UA-156555446-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Le sens de l'humeur - Page 6

  • Cette recherche qu'on nomme poésie

    Lorsqu'un philosophe se met à méditer sur la poésie, il arrive que le poète arrête un moment de parler pour se découvrir un "allié" exigeant qui croit à la vertu de l'échange entre les disciplines, à la rigueur des formules, à la fertilité de l'étude... Michel Nodé-Langlois nous propose ici sa réflexion d'une autre rive où les mots de recherche, de science mais aussi de gratuité communiquent volontiers avec le geste poétique. Esprits zappeurs, s'abstenir...

     

    Sculpt_R. Long.jpg

     


     

    Recherche se dit en grec méthodos, terme qui révèle par son étymologie que notre moderne concept de méthode renvoie d’abord, comme toutes les abstractions, à une image des plus concrètes, celle d’un chemin (hodos) qu’il faut suivre pour atteindre une destination visée. Certains penseurs contemporains, inspirés de Nietzsche, ont prétendu qu’un concept n’était rien d’autre qu’une métaphore. C’est douteux puisque, pas plus que les grecs, nous ne confondons le concept de chemin avec celui de ce que nous continuons d’appeler, en grec, une méthode. Mais il est clair néanmoins que l’usage de ce dernier terme signifie que nous apercevons, comme les Anciens, et à leur école, la parenté analogique qui existe entre l’opération qui consiste à se rendre d’un point à un autre en marchant, et celle qui vise à découvrir un élément de connaissance, activité qui peut elle-même susciter pas mal de déplacements, mais peut aussi s’exercer, comme on dit, en chambre, ou, comme disait Descartes, dans son « poêle »...

    Quelque chose de remarquable apparaît déjà ici, qui mérite d’être souligné. Lorsque nous appelons méthode l’ensemble des démarches qui assurent la fécondité heuristique des disciplines que nous considérons comme des sciences, voire l’efficacité de nos techniques rationalisées, nous effectuons, en l’oubliant, une opération de métaphore, dont Aristote dit qu’elle est essentiellement « poétique » : elle consiste en effet à prendre une activité - le cheminement - comme image d’une autre - l’investi­gation, faisant par là-même apparaître une parenté intelligible entre deux réalités dont nous ne manquerons pas de souligner la différence si nous entreprenons de les définir conceptuellement. Tout se passe comme si le recours au mot porteur d’image était propre ici à rendre manifeste un aspect de la réalité que l’exigence de distinction conceptuelle tendrait à effacer.

    Dans la conscience d’un Aristote, c’est donc poétiquement que se laisse désigner un type d’activité que lui-même distingue fortement de cet autre type qu’il appelle en grec poïèsis - par quoi il faut en­tendre non pas seulement l’activité de celui que nous appelons poète, mais bien toute forme de pro­duction. Les Grecs, notamment, regroupaient sous ce terme des activités que nous avons pris l’habi­tude d’opposer, comme techniques d’une part, et artistiques de l’autre : n’ignorant aucunement la distinction entre ces fins que sont l’utile et le beau, ils voyaient cependant que la production de l’un et de l’autre consiste toujours dans une transformation, c'est-à-dire dans la communication d’une nouvelle forme, inédite, à un matériau dont on dispose, qu’il s’agisse du métal pour le forgeron, ou des mots pour le dramaturge.

    Ainsi opposées l’une à l’autre, les deux formes d’activité ont toutefois en commun de s’opposer à une troisième forme qui ne vise, elle, aucune sorte de transformation d’une situation ou d’un matériau, mais plutôt, selon l’idée que s’en fait Aristote, une transformation du sujet humain lui-même, en tant qu’il cherche à ajuster sa pensée au réel par le moyen de la connaissance. Il s’agit là de l’ensemble d’activités que le grec désigne par le mot de théôria, terme qui n’est pas moins que celui de méthode une métaphore poétique, puisqu’il désigne originellement l’acte de la vision, voire de la considération attentive. Ici encore, notre propre usage nous fait oublier ce que les grecs avaient aperçu au cœur de ces activités que nous continuons d’appeler théoriques, mettant sous le mot de théorie au mieux une construction intellectuelle à vocation explicative, au pis une spéculation si abstraite qu’elle apparaît oublieuse des réalités les plus communes.

    Lire la suite

  • L'irraison d'écrire de Jean-Pierre Cramoisan

     

           Dans un paysage polissé de tous bords, l’humeur en pétard de Jean-Pierre Cramoisan est insolite, salutaire également. On n’y trouve aucune maxime pour déjouer les insomnies et les déversements de blues, aucune consolation à bon marché, pas trop de résolutions, non plus ; et pour les modes d’emploi d’envolées glorieuses, on repassera… Et pourtant, quelque chose attire l’œil, comme une manière instinctive d’attraper une baudruche, de multiplier les tours de piste, de redemander de l’assaisonnement. Le style y va sans ménagement, bizarroïde, débridé, marchant de guingois, libre avant tout de tenter ses incursions, ses bricolages de métaphysicien sur quai de gare d'après minuit. Ça éclate de tous côtés. Ça disjoncte. Ça trouble. Ça désespère proprement. Il n’y a plus alors qu’à attendre que l’apparition se produise : j’imagine l’écrivain penché comme un passe-muraille du vide, lâchant ses phrases à l’assaut du monde, tandis que ses mots n’en finissent plus de jouer à chat perché avec lui. En pleine déroute, savoir ainsi réjouir le passant-lecteur : tout un art d’écrire, en somme. Le témoignage qui suit en est la saisissante signature.

     

    Dominique Sorrente

     
    SculptNB.jpg
     

     

    ...Je crois vraiment que la littérature sert à défoncer les murs de la réalité et faire voler le monde en éclats. Ce qui ne veut pas forcément dire qu’il y a quelque chose derrière. Et comme les choses-trappes de l’esprit m’attirent davantage dans des culs-de-sac métaphysiques que dans des grandes avenues d’insouciance soleilleuse, autant y aller de bon cœur. Je ne vois pas d’issue par le bout de la lorgnette de cette vie et encore moins dans l’autre ou dans une autre. Je quête, comme je peux, clopin-clopant, dans les petits mystères de la mort, de l’âme, du néant, ou dans les multiples états de la décomposition de Dieu, en ne me tenant à aucune rampe, mais en me servant des armes de la moquerie, de la dérision, de la distorsion du réel, de l’absurdité, du grotesque et du dérèglement généralisé de l’écriture. Chaque fois que je tente de passer à travers les choses, j’y laisse des plumes ; je me sens vacillant, trempé par l’angoisse de faire un faux-pas et de me retrouver… Où ça ? Va savoir ! J’ai l’impression d’être pris dans un millefeuille de mots. Mais lequel d’entre eux peut qualifier le désespoir et le chagrin de l’impuissance à ne jamais comprendre la Vérité ? L’histoire de tout ce fourbi est déjà écrite et je ne fais, hélas, que repasser par-dessus la couche de mes contradictions. L’écrivain est une sorte de guignon de l’absolu, un clown a qui l’on aurait troqué son nez rouge contre une trompe et ses grosses chaussures contre pas de pieds. Dire les choses, tenir le ton, rester debout pour applaudir plaisamment à toutes les inepties qui traversent la nature et le monde ; rire pour ne pas crever d’être là, tant la farce est solide, voilà ce qu’il convient d’appeler le voyage dans le réel sans boussole, à l’estime, comme jadis les navigateurs vikings quand ils lançaient leurs drakkars à la conquête des mers.

    La prochaine fois, si j’en ai la force, les moyens et surtout le courage, j’aimerais bien écrire un texte pour expliquer comment Grigri est parvenu à tuer le Temps...

     

    Jean Pierre Cramoisan

    Octobre 2009

     

     

    On peut retrouver les textes de Jean-Pierre Cramoisan dans la Revue des Archers, dont le siège est au théâtre Toursky à Marseille.

     

  • Pour ouvrir le Printemps des Poètes «en rires»

     

      Et à part ça…

     

                                                                  à ceux qui vous demanderont

     

     

     

     

    Et à part ça, 

    qu’est-ce que vous faites dans la vie ?...

     

    - Oh dans la vie, vous savez, pas grand-chose, j’ai fait à tout hasard,

    j’aurais peut-être pas dû faire, mais enfin,

    c’est plutôt  en dehors de la vie, tout en dehors, si vous saviez,

    mais là, pas vraiment fait, plutôt défait,

    expérimenté des défaites, votre mine de maintenant en est une,

    par exemple, mais moi, c’est en dehors de la vie,

    pas le petit

    dehors 

    de l’autre côté de la porte et qu’on entend dedans,

    non le vrai, enfin un début de vrai, au-delà même du dehors,

    quand dehors en prend de la graine, celle des oiseaux, par exemple qui sont postés au-dessus de leur cage,

    qu’il ne se retourne plus, dehors,

    pour compter les cailloux,

    si vous saviez le nombre des cailloux,

     

    au dehors du dehors, ça commence à faire loin à vue de nez,

    c’est toujours drôle de tenter « à vue de nez », ça vous met de la brouillade

    dans les sens, ça vous rend perplexe, presque comme vous en ce moment de maintenant,

     

    au dehors du dehors, on va si dehors qu’on en est tout retourné en fait,

    il y aurait comme un retournement, le dehors d’avant

    pas vraiment gaillard, souffreteux, coincé on dirait,

    pas espacé pour deux sous, pour tout dire, trop en dedans,

    le dehors sortirait de ses gonds, dans un état pareil,

    second est le mot, avec le c qui se prononce g, allez savoir pourquoi,

    sans doute justement parce qu’il est dans cet état-là,

    ce con, ça serait pas correct de dire,

     

    à longueur de journées de ces dehors-là, on finit bien

    par perdre une ou deux dents, n’est-ce pas,

    on se met à prendre part à tout ce qu’on ignore, et on mesure le démesuré

    avec un pied à coulisse,

    étrange ce pied qui s’allonge, s’allonge, s’arrondit aussi,

    se rétracte, se dilate,

    souple et centré comme on est dans les coulisses avant de faire la scène,

    dans le dehors à donner son avis,

    comme on fait, à soi tout seul, bande à part,

    et ça peut vous tenir lieu de vie sur l’agenda troué du temps, vous savez,

    chacun ses marottes

     

    et à part ça, vous, Monsieur le banquier, vous,

    mais il n’y a pas de sot métier,

    je vous l’assure,

    qu’est-ce que vous faites dans la vie ?     

     

                                                                  

     

                                                                        Dominique Sorrente,

                              (tiré des Contre-Performances, inédits mars 2009)

     

     

    DSenScène.jpg

     

     

     

    A l'affiche à Marseille, au Théâtre des 3 ACTES,

    le mercredi 4 mars 2009 à 20h30.

     

    (voir rubrique blog Marseille Bateau Ivre)