Danielle Berthier
Il y a peu de temps, lors d’une lecture publique, un auditeur m’a demandé : « À quoi cela vous sert-il d’écrire ? ». Sous forme de boutade, j’ai répondu par une formule cueillie chez George Bernard Shaw : « Quand on enlève tout ce qui ne sert à rien, tout le reste s’écroule ». Et j’y suis allé d’un petit commentaire facétieux : j’écris donc en revendiquant le droit que cela ne serve à rien. À côté de moi, un très cher ami poète a aussitôt proposé sa réponse : « Quant à moi, j’écris parce que c’est une nécessité ». Nous nous connaissons suffisamment, lui et moi, en complicité d’écriture et de vie, pour savoir que nos réponses venues de paysages différents se faisaient naturellement écho.
En lisant Le Pardon de Danielle Berthier, je n’ai pu m’empêcher d’inviter à la tourne des pages ce dialogue aussi souriant que tragique qui donne au livre ainsi porté par son auteur sa place si particulière parmi les vivants et les morts. Combien de haltes, combien de retours et de questions auront été vécus pour qu’un tel ouvrage soit lâché par son auteur comme la plus précieuse des embarcations de fortune ? Nous l’ignorons, mais ce que nous sentons est l’empreinte du temps éprouvé, dans un texte tout en pudeur, en énoncés qui procèdent par étapes, par séquences du regard comme des angles de vue choisis pour rendre compte de la vie qui se cherche après l’insupportable, ici l’accident mortel dans la nuit à peine éclairée qui emporte un fils.
On songe aux phases du deuil, identifiées en profondeur par la psychiatre Elisabeth Kübler-Ross (souvent hélas dénaturées par la psychologie fast-food de notre époque), ici comme revisitées par Danielle Berthier à travers les planches successives du récit. Le lecteur participe ainsi à l’épreuve dans son cheminement, et dans la relation unique avec cet autre, homme anonyme dans sa caverne devenu présence obsédante, interlocuteur décisif, parce que sa voiture a percuté la vie d’un enfant. C’est de ce travail de l’ombre que Danielle Berthier témoigne, de ce processus de dépassement qui ne fait l’économie d’aucun geste, qui se fraie un récit entre colère, désarroi, révolte, apaisement et besoin de savoir. Et il nous semble alors assister à une scène, la plus pure du théâtre antique, où se déplacent et prennent sens les figures sacrées qui ont pour nom le Jeune Homme, Charly, la Mère, le Chœur, le Père, l’Ami, ceux du Chalet, l’écureuil, le Mékong, l’Océan même…Où le pardon serait la voie cathartique menant à l’album des mémoires partagées, dans le Chalet en retrouvailles avec les saisons par quoi le livre s’achève :
« Ils étaient redevenus nos semblables
De nouveau, ils étaient vivants ».
Il faut être une femme, dans le secret de la douleur méditée, écrivain, portée par un désir de justesse de tous les instants, pour donner à un tel sujet des mots saturés de silence et qui pourtant nous conduisent, d’une page à l’autre, avec conviction, insistance, dans la simplicité ouverte qui ne trompe pas. S’il consent à entrer dans cette traversée née d’un malheur brutal, promise à l’errance et appelant pourtant la paix des jours réconciliés, le lecteur sentira alors cette main qui à son tour l’accompagne, mue par des vibrations d’amour, symbole d’un parcours terrestre qui n’a pas renoncé à capter à même l’absurde l’indicible lumière.
Cela ne sert à rien, bien sûr, d’écrire ainsi, me direz-vous. Ou alors pour empêcher que tout le reste s’écroule. Mine de rien, voilà donc un petit miracle accompli qui opère par ce récit du Pardon. Le sait-elle, Danielle Berthier nous emmène loin, au fond de notre conscience de vivre, dans une langue sûre et dépouillée qui sait le prix des espaces intérieurs, le pouvoir des sapins sous leur écorce, l’enfance qui fait toujours signe derrière l’hiver, le besoin de comprendre et, plus encore, de recevoir et de faire pardon. Alors, autant signer ainsi : cela qui s’appelle écrire fait bien ici nécessité.
Dominique Sorrente
_____________________________
Le Pardon, récit (automne 2010) - Danielle Berthier
ISBN (13) : 978-2-917116-20-3, 78 p, 13 euros