Ce poème a été écrit en ce premier jour du printemps d'une année singulière. Avec une musique des Doors, revenue d'un autre temps, qui me faisait signe.
Version youtube (non répertoriée):
coquelicot solitaire sur la colline
PASSAGERS DE LA TOURMENTE
SOUDAIN IMMOBILISÉS
Passagers de la tourmente, soudain
immobilisés,
nous nous retournons,
la route tout d'un coup n'est plus là,
la mer si proche interdite.
Rentrez chez vous, beugle le haut-parleur.
C'est la rumeur qui, cette fois, a les yeux rouges
et ne ment pas,
elle dit qu'il y a un tueur sur la route
qui cache son visage aux vieux qui soufflent,
aux enfants shooters de ballons, aux poignets de portes.
Les corps se badigeonnent nus
en gels miracles
comme ils empilent l'une sur l'autre des bouées de sauvetage
qui se dégonflent vite.
Ponce Pilate n'est plus le seul à se laver les mains,
et plutôt trois fois qu'une.
Et les vagues continuent
mais sans nous
à lécher nos plages.
L'été, ce sera pour demain. Ici, on le raconte en rêve.
Étranges, nos soucis
de passagers de la tourmente
qui tirent sur imprimante le laisser-passer
de sortie.
Rentrez chez vous, répète le mégaphone.
Sur les branches de l'acacia,
les deux moineaux n'y entendent rien,
ni les mésanges, ni les goélands voleurs,
ni les guêpes qui font leur premier nettoyage de printemps.
Le buis est d'une forme insolente dans son exposition
de plein air.
On voit des chiens qui tirent leurs maîtres de compagnie.
Et les questions errent dans les rues.
La rumeur qui rôde remontera-t-elle la pente?
Comment respirent-ils, les poumons envahis ?
Que deviennent les morts sans sépulture ?
Comment dans l'appartement
régler la journée des enfants et les chamailleries ?
Ici une maman apprend à se faire appeler "maîtresse"
par son fils. Elle en sourit et se demande combien
de temps durera le rôle.
On dit qu'à Wuhan, ce fut un temps de pain bénit
autant pour les divorces et que les naissances.
Alors les zélés travaillent, il y en a toujours eu,
ceux qui se jettent à corps perdus sur les instants,
plus que jamais les zélés dévorent leurs écrans
qu'ils trouent de plus en plus
pour inventer des tunnels, des sas, des passerelles.
Tandis qu'aux fenêtres à huit heures,
à côté des linges qui pendent, les casseroles
inventent un orchestre de bruits
en hommage aux gens masqués et aux soldates en blanc.
Et toi, passager de la tourmente, soudain
immobilisé, tu entends
des hurlements dans tes oreilles:
qui viendra prendre le dessus ?
Fini l'ouest,
fini l'autobus bleu.
Finis cinoche et troquet,
les embrassades de peau à peau.
On s'encapsule.
On se parcourt de baume.
On se met camisole de distance
et on découvre à tous petits feux
les lettres du mot: cellule d'isolement.
Passager de la tourmente. Et alors ?
Tu es chanceux.
Infiniment.
Pour le moment.
Apprends juste les couloirs,
le bout de table,
la pomme à croquer,
la poussière dans l'œil du tiroir.
Et ce n'est pas la fin d'en rire!
Apprends
l'incroyable silence
qui avait déserté la place.
Et pourquoi faudrait-il en avoir peur ?
Après tout, dans cet habitacle de fortune,
jeté avec les autres,
c'est l'heure de reconnaître
des tas de choses qui n'avaient pas de noms.
Tous les enfants
ne deviendront pas fous
dans l'attente des pluies espérées.
Allez, chanceux, tu ne pourras pas disparaître
d'une dose de trop
dans les toilettes sordide d'un bar.
Fais quand même gaffe à ta baignoire trop pleine
ou au court-jus. Aux engueulades qui cognent trop,
aux vengeances des monstres de l'intérieur.
Pose doucement ta tête absente
sur mon drap blanc teinté de rouge.
Lançons-nous des signaux,
à la façon des autochtones.
Les choses ne sont pas ce qu'on pourrait croire,
mon docteurs demain aura retrouvé son visage.
Agrippons-nous au mot "confiance"
qui s'amuse de tout et voit pousser
sur la butte blanche de calcaire
les premiers pissenlits.
On se donne rendez-vous,
mes passagers de la tourmente.
Une coupe de champagne à la main.
On va traverser la dalle et les cristaux liquides.
Slainthe ! comme on dit en Irlande.
Santé! Prosit! Prost ! Cheers! Plus que jamais.
Et jusqu'à ce que Vie s'en suive.
Dominique SORRENTE
20 mars 2020