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Le Scriptorium - Page 83

  • AGNÈS LAFORGUE, UNE ARPÈGE EN PASSANT (1971-2014)

     

                                     

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        Je la revois au retour d’une séance de Qi Gong dans une salle obscure à Marseille. Un instant partagé. Elle y déplace son corps en même temps que nous, les autres participants,  avec application et une maladresse bonhomme, sœur jumelle de la mienne. Elle adresse en silence ses sourires complices qui s’amusent des figures improbables que nous réalisons. Nous y jouons des silhouettes animales aux noms poétiques et échangeons nos gestes de lenteur.

     

       À la fin de ce moment d’exercices de sagesse et de riantes chinoiseries en mouvement, j’ai le plaisir de la raccompagner en voiture. Elle me parle des arpèges de guitare qu’elle apprend et des humeurs multiples des enfants à l’école où elle travaille. Elle vit du côté de l'enfance. Elle est au plus près de sa journée qui se finit en douceur. Dans le au jour le jour des tâches quotidiennes, elle accorde sa vie. Elle a sa façon de rayonner.

     

        Un jour, peu de temps après l’avoir rencontrée, je l’ai interrogée sur son nom qui résonnait poème dans ma tête. Elle m’a confirmé ce petit miracle qui trottait dans un coin de mon cerveau : oui, elle descendait en ligne indirecte du poète Jules Laforgue.

    Blocus sentimental ! Messageries du Levant !...

    Oh ! tombée de la pluie ! Oh ! tombée de la nuit!

    Oh ! le vent !...

     

    C’est l’un de mes auteurs préférés – et cela depuis mes 17 ans -  un poète auquel s’accrochent tant d’instants de ma vie. Jules Laforgue : cette incroyable singularité d’une écriture pleine d’audace,  amère et rieuse en même temps, toujours gorgée de fantaisie, avec un esprit anglais et des accents de chansons des rues, et la magie des ritournelles à défier les naufrages les plus noirs. La signature d’un beau-perdant, en somme, qui a tenté de vivre vingt-sept ans, à peine. Pierrot hamlétique…

    Agnès n’aura connu que quelques années de plus, à l’époque des papys centenaires.

     

       En remontant la rue Jules Moulet, nous passons devant l’immeuble où avait vécu Christian Guez Ricord (1948-1988), cette autre présence, comète amie.  Agnès habitait à deux pas de là, dans la même rue.  Soudain pour moi, un exercice de rapprochement s’imposait, moment où le sens de l’existence devient plus intense par la grâce d’un surgissement.

     

       Agnès n’écrivait pas et ne connaissait que de façon lointaine l’œuvre de son ancêtre (un oncle s’en chargeait pour la famille...), mais elle avait réalisé un véritable geste poétique : celui de mettre en relation. D’un bord du temps à l’autre. Par la trouée des années et des vies. Elle participait dans son innocence même à cette joie des veilleurs qui se reconnaissent dans la nuit, avec leurs lampes allumées et leurs signaux de présence intermittente.  Et comme elle était une jeune femme simple, portée par la prière, cet autre versant de soi-même qui lorsqu’il est sincèrement éprouvé offre d’imperceptibles et décisifs déplacements intimes, tout cela la réjouissait.

     

    En repartant vers ma colline, j’appelais secrètement cette montée la rue des deux poètes.

     

       Aujourd’hui, à côté de ses amis (Marie-Hélène, Marie…) qui l’ont connue mieux que moi, je porte un morceau d’Agnès au cœur. J’ai en poche comme un mouchoir noué un bout de ce temps où les urbains que nous sommes réapprennent à faire l’arbre. Je parlemente avec les affreux costumes du malheur des corps (phtisie pulmonaire,  rupture d’anévrisme, nominations hideuses). Je me repasse en boucle le Sanglot de la terre qu’écrivait Jules au début du XIXème siècle.

     

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    Et je récite cette comptine de l’oncle poète pour la belle âme d’Agnès :

     

    Quand les croqu’morts vinrent chez lui,

    Quand les croqu’morts vinrent chez lui, ;

    ils virent que c’était une belle âme,

    Comme on n’en fait plus aujourd’hui !

