20 octobre 2015
DES MOTS ENTRE LES GOUTTES, À LA VALLÉE DE SAINT-PONS
« Info météo : ici c’est le déluge ». Le sms du matin balance son sac de doutes. Mais non, on ne va pas annuler ce premier pique-nique avec ses phrases d’automne dans la vallée de Saint-Pons, près de Gémenos. Les voitures sont prêtes, et les lectures, et le parcours, et les vivres à tirer des sacs, et les feuilles ocre sur la promenade. On parie sur l’accalmie du gris, les humeurs des micro-climats. On ne demande rien d’autre que de pouvoir mêler les mots et les mets, pleine nature.
Les scripteurs, participants d’un jour ou fidèles praticiens de nos expériences de poésie partagée sont une quinzaine à défier la grisaille du ciel. Ils ont bien raison. Une petite marche jusqu'au bivouac: la cérémonie peut s’ouvrir. Dégustation. On prend la parole, commencement timide, autour de la table de bois, puis plus haut au bord de la rivière, et encore sur le flanc de l’abbaye cistercienne. Queneau, avec ses expressions de gourmandise, écoute Erri di Luca dans la défense du mot « sabotage », le récit d’une fête de la solidarité dans la Crau croise la mémoire d’une parole d’ingénieur, les questions tournent autour de l’éclatement des mondes verbaux dans notre époque.
On se reprend à marcher, à grimper en douceur vers la source. Elena nous convainc que le poème peut aussi se danser. Il y a une nouvelle halte à trouver pour cette petite troupe qui progresse jusqu’au monastère. Le dialogue du « je » et du « tu » est notre refrain choisi, auquel répond un étrange hérisson mutant sorti pour la fin du monde. Les pique-nique ont leur part d’insaisissable… Contre la pierre de l’abbaye, une famille vietnamienne élargit notre assistance, écoute nos prises de paroles comme on cueille des fruits de saison.
Une voix fredonne les trois mots de Jean-Roger Caussimon
J’ai rayé de mon vocabulaire
Trois mots qui me faisaient la loi :
« Autrefois » , « Jadis » et « Naguère »
Un homme s’approche, nous annonce qu’il est « le retardataire ». Il détient les clés de l’abbaye. Il nous annonce que nous n’y entrerons que si nous connaissons le nom de cet arbre qui étend ses branches nues devant nous. C’est un charme et il sait opérer.
Le veilleur (à d’autres heures, garde forestier à cheval) nous dit qu’il ne laisse pénétrer dans cette demeure que les gens motivés et les poètes. Nous a-t-il reconnus ? Privilège du moment, là, derrière la nef, après le cloitre, tout en haut sous les dernières arcades, le…scriptorium.
Nous sommes dans notre élément, copistes de l’instant.
Seuls et côte à côte. Mêlant notre minuscule récit groupé à celui des pierres vénérables. Et nous nous redisons les formules de la sagesse reçue en ce lieu :
« Hier raconte une histoire. Demain demeure un mystère. Aujourd’hui seul est un cadeau. »
Dans cette vallée de Saint-Pons, on a lâché des conversations furtives, accompagné des tremblements de voix. Sans préséances, sans signaux de distinction. Avec cette part d’humilité retrouvée qui fait signe au pied des arbres centenaires.
Les pique-niqueurs auront aussi appris que deux parapluies magiques suffisent parfois à écarter la pluie.
En aparté, un dyslexique a avoué que le nom de Scriptorium était pour lui imprononçable. Peut-être est-ce parce qu’il est la patrie toujours nomade des « poètes de la coïncidence ».
14:37 Publié dans Hors les murs | Lien permanent | Commentaires (2)
13 juin 2015
LA CARAVANE DES HAUTEURS, un témoignage
Monter le Ventoux
Ce rêve découvert peu à peu : telle cette vue de pierres brillantes, souvent nues, encore distantes et qui s’approchent.
C’est grâce au Scriptorium fondé par Dominique Sorrente voici quinze ans, que j’ai pu participer à cette fête poétique collective en ascension paisible, le 14 mai 2015. Caravane poétique conçue en duo par Dominique Sorrente et son complice, Olivier Bastide.
Je remercie le poète de m’avoir confié la mémoire des moments où la Poésie et l’Histoire se croisaient : treize poètes-ami(e)s allant de mètre en mètre gravir cette haute nature de Provence en son printemps.
Départ matinal et brumes soudain limpides, ces passionnés se sont retrouvés au bistrot des hauteurs, le Chalet Reynard, en cette montée. Route surchargée d’autres passions, vélos, 6x6, allant et descendant jusqu’à ce qu’enfin le sentier s’offre à nos pas, libre. Dans l’alternance solaire et feuillue, nos voix s’accordèrent aux pierres, aux arbres, au monde, aux troupeaux, plus loin que l’espace.
Dès ces premiers pas, pause, où fut évoqué Jean-Henri Fabre, ce célèbre botaniste qui, au 20ème siècle publié, étudia fleurs boréales, espèces végétales, chants scandés d’oiseaux de la campagne provençale… et les abeilles qui tiennent la vie du monde entre leurs ailes !
Le « Rendez-vous des Chimères » accompagna nos pauses, aviva la mémoire de quinze ans du Scriptorium en réunissant les écrits de chaque poète. Ces brèves citations en éveillent les traces : « valse lente des aiguilles", "un arbre qui bat en ralingue", « là est le vif aussi», "sa quinzaine en habits de fête"...Ces "mots qui naissent" » résonnent à nos étapes.
Ce fut ensuite la lecture d’une partie du début de « l’Ascension du Mont Ventoux » de Pétrarque. Dès son départ de Malaucène, entreprise sur le versant Nord du Mont Ventoux, Pétrarque s’exprime avec humour : « Je voulais différer la fatigue de la montée, mais la nature ne cède pas à la volonté humaine, et il est impossible pour un corps de gagner les hauteurs en descendant… »
Puis la voix de Sophie Leenknegt laissa retentir celle de René Char « Le mont Ventoux, miroir des aigles était en vue ».
La troupe ayant franchi les 1000 mètres, Henri Tramoy et Dominique Sorrente rappelèrent la place du Ventoux durant la Résistance (1942-1943) face à l’enfer nazi, et les fusillades que, parmi tant d’autres, endura Laurent Pascal. Aujourd’hui, c’est l’espoir que cette ombre prenne distance, sans l’oubli.
À l’approche des 1428 mètres s’élancèrent les poèmes « A pic » et cet autre poème « Paysages croisés » d’André Ughetto où le Mont Ventoux croise la Butte Montmartre. Lectures de quelques haïkus incisifs et tendres, inventés par Benoît Magnast et d’autres textes s’envolèrent.
Dont la voix de René Daumal, dans les dernières paroles du poète, jamais oubliées : « Le poème qui n’est pas écouté est une semence perdue ».
Bientôt l’ombre, le repos. Tapis de feuilles rousses où les corps se roulent et s’enfoncent.
Le texte à plusieurs voix du Scriptorium, créé à l’occasion des 15 ans du Scriptorium, avait accompagné chacune des haltes.
Entendu avant que d’être lu.
Car le poème ici au Scriptorium se veut de tous les éléments.
Ouvert avec cette adresse « Tout devrait tenir dans le creux d'une main ».
Et chacun redescendit, plus libre d’avoir vécu cette singulière caravane !
Thérèse Dufresne
10:25 Publié dans Hors les murs | Lien permanent | Commentaires (0)
27 avril 2015
39 MARCHEURS-POÈTES dans les Monts du Vaucluse pour lever la Belle Insurrection
Dans le cadre de la manifestation Trace de poète, en écho à l’Insurrection poétique proclamée cette année 2015 par Le Printemps des poètes, les deux associations Le Scriptorium de Marseille et Pierre sèche en Vaucluse ont uni leurs mots lors de la balade poétique du lundi 6 avril sur le thème de La Belle Insurrection. Rendez-vous était donné au Pont des Arrayies (Velleron-Vaucluse) à 9h30 pour un parcours simple de moins de 3km dans les monts de Vaucluse, prétexte au partage de la poésie.
Cinq haltes-lectures jalonnèrent la promenade :
- Lecture 1: La Poésie n’est pas celle que vous croyez
- Lecture 2: La Poésie ou le bel ordinaire
- Lecture 3: La Poésie, et l’homme comme flamme
- Lecture 4: La Poésie, une parole-cri
- Lecture 5: La poésie, cette belle insurrection
À chaque station, chacun était invité à lire des textes d’auteurs ou des créations personnelles dans le respect « relatif » du thème annoncé.
Lors des différentes haltes, Danielle Larcena (Pierre sèche en Vaucluse) nous a permis de comprendre plus savamment le paysage par l’apport de connaissances géologiques et patrimoniales. Danielle Larcena avait, par ailleurs, conçu l’itinéraire.
Olivier Bastide, pilote du jour du Scriptorium, avait nourri la partie poétique de l’événement pour lequel nous étions 39 marcheurs dont 16 lecteurs (à remarquer, 5 "scripteurs" venus de Marseille) !
Les Monts de Vaucluse dans les alentours du canal de Carpentras, ce lundi de Pâques, un petit paradis par effraction où la poésie l’a disputé au chant des oiseaux… jusqu’à faire éclore 3 conteuses, venues anonymement, mais découvertes avant le terme du parcours...
C'est ainsi que trois contes complétèrent la suite des instants, avant l’inévitable et bénéfique Insurrection, celle des estomacs du pique-nique final !
Florilège de quelques extraits des poèmes dits lors de cette balade poétique :
Yannis Ritsos dit par Béatrice Jadot
Peuple
Petit peuple lutte sans épées ni balles
Pour le pain de tous, pour la lumière et pour le chant
Roselyne Sibille
Rongée à l’acide impossible
fissurée par ce que je sais
je ne peux plus fermer les yeux
mes pupilles sont trouées
Olivier Bastide
Il y a bien sûr ce pré, si juste sous le soleil du matin. Il y a bien sûr le vent qui joue dans les feuillages, les éclaire de mille façons. Il y a le ciel et l’arbre, l’enfant. Il y a ton sourire.
Nicolas Rouzet
Il y a cet instant
où le poème se tient
sur tes lèvres serrées
l’instant sur ma bouche
où se lit.
Antoine Dông Nguyen
Mon ami mai est une fleur sans argent
quand l’animal après le retrait de l’hiver
tend au monde l’ombre du bien.
Patrick Druinot
La poésie n’est pas celle que vous croyez
Ni celle que vous ne croyez pas.
Elle est autour de nous, mystère, pistes, insurrection de l’arc-en -ciel …
La poésie n’est pas celle que vous croyez, même si, parfois, elle est dans les églises. Affichée entre les colonnes et les abysses de l’autel.
C’est plutôt une belle gitane, danseuse au crépuscule, invisible à l’aurore. Qui traverse les vitraux déclassés et les maisons de pierre en ruine. Qui hurle dans les couloirs de la haine, entre les langues de bois et le bois des langues.
Leonor Gnos
Invente le printemps des mondes
avant que les poèmes ne tombent
du bord de la fenêtre par ce vent
gonflé d'Histoire qui te remplit
les yeux de larmes,
lave la mémoire en couleur blanche
telle que la font les fleurs des arbres,
ramasse la pierre dans la rue,
longtemps elle a fleuri l'asphalte
avec plus de patience que tout ce que
tu rencontres en route, déploie tes ailes
pour chasser le vertige des paroles,
lance-toi dans le vide en chantant,
relie-toi aux vagues pour t'enivrer
du sel de la mer quand la tragédie
se jette dans tes bras, au réveil de tes
rêves l'air te rapporte la mémoire
des vivants et des morts
et le cœur noir des anémones
de ceux qui croisent ton feu
reste celui d’une éternelle passionnée
chérissant le moindre signe du désir
au gré du rythme de sang,
monter, descendre à la verticale,
reprendre les douceurs qui passent,
à l'intérieur, l'enfance de la poésie
n'est-elle pas un lever de soleil ?
Un merci chaleureux aux autres marcheurs-lecteurs : Danielle Larcena, Elena Berti, Benoist Magnat, Anny Cat, Henri Tramoy, Lutz’R Ann, Wianney, Luc Rouault, Daniel Gressier...
Benoist Magnat, l'admirable
Rendez-vous est déjà pris le 14 mai prochain, dans le "miroir des aigles" du Mont Ventoux. Entre semelles d’herbe et oxymores pèlerins, il y sera question d’ascension, évidemment…
Merci aux photographes qui se reconnaîtront dans cette note.
19:27 Publié dans Hors les murs | Lien permanent | Commentaires (0)