide pour leurs photos in situ...