Séance de Wani wetu yi (lune de l'hiver qui commence)
Août était venu, et filait vers sa fin abandonnant au soir un peu de fraîcheur, tellement appréciée, quand les dernières cigales, après un dernier adieu au soleil tombé, se taisaient et que la brise parfois venait caresser son épiderme par ailleurs toujours promis, toujours épousé par les courants de la rivière cévenole qui bordait ses vacances retirées.
Elle s'était mise en route répondant à l'appel du rêve, tendue vers un accomplissement dont l'étape première serait de vivre cette soirée sous l'arbre. Et elle avait gravi le chemin parmi les yeuses jusqu'à l'aire consacrée, accompagnée de ses partenaires, quelques membres choisis du clan du Scriptorium venus de Marseille fêter l'anniversaire de leur ami peintre, héros de cette soirée dédiée à la poésie. Des tables dressées, des livres exposés, attendaient les protagonistes. Octeonda arriva donc, et aussitôt elle entendit : « Sois la bienvenue ma soeur…»
Une femme mince qu'elle trouva grande et bien campée sur ses jambes se trouvait en face d'elle, qu'elle ne connaissait pas, et qui avec aisance l'accueillait comme si depuis toujours elles s'étaient côtoyées.
« Sois la bienvenue ma soeur » répéta la brune inconnue. « Je suis heureuse de te voir, oui tu es surprise c'est évident, mais nous sommes vraiment soeurs. »
Quelque chose de l'acier dans le bleu de l'oeil d'Octeonda luttait entre le sourire et l'angoisse. Mais elle ne perdait rien de son allure altière et de sa dignité.
«Tu me vois grande ma soeur, mais mesurons nos tailles veux-tu.»
Dos à dos, elles prirent contact et s'appuyèrent l'une contre l'autre. La brune était la plus petite. «Tu vois mon aînée, rien de bien impressionnant à la vérité».
Elles finirent par s'assoir côte à côte et la lecture des poèmes démarra.
Octeonda avait le sentiment que la brune captait tous les regards, que sa voix allait toucher profond le coeur de l'auditoire, que rien n'ébranlait sa calme assurance, elle savait, elle parlait, elle souriait, elle riait même, rien ne semblait pouvoir gêner ses mots au sortir de ses lèvres. Octeonda ce soir là avait confié la lecture de ses textes à Tania, comédienne de métier, elle n'oserait jamais ce que la brune lui semblait si bien réussir.
La nuit venue, l'assistance éparpillée, le repas commun consommé, brune et blonde se retrouvèrent dans le même logis, comme il était normal pour deux soeurs. Octeonda cette fois prit l'initiative :
«D'où tiens tu que nous sommes soeurs, comment peux tu le prouver ?»
Alors la brune raconta son histoire qui coincidait avec ce que la blonde savait de sa propre vie, puis elle dit: «Chantons, veux-tu ?
toujours plus vite devenez mots
sur l'herbe verte, sur le sentier
ou sur d'une scène le plancher
toutes deux réunies bientôt
nous tresserons lierons nos mots femme qui change l'a dit,
dans l'harmonie nous irons, dans la beauté nous marcherons, conclua-telle.
«Mais quel est ton nom» demanda Octeonda
- Je suis Owankte, ta ressemblance secrète, ta soeur qui joue de la différence.
- en qualité d'aînée, je souhaite te voir intégrée au clan du scriptorium
- en qualité de cadette j'accepte avec joie d'y faire escale.
Et c'est ainsi que les deux soeurs désormais font route ensemble pour participer aux cérémonies du Vallon des Auffes, là où le clan du Scriptorium accomplit les rituels sacrés offerts à la coincidence .
Béatrice Machet
en mémoire d'un jour d'été à Oppède le Vieux