11 décembre 2013
UN TOUR DE PISTE AVEC LES FOLIES DU MONDE
LA RENCONTRE « INTERVALLE » sur les Folies du Monde s’est tenue ce samedi 7 décembre après-midi.
Failles de l’esprit, débordement, folie douce, mots ruptures : l’écriture a bien des choses à dire aux déchirements qui traversent notre temps comme notre vie personnelle.
À chacun de tracer à l’encre sa diagonale du fou plus ou moins zigzagante…
Autour de la table du jour, nous étions une dizaine de fervent-e-s pour explorer un peu de ces voix déchirées, de ces paroles qui tournoient, de ces regards aux prises avec le chaos.
19:07 Publié dans Intervalles | Lien permanent | Commentaires (3)
LES FOLIES DU MONDE du côté des scripteurs
Ci-après, quelques contributions recueillies sur le thème du jour.
Intervalle prolifique de ce 7 décembre où il fut aussi question des naufragés de Lampedusa, du corps de Toutânkamon, de la boîte de Pandore, de Fernando Pessoa sortant la nuit sous ses lunettes noires, d'Andrée Cheddid loin des berges stridentes, sans oublier l'Annonce faite à Marie donnée par la Compagnie de l'Égrégore.
*
à Ossip Mandelstam
Je marche
Je marche
Pieds à pieds
Les pieds nus
Vers ce ciel
Sur une échelle
Aux multiples barreaux ornés de poignards
Une lourde pelisse à mes épaules
Rejetant loin
Ce siècle fauve
L’odeur fauve
Le cadavre de la raison
NICOLAS ROUZET
*
S'asseoir, debout, marcher
S'asseoir, debout, marcher.
Cela fait un certain temps déjà que bruissent autour de moi mondes et contredanses. Je le sais quand mon front s'alourdit, quand s'affirme avant toute autre chose le sentiment de chute. Je me repère alors aux yeux de cette femme, qui valse seule et qui, tour après tour, semble dicter ma conduite de son regard direct.
Elle n'existe pas ! Elle n'existe pas ! Je dois frotter fort mon front de mes mains ; je dois circonscrire ce petit mal avant de trébucher les pieds gourds de peur.
Cela passe par l'exploration minutieuse des recoins, le soin apporté au remue-ménage. Quelle est cette question qui se pose sans cesse, revient, s'oublie, revient, s'oublie mais laisse son souffle déposé un peu partout ?
De part et d'autre du clos
Qu'est-ce que mon regard ? Dois-je lui confier mon abord des choses ? Dois-je le penser comme un élément nécessaire du mystère ?
Je vais mon chemin. Je lis. Je parle. J'écris. Je mange de bons petits plats. J'aime. Je n'aime pas. J'entre. Je sors. Je suis ému.
Qu'est-ce qui est vrai ? Je questionne chaque lueur. Je questionne jusqu'au battement de mon cœur. Puis j'oublie.
Le point focal décide du constat. Rien n'existe si je ne le sais, si je ne le prends par l'œil, si je n'incise la scène et l'arrière-rideau, soumis à l'impression et à son excision, dans l'écartèlement du cerveau.
Achevé sous un cèdre
Toujours au pied du mont. L'écume jaune preuve d'échec. Nulle eau ressurgie du gouffre. Serai-je proie au gré des fauves ?
Sur la crête, l'abrupt noir d'arbres mis en frontière, l'azur propice au rapt.
A l'instant, je suis aigle. Le vaste espace et ses vertiges sont envolées sauvages.
Belle illusion. Nécessaire illusion. Aigle ou simplement homme serein, savoir le croire par instants. S'échapper du trop vrai, du trop cru, de l'addition strictement sue.
Je viens de terrasser tout un jardin. Le vent, doux, joue avec les herbes encore vivantes. Un fond d'eau dans la bouteille évoque toute source. Pourquoi ces roses-là sont-elles si rouges ?
OLIVIER BASTIDE
*
La vocation du fou
Ô vous, tireurs de biais, honorez-le. À lui seul, l’honneur des astigmates !
Au pays du bizarre, la reine volontiers le dépêche.
De naissance et pour la fin du jeu, il tracera ses lignes, corridor tout en blanc, corridor tout en noir, comme le sort l’aura jeté.
Destin voué. On ne métisse pas la folie, on la traverse de bord en bord.
Un fou n’en cachera jamais un autre.
DOMINIQUE SORRENTE
( extrait de Le Jeu d’échecs et du mat, Pays sous les continents, MLD, 2010)
19:02 Publié dans Intervalles | Lien permanent | Commentaires (0)
05 décembre 2013
L'HIRONDELLE (extrait)
Un matin effilé comme un songe elle s'avance
D’un pas lent
Vient de loin
Me couvre du regard
- deux lacs d’ambre limpide, soudain le calme
Me dit qu'il est cruel
D’épuiser la parole
En futiles verbiages
Assieds-toi tout au bord, me dit-elle
Assieds-toi en retrait
Et écoute en silence ce que te dit le monde
Attends que les mots viennent
Attends qu’ils viennent à toi
Accueillir les mots nus, blessés, ou démunis
Voilà tout ce que tu peux exiger de toi
Et c’est déjà la moitié du chemin qui est fait
Le chemin que l’on ne -
Le chemin qui ne se -
Premier poème écrit à coups de plumes d’anges
*
- Souvenir -
Je pense souvent à elle.
Et je ne peux penser à elle sans que résonne à mes oreilles les bruits de la forêt, ceux qu’elle m’apprenait à écouter au cours de nos balades printanières dans le sous-bois de la forêt de la Sainte-Baume. Un mélange de silence, de souffles du vent dans les hautes futaies et de pépiement des oiseaux, aussi chatoyant que l’étaient les éclats de lumière qui filtraient au travers des frondaisons.
Notre consigne curieusement, pendant tous ces week-ends passés dans la maison de campagne, c’était : « Aucune musique ! ». « No music ! ». C’était se couper pendant deux jours du déferlement de rock qui roulait dans nos oreilles d’adolescentes le reste de la semaine. Evidemment nous avions nos grands classiques, Les Beatles, Albums Bleu, Rouge et Blanc. Nos chouchous, Stairway to Heaven de Led Zep. Et nos inconditionnels : Genesis… Mais le week-end, c’était : Silence !
Car Frédérique, ma meilleure amie, ma confidente, mon Hirondelle, avait un projet : apprendre le chant des oiseaux. Parvenir à imiter leurs chants, à siffloter, chanter, pépier, gazouiller comme eux. Et elle y réussit. En pas même une année, elle parvînt à reproduire à la perfection une gamme incroyable de chants de différentes espèces.
Son projet avait un deuxième volet, plus improbable sans doute : elle voulait apprendre à voler. Aussi vite, aussi haut, et aussi beau que les hirondelles qui traçaient là-haut dans l’azur. Elle assurait qu’elle y parviendrait.
Simplement, cela prendrait un peu plus de temps.
*
Elle avait enlevé son manteau comme on dépose sa vie
Parvenue au bout de la planche
Mouvement suspendu
Un pied dans le vide
Les yeux fermés
Elle appela
Et tous les autres étaient absents
*
Ce matin n’est pas un matin
C’est un effacement
Une discrétion
Un retrait
Une place faite à l’absence
Un hommage feutré du silence à la nuit
ISABELLE PELLEGRINI
15:51 Publié dans Anthologie Poètes de la Coïncidence | Lien permanent | Commentaires (2)