Persian series (1999-2000) © Stan Brakhage
Pour Jean-Marc Audouin, et tous nos aimés fantômes
Samedi 10 décembre 2022 les poètes et poétesses du Scriptorium se retrouvaient pour la traditionnelle veillée poétique au coin du feu. Cette année, la thématique enchanteresse de l'ÉMERVEILLEMENT avait été lancée pour mieux nous réchauffer en compagnie des flammes, vaillamment entretenues par l'hospitalité bienveillante et pétillante d'Isabelle Alentour.
Des retrouvailles joyeuses et nombreuses aux alentours de Marseille pour terminer l'année des Scribes en beauté, il va sans dire.
Marie-Philippe Joncheray nous avait concocté un vin chaud de saison des plus goûteux pour ouvrir la soirée et ses festivités.
L’émerveillement
Emerveillée par la joie d’écrire
Je parle à moi-même
À des gens absents
Ou ne dis rien
Je laisse libre cours aux pensées
Des images émergent des rythmes s’entendent
Je me plie au charme des mots
En aiguisant ma voix j’avive mon état d’âme
Voilà le chant des paroles
Et son effet résonnant
qui se transfigure et s’éclaircit
en magie du poème
A mon désir de la grandeur et richesse
D’une nuit semée d’étoiles
Suit l’arrivée d’une onde fraiche
Et le rejet de l’univers
Au sommeil d’enfant
Dans ma main je tourne le jour
Pour arpenter mes pas sur le sol
Je laboure et je danse
En respirant avec le temps
Les livres sont mes contemporains
Me protègent consolent réconfortent
La grâce des paroles
Comme bonheur des jours à venir
L’essai du temps maîtrisé
Je trace le visage de mes bien-aimés
Le manque du souffle de bouche à bouche
L’éclair des yeux sur la peau des joues
Sur les tempes le sourire des rides
L’élan des lèvres affamées
Tête à tête l’une à côté de l‘autre
L’une sur l’autre
Un parfum qui stimule le sang
*** *** ***
À vous mes amis vous mes inconnus innombrables je
Pense à Robert Desnos dont les yeux étaient
Des perles je pense à Rimbaud le jeune homme vert qui
Rougissait jusqu'aux oreilles je pense à d'Aubigné
Couché avec ses pistolets
Je pense aux personnes à merveille dans ma vie mes
Frères loin mes potes en allés mes jamais rencontrés
Je pense au cœur de ma mère solitaire je pense
Sur la tête de mon père je pense à mes aïeux en rangs
D’oignons dessous la terre je pense à ma grand-mère
Sempiternelle qui avait le blues toujours dans sa vieille blouse
Je pense aux personnes merveilleuse à vie je pense à
Leurs coups de mains je pense à leurs coups de pieds
Au soleil cou coupé et à baise m'encore je pense à
Leurs coups de reins je pense à leurs coups de dés
Je pense aux personnes qui me merveillent la vie d'hier
À aujourd'hui et jusqu'au lendemain la merveille de
Leurs voix de leurs rires et chagrins je pense à eux
Longtemps je pense à eux très vite je pense à elles
Aussi je pense partout à lui
Je pense aux personnes dans ma vie merveilleusement
Je pense merveilleusement aux personnes de ma vie
Car je n'oublie personne personne et pas même moi
Je pense à tout le monde et m'y trouve comprise je
Pense à moi qui pense à vous et à merveille
Valérie Rouzeau , Va, le temps qu’il fait
*** *** ***
*** *** ***
dans un roman shakespearien
advient Lou Reed
avec Just a perfect day
la pensée décolle
un passé heureux rapplique
et peu importent alors
le brouillard
la pollution
le FN
nous écoutons Just a Perfect day
c’est écrit
dans le roman
dans la chanson
ils boivent
la sangria dans un parc
je me souviens
du verre de champagne
bon marché
guinguette des Buttes Chaumont
et puis (pas dans le roman
toujours chez Lou Reed)
a good movie
le bonheur
advient
par bribes
Catherine Weinzapepflen, Quinze in Le rrawrr des corbeaux
*** *** ***
En ce temps-là j’étais en mon adolescence
J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais
déjà plus de mon enfance
J’étais à 16.000 lieues du lieu de ma naissance
J’étais à Moscou, dans la ville des mille et trois
clochers et des sept gares
Et je n’avais pas assez des sept gares et
des mille et trois tours
Car mon adolescence était si ardente et si folle
Que mon cœur, tour à tour, brûlait comme le
temple d’Éphèse ou comme la Place Rouge
de Moscou
Quand le soleil se couche.
Et mes yeux éclairaient des voies anciennes.
Et j’étais déjà si mauvais poète
Que je ne savais pas aller jusqu’au bout.
Le Kremlin était comme un immense gâteau
tartare croustillé d’or,
Avec les grandes amandes des cathédrales toutes blanches
Et l’or mielleux des cloches…
Blaise Cendrars, Prose du Transsibérien
*** *** ***
Je n'avais pas envisagé de monter dans l'arbre ce matin il faisait froid et le vent détrempé par la pluie de la veille soufflaient encore avec des gouttelettes.
Et pourtant dans l'Aube grise et sans relief j'ai escaladé le platane.
Fanes de radis
L'ascension vertigineuse
Du limaçon
On imagine toujours que le merveilleux s'accompagne de nuits étoilées, de pleine lune ou bien de soleil éblouissant, de forêt foisonnante, de lapin blanc et d'étincelles dorées dans un ciel calme.
Et bien ce matin là il faisait froid ,gris, sombre et même après le lever du soleil, la lumière restait hermétiquement close comme si le jour ne devait jamais se lever, et pourtant je suis allée à la rencontre du merveilleux.
Pour atteindre les branches les plus basses pataugeant dans l'herbe détrempée j'ai escaladé le dossier du banc et atteint directement les charpentières.
J'avais les mains gelées par le froid de décembre, et malgré mon bonnet et mon anorak je ne me sentais pas confortable, le ventre froid,.
J'ai continué à grimper un peu plus haut peut-être à 5 m au-dessus du sol et je me suis calée là sur une gros noeud d'élagage.
L'arbre frissonnait et les feuilles mortes encore accrochées aux brindilles, faisaient un petit bruit de cliquetis, les couleurs sans relief, oscillaient entre le brun et le gris,
J'étais hypnotisée par ce clignotement des feuilles dans l'arbre.
Le vent qui soufflait bercé des branches et moi-même d'avant en arrière, une mère géante bercant dans ses bras son enfant
À la cime une pie posée sur la dernière branche jacassait son cri de pie.
Brusquement le vent s'est mis à souffler plus fort en tournoyant dans le platane, les frondaisons fragiles de l'hiver craquaient et lentement montant du sol, une rafale en spirale s'est formée décrochant petit à petit toutes les feuilles mortes
J'etais le centre d' une grande nébuleuse, autour de moi des milliers de paillettes brunes aspirées me poussaient vers les houppes,je ne sentais plus le froid,
Bien au contraire une douce chaleur m'enveloppaient , des petites mésanges charbonnières, accrochées à mes vêtements, piaillaient, sifflaient, leur chant familier emportees dans une tornade bienveillante et nourricière.
Nous continuons, à tournoyer ensemble, humain oiseau et feuille emmêlés, et de manière ascendante , grimper , grimper vers les brumes du ciel.
Puis doucement les feuilles, les oiseaux et moi-même sommes retombées sur le sol. Dans un doux bruit feutré mes pieds crissant dans un épais tapis de feuilles mortes, j'ai levé la tête et découvert l'arbre tout nu qui me souriait.
Jour d'automne
par-dessus les toits des humains
la vérité du vent
Claudine Baissière
*** *** ***
Je suis sorti me promener.
J’ai rencontré un homme. Il allait et chantait.
Il allait en chantant.
Alors j’ai dit : ‘ Homme, tu chantes, n’est-ce pas ? Faut-il que ta vie soit si bonne ? Je t’envie.’
‘Non, a répondu l’homme. Ma vie va mal. Très mal. Mais quand je commence à chanter, ma vie va toujours mieux. Voilà pourquoi je chante.’
Ainsi passa ce soir la peuplade des émerveillés...
Les « émerveillés » possèdent un cortex singulaire plus petit car moins enflé de stress synthétique.
Ils sont spécialisés dans les moments fugaces à saisir comme on attrape au vol les canards sauvages ou les bonnes blagues.
Ils ont barbouillé d'enfance leur vie entière, même quand leurs genoux sont écorchés vifs.
Ils gardent le goût des cailloux portés à la bouche, s'éclaboussent dans les flaques et font peur aux passants besogneux avec leurs lampes magiques.
Les émerveillés répètent qu'aucun jour n'est semblable à l'autre. On n'est pas obligé de les croire mais on aurait tort.
Ils prétendent aussi, dur comme fer, qu'Ariane ne s'emberlificotera pas plus qu'une saison avec son fil dans le labyrinthe.
Les meilleurs ennemis des émerveillés n'arrivent pas à prononcer le mot: Wahou !
Ils pratiquent la numérisation de l'enfance.
Ils se reconnaissent immanquablement avec leurs yeux de colin froid.
Dans certaines contrées du Sud, les émerveillés ont trouvé un petit nom savant pour se nommer entre eux.
Il leur suffit de lever les deux bras en même temps et de recevoir un paysage ou une pensée à leur couper le souffle.
Tomber en émerveillement est leur activité journalière, même par gros temps.
On les appelle à l'approche de Noël les RAVIS.
Dominique Sorrente
*
Nous vous donnons d'ores et déjà rendez-vous le dimanche 29 janvier 2023 à 16h30 à l'AKDmia del Tango (13001 Marseille) pour une rencontre Poésies en scène : Le Cabaret des Mots & Notes partagés.