Notre époque, passionnante par bien des aspects et riche de promesses multiples, est en train d’engendrer dans le même temps une galerie de monstres, à la prétention de veaux d’or. Parmi eux, la marchandisation de l’intime et le dévoiement du religieux. La première chasse la gratuité dans les moindres recoins de l’âme humaine pour l'habiller en offre financière. Le second arrache à l’acte de se relier ce qui lui donne sens et mystère et le remplace par un geste de rapt institutionnel.
Dans ce contexte, l’enjeu de la liberté poétique, conscience et parole autonomes, redevient plus que jamais une cause sacrée. Contre les mots de la rhétorique à sang froid (les verbiages des process et autres langues désincarnées des spécialistes), contre les mots des propagandes (il y a, par exemple, en ce moment, une poétesse de Daesh qui fait fureur dans les vidéos d’endoctrinement des candidats djihadistes), nous revendiquons le rôle insolite du poème. Celui de poil à gratter, tension d’une parole ouverte, indocile, espace pour une mise en mots, lacunaire mais fervente, du sensible dans toutes ses vibrations.
Le poème, lieu d’interactions surprenantes et de vraies retrouvailles pour le cerveau humain, dont toutes les recherches les plus récentes nous indiquent qu’il est, à tous les âges de la vie et jusqu’à son terme, en quête de plasticité.
Le poème à l’instinct joueur, comme le savent les enfants de toujours. Capable de lever des mots intenses et prodigieux qui appartiennent à tout le monde. Le poème, passeur des secrets publics, des paroles réfractaires et inventives. Visage de consolateur ou d’insurgé, ami des manques et des chemins de traverse, le poème à l’humeur de pochette-surprise du monde qui naît, avec lui, à cet instant. Poème, toujours sans façon.
Lisez, écoutez, écrivez, parlez, dansez des poèmes.
La vie, votre vie n’attend pas.
Dominique SORRENTE