    Âme,

    Dors, belle âme !

    Quand on est mort, c’est pour de bon,

    Digue dondaine, digue dondaine,

    Quand on est mort, c’est pour de bon,

    Digue dondaine, digue dondon !

     

        Agnès a été enterrée à Saint-Ybard en Corrèze.

     

        Aujourd’hui, il y a une entaille de plus dans l’épicentre de la vie où Agnès Laforgue continue de nous sourire. Comme au temps du Qi Gong et de la rue montante à Marseille. Comme au milieu des enfants et des escargots.

     

        Ici aussi, il y a de l’innocence dans l’air.

     

     

                                                 Dominique Sorrente

     

     

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  • JEAN FRANÇOIS MATTÉI, la vie en suspens du philosophe (9 mars 1941- 24 mars 2014)

     

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      J’ai appris avec près de 3 mois de retard le décès de Jean-François Mattéi. Encore a-t-il fallu un curieux concours de circonstance, puisque c’est à l’occasion de la conférence de presse de Richard Martin qui présentait la saison 2014-2015 au théâtre Toursky que j’ai lu en haut d’une page du catalogue la mention « Ces Université populaires sont dédiées à Jean François Mattei ». Et comme rien n’est simple dans le monde des homonymies, j’ai pensé spontanément qu’il s’agissait de cet autre « Jean François Mattei » (sans accent aigu sur le e) dont Patricia Le Roux et moi, avions fréquenté l’Espace Éthique Méditerranéen, plusieurs années durant. Il a fallu quelques jours encore pour que quelqu’un me dise en vérifiant sur le Net : il s’agit du philosophe de la pensée grecque.

      Ce retard à apprendre est peut-être l’ultime clin d’œil que m’a adressé l’auteur de la Barbarie intérieure. Une façon de différer l’actualité pour mieux faire face au présent. Une pratique de l’âme comme celle du « suspens » qui nous tenait particulièrement à cœur, l’un et l’autre, en matière d’éducation.

      Certaines personnes vous rendent plus intelligents  par la magie d’une conversation. Elles ont la capacité d’attiser en vous un désir de connaissance et de vous engager à l’entretenir à chaque rendez-vous. Jean-François Mattéi était de cette lignée de maïeuticiens. La vie universitaire avait fait que je l’avais rencontré pour la première fois comme étudiant à l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix en Provence dans les années 70. Juste le temps d’un examen oral où j’avais écrit dans mon brouillon préparatoire quelques noms en cyrillique comme une facétie qui avait intrigué mon interlocuteur. Ce n’était rien, mais déjà des miettes pour un esprit toujours en éveil qui n’attendait de son vis-à-vis, fût-il inexpérimenté, qu’un véritable dialogue d’intelligences. J’avais ainsi hérité d’une conversation passionnante, bien plus que d’un examen besogneux, et la note obtenue avait été à la mesure de ce bon moment.

       Bien plus tard, j’ai retrouvé Jean-François Mattéi à la faveur du Colloque d’éthique économique de la Faculté de Droit d’Aix en Provence, animé par Jean-Yves Naudet. Jean-François Mattéi  avait reçu la mission de dispenser la conférence inaugurale. Les traversées étaient précises, argumentées, prenant toujours assise sur la pensée grecque pour nous emmener vers aujourd’hui. Mais rien de compassé, de poussiéreux, et les citations venaient se loger comme au naturel dans les argumentations où Hölderlin était aussi à l’aise que le cinéma américain contemporain.

     

     7692320,templateId=scaled,property=imageData,height=220,scale=proportional,v=1,width=312,CmPart=com.arte-tv.www.jpgSi le philosophe est un questionneur, Jean-François Mattéi avait cette vertu-là, mâtinée d’une forme de stoïcisme où l’ironie n’était jamais délaissée. Il interrogeait le monde contemporain dans ses conventions de pensée, ses fausses évidences, ses processus d’enfouissement ou de simulacre de la vérité, ses impasses ontologiques. J’aimais qu’il sache étudier avec une rare profondeur le film Matrix et le mouvement des Indignés comme des objets - témoins de notre époque. Réfractaire à toute duperie. Mû par une forme de pessimisme actif (il évoquait « l’immonde contemporain ») qui ne s’en laisse pas compter.

