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En malle de Légende IV

Catalans sous la houle.jpg

Un samedi aux Catalans

sous la houle de novembre

Intervalle gagnant 

 

 

 

On entre. Pas besoin de défalquer ou de disjoindre. On entre, rien de plus. Et ainsi on devient habitant.

 

Il convient ensuite de trouver sa place, veste habillant un dossier de chaise, objets placés en devanture, mots en friche, humeurs pleines. Chacun à sa table, à son plan d’écritoire, son territoire intermittent. Beau désordre… Il fait un temps propice à la déverse, mais pour l’heure, ce qu’on réclame est de la retenue. Un silence à mâcher avant toute profération.

 

Alors survient la première injonction : « Je vous invite à poser la pensée de l’instant qui s’impose à vous à ce moment de la journée. Sans jugement ni crainte, avec ce qu’il faut d’attention aux mots qui vont s’écrire sous votre main. Concédez pour cette pratique improbable et fertile les ratures qui traduisent votre condition, les élans géants et minuscules de la dernière-née de vos visions du monde, votre style, en quelque sorte, parti bravement à la recherche de son ombre. Cette pensée vous accompagnera durant tout le séjour ; de plus, elle rejoindra les autres habitants qui ont fait, chacun à sa main, le même geste du dedans. Ici, pas de cabinet noir définitif, la veilleuse allumée, la bouche en feu, et voilà… »

 

La seconde injonction naîtra un peu plus tard : « À présent, soyez copistes de quelques phrases qui vous ont précédés. Certes, vous êtes de la première importance, mais est-il inconvenant de penser que d’autres vous ont devancés dans cet étrange exercice d’une suite de mots à aimanter ? Graine de précurseurs, vous leur ressemblerez demain. Placez-les donc sous votre main comme si ainsi vous les remettiez en chemin de première création, comme si par vous leur existence en quelques vers se remodelait. Des poèmes jadis vous ont ouvert le pas. L’un vous fait signe ici. Vous avancez dans la  rondeur de ses lettres. Vous pratiquez la main d’écriture qui vous relie à votre enfance, où copie n’était pas geste interdit, mais forme unique de bonheur imagé. Cela se passa avant l’invention de l’imprimerie ; cela se passera après...»

 

C’est le temps de l’œuvre aux couleurs, les habitants donnent de leur silence non entendu.

Ils font la courte échelle d’un poème à l’autre. Sourire en coin, sueur en prime, faut-il qu’il leur en souvienne… Les âmes muettes exécutent leur partition.

 

Quand tout cela est fait, vient le moment de rapporter en paroles croisées, découvrir sous l’empan des heures l’écho imprévu du voisin, toutes ces bribes de conversation à ciel ouvert. Les deux encrages, pensée d’instant, poème copié, ont trouvé leur séjour, dans ce petit monde d’intervalle qui glisse à présent à son rythme.

 

Plus tard, les habitants ont redoublé de mots, jeté d’étranges sonorités, appelé l’apprentissage du souffle à la rescousse. Insolite bruitage, chorus de ces périodes. Un beau tapage a fertilisé le hors - champ.

 

Puis quelqu’un a crié le mot « terminaison », et le mouvement du ressac final est venu.

 

- Faut-il partir l’un après l’autre, chacun dans son siècle, ou tous dans un au-revoir d’unisson ? a demandé le plus fugace.

 La réponse s’est perdue dans un coup de vent imprévu.

 

- Mourrons-nous ensemble ou séparés ? a risqué une voix chanterelle entre ferveur et anxiété.

 

- C’est donc l’heure de passer à table ! a fait la boutade assurée, avec son talent de gourmande.

 

Décidément, il est dit en ce lieu éphémère qu’aucune dispersion ne ressemblera jamais à la précédente ni à celle qui vient.

 

Ainsi vont les géométries poétiques.

 

Une mallette ouverte a pris son rôle devant la porte. Chaque habitant, avant de rajuster son chapeau et de franchir le seuil, avant même de tomber dans le caniveau bras dessus bras dessous ou de gagner au loto un soir d’orage, a déposé dans l’urne favorable, autrefois emplie de dives bouteilles, des traces de son passage. Sur le couvercle, les yeux avertis ont appris à lire : « Obole pour la perte ».

 

- N’ayez pas peur de cet adieu. Quelque chose s’est accompli comme une mue de lézard blanc. Un de mes acolytes passera demain pour secouer l’ensemble de vos travaux, voir ce qui peut survivre au tamis de la relecture. Le monde peut à présent reprendre son récit… Faites cependant attention à la marche en sortant du poème,  a ajouté l’ange des parenthèses.

 

 

 

Dominique Sorrente

   

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