29 novembre 2008
En malle de Légende III

Séance de Wani wetu yi (lune de l'hiver qui commence)
Août était venu, et filait vers sa fin abandonnant au soir un peu de fraîcheur, tellement appréciée, quand les dernières cigales, après un dernier adieu au soleil tombé, se taisaient et que la brise parfois venait caresser son épiderme par ailleurs toujours promis, toujours épousé par les courants de la rivière cévenole qui bordait ses vacances retirées.
Elle s'était mise en route répondant à l'appel du rêve, tendue vers un accomplissement dont l'étape première serait de vivre cette soirée sous l'arbre. Et elle avait gravi le chemin parmi les yeuses jusqu'à l'aire consacrée, accompagnée de ses partenaires, quelques membres choisis du clan du Scriptorium venus de Marseille fêter l'anniversaire de leur ami peintre, héros de cette soirée dédiée à la poésie. Des tables dressées, des livres exposés, attendaient les protagonistes. Octeonda arriva donc, et aussitôt elle entendit : « Sois la bienvenue ma soeur…»
Une femme mince qu'elle trouva grande et bien campée sur ses jambes se trouvait en face d'elle, qu'elle ne connaissait pas, et qui avec aisance l'accueillait comme si depuis toujours elles s'étaient côtoyées.
« Sois la bienvenue ma soeur » répéta la brune inconnue. « Je suis heureuse de te voir, oui tu es surprise c'est évident, mais nous sommes vraiment soeurs. »
Quelque chose de l'acier dans le bleu de l'oeil d'Octeonda luttait entre le sourire et l'angoisse. Mais elle ne perdait rien de son allure altière et de sa dignité.
«Tu me vois grande ma soeur, mais mesurons nos tailles veux-tu.»
Dos à dos, elles prirent contact et s'appuyèrent l'une contre l'autre. La brune était la plus petite. «Tu vois mon aînée, rien de bien impressionnant à la vérité».
Elles finirent par s'assoir côte à côte et la lecture des poèmes démarra.
Octeonda avait le sentiment que la brune captait tous les regards, que sa voix allait toucher profond le coeur de l'auditoire, que rien n'ébranlait sa calme assurance, elle savait, elle parlait, elle souriait, elle riait même, rien ne semblait pouvoir gêner ses mots au sortir de ses lèvres. Octeonda ce soir là avait confié la lecture de ses textes à Tania, comédienne de métier, elle n'oserait jamais ce que la brune lui semblait si bien réussir.
La nuit venue, l'assistance éparpillée, le repas commun consommé, brune et blonde se retrouvèrent dans le même logis, comme il était normal pour deux soeurs. Octeonda cette fois prit l'initiative :
«D'où tiens tu que nous sommes soeurs, comment peux tu le prouver ?»
Alors la brune raconta son histoire qui coincidait avec ce que la blonde savait de sa propre vie, puis elle dit: «Chantons, veux-tu ?
toujours plus vite devenez mots
sur l'herbe verte, sur le sentier
ou sur d'une scène le plancher
toutes deux réunies bientôt
nous tresserons lierons nos mots femme qui change l'a dit,
dans l'harmonie nous irons, dans la beauté nous marcherons, conclua-telle.
«Mais quel est ton nom» demanda Octeonda
- Je suis Owankte, ta ressemblance secrète, ta soeur qui joue de la différence.
- en qualité d'aînée, je souhaite te voir intégrée au clan du scriptorium
- en qualité de cadette j'accepte avec joie d'y faire escale.
Et c'est ainsi que les deux soeurs désormais font route ensemble pour participer aux cérémonies du Vallon des Auffes, là où le clan du Scriptorium accomplit les rituels sacrés offerts à la coincidence .
Béatrice Machet
en mémoire d'un jour d'été à Oppède le Vieux
19:20 Publié dans Intervalles | Lien permanent | Commentaires (0)
27 novembre 2008
En malle de Légende II

Entrés dans La Légende
En ce 22 novembre 2112, l’air doux câline le ciel clair. Sans rudesse, Gyptisia pose son aéronef aux reflets métallisés à l’angle du boulevard de la Poésie, anciennement boulevard Cieussa. Curieux prénom celui de cette jeune femme, n’est-il pas ?
La raison en incombe à la mode marseillaise période 2100 prénommant en référence grecque avec terminaison en a, o ou en i.
Gyptisia, Protiso, Pytéasi claquent à l’envi.
Gyptisia est guide touristique. De son aéronef une dizaine d’aborigènes australiens aux tenues bariolées émergent émerveillés et tels des confettis un jour de carnaval s’éparpillent sur la placette tiède du tendre soleil de fin d’après-midi.
Gaiement les visiteurs se sont mis à jouer à saute-mouton. L’aimable guide fouille méthodiquement son immense cabas en fibres de palmier. Où diable est passée son arme sacrée, son minuscule harmonica doré ? Ah, elle l’a trouvé.
Premières notes égrenées, miracle, le groupe sagement se reforme :
- Chers touristes, veuillez brancher vos traducteurs s’il vous plaît. Nous voici devant le musée des rimeurs, rimailleurs, auteurs ayant vécu dans notre solaire métropole au début du 21ème siècle. À l’époque ce lieu était une salle de jeux et de rencontres…
- Rencontres, olé-olé sexy, yé, s’exclame en français approximatif un aborigène en bermuda de polyuréthane expansé pistache chemise transparente et chapeau mandarine aux plumes vert fluo.
- Merci ne pas m’interrompre je vous prie, avertit fermement la jeune cicérone avant de poursuivre. Non pas rencontres olé-olé, rencontres li-tté-rai-res. Maintenant nous allons entrer et je vais vous demander un peu de recueillement.
Les hommes et les femmes aux vêtements bigarrés se prennent alors par la main et respectueusement s’inclinent à tour de rôle avant de pénétrer à l’intérieur du petit musée.
Une aventure poétique créée par Dominique Sorrente avait entamé son prélude au passage des deux millénaires, fin 1999, explique Gyptisia aux intonations de soprano. Le Scriptorium, cercle de poètes marseillais était né. Quelques années plus tard, c’est ici même, laissez votre imagination prendre son envol… que les écrivains se retrouvaient. D’ailleurs vous pourrez admirer dans ces superbes vitrines de menus objets ayant appartenu aux versificateurs, le stylo bleu de Patrick, un des crayons de Béatrice, le cahier de notes de Nicolas, l’écharpe de Valérie, une affiche de la première édition de la Transcontinentale…
Subitement une voix semblant s’échapper des murs résonne : « La vie est introuvable dans un arbre. Et pourtant l’arbre vit. Ainsi œuvre le poète de la coïncidence. »
Vous venez d’entendre Dominique, soupire Gyptisia, un octave plus bas, songeant une fois encore : vraiment, cet écrivain disparu avait une belle voix .
Certes, mais l’éphémère pensée vaguement nostalgique pliée au carré, il fallait assurément renouer le fil du discours : ces poètes avaient une particularité, ils avaient inventé un concept de poésie intuitive. Regardez là, vitrifiées sur les murs certaines de leurs phrases. Je vous en lis une au hasard de… Geneviève… Liautard : « L’intuition se situe en amont du poème »
A ce moment précis une pluie de papillons en papier couleur absinthe chute légèrement du plafond vers le sol. D’étonnantes clameurs fusent.
- Chut, chut, dit Gyptisia. Mais les Australiens hilares ne l’écoutent plus et se bousculent promptement pour attraper au vol les copeaux de feuilles vertes. A chaque fragment, ses quelques lignes :
L’homme passe l’homme
Tissant la filature
Etirant la ligature (Béatrice Machet)
… Je sors de la mer incessante
Je sors du ventre de la mer
Fillette dans une serviette
Verte
Verte comme la pomme granny… (Françoise Donadieu)
Le soleil s’étire
Tel un chat devant le feu
Longueur de l’hiver (Geneviève Bertrand)
Lon gueur de l’hiver,
Cou leur et lumière,
Cette escale en poé sie me ra vit,
articule alors avec un accent traînant une aborigène aux cheveux rouges comme l’intérieur d’une pastèque ouverte, rouge comme la courte robe de Gyptisia.
Jeannine Anziani
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25 novembre 2008
En malle de Légende I

La nuit sous une autre parole : courir,
l'âme recrue d'anciennes légendes
et de fruits secs,
courir encore dans la bruyère à perdre haleine.
Si nul n'écrit ces mots essoufflés, rien ne paraîtra.
D. Sorrente (Une route au milieu de la nuit, Froissart, 1985)
Souvent je rêve
d'un impossible retour
dans un lieu
qui n'existe pas
sur les cartes
ou qui y figura,
peut-être...
Le lierre et la ruine
s'y enlacent.
On y croise peu de monde
dans les corridors
sauf des êtres incomplets
hantés par leurs manques….
Ainsi cet homme
qui a oublié son nom,
il tourne en rond
sur des soieries d'Ispahan,
les chaussures pleines de merde.
Ainsi cette femme
à la nudité presque parfaite
dont la beauté intègre
aurait besoin d'être rectifiée :
elle porte sa tête en pendentif.
Tous ces êtres m'ignorent
et semblent même ignorer
leur sentiment d'exister :
suis-je moi même l'un des leurs ?
Nicolas ROUZET
21:52 Publié dans Intervalles | Lien permanent | Commentaires (0)