     Le repas qui prolongeait la séance inaugurale d’une année à l’autre était à chaque fois pour moi l’occasion de pousser vers un au-delà de la conversation où le philosophe et le poète échangeaient leurs expériences. Je ne me lassais pas d’apprendre et d’engranger, d’emporter des provisions pour activer les neurones, à l’approche de l’été.

     La dernière fois où j’ai vu Jean-François Mattéi, il présentait un triptyque sur Albert Camus où ce méditerranéen viscéral retrouvait un corpus de pensée qui lui était cher : l’absurde, la révolte et l’amour.  Une sorte de parcours d’après-Nietzsche où le dernier homme clignant de l’œil laisse la place au « premier homme » retrouvé qui réinvente la possibilité du monde. Et son enchantement.7692352,templateId=scaled,property=imageData,height=220,scale=proportional,v=1,width=312,CmPart=com.arte-tv.www.jpg

      Comme si après toutes les tâches de creusement de l’illusoire, d’interpellation des masques, l’humain trouvait la grâce de se dresser à nouveau.

     Jean-François Mattéi, ce petit homme agile et chaleureux, à la vivacité d’esprit hors pair, avait le courage et l’obstination de ceux qui œuvrent pour qu’à la fin de l’Histoire - qui est déjà devant nous - l’humain ne retourne pas à la caverne de Platon d’où la philosophie l’a fait sortir. Vaste espoir toujours à reprendre, tout particulièrement face aux mauvais anges de notre époque.  

       Pour l’heure, c’est une présence amie qui se met « en suspens ». À qui j’aimerais adresser au-delà du silence cette parole si fragile de Charles d’Orléans comme une leçon de confiance envers l’esprit humain qui regarde le monde, tantôt en philosophe et tantôt en poète: « Il n’est nul si beau passe-temps que de jouer à la pensée ».

     

                                               Dominique Sorrente

     

    Pris dans la récente actualité, on pourra visionner cet échange entre Raphaël Enthoven et Jean-François Mattéi, à la suite de l’émission Philosophie d’Arte du 3 novembre 2013 :

    http://www.arte.tv/fr/indignation-jean-francois-mattei-est-l-invite-de-raphael-enthoven-dans-philosophie/2235124,CmC=7692114.html

     

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  • NORD SUD OÙ VONT LES FLEUVES...ce samedi à l'Isle sur Sorgue

    Le Samedi 31 mai 2014 , dans le cadre du festival Trace de poète 2014, le Scriptorium propose une soirée en deux épisodes.

     

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    à 20 heures: Lecture spectacle Nord Sud où vont les fleuves  

    création poétique à deux voix de et par Marie Ginet et Dominique Sorrente

     

    Quand l’univers artistique d’un poète rencontre celui d’une slameuse, les lignes tanguent…

    Nord Sud où vont les fleuves embarque le spectateur dans un voyage en poésie qui se joue des barrières ou des genres, et veut rendre à la langue sa douceur, son impertinence et sa vivacité. Émaillés de chansons et nappes sonores, les poèmes de Dominique Sorrente et Marie Ginet disent la célébration du quotidien, l’exploration amoureuse, l’humour fantasque, la fascination des voyages et des fleuves. 
    http://slam-lille.com/projets/performance/nord-sud-ou-vont-les-fleuves

     

    IMG_2408 Les jumeaux Largo et Stradivarius.JPG

     


    21 h 30 : Dans le prolongement de la lecture spectacle Nord Sud où vont les fleuves, 
    Podium poétique/scène slam animé par Ange Gabriele.

    Scène ouverte de slam poésie ouverte à tous. Venez crier, chuchoter, scander, dire à votre manière des textes et poèmes de votre crû ou simplement écouter pour le plaisir. 

    Inscription pour les poètes et slameurs dès 19 h 30. 
    Temps limité à 3 minutes par passage.


    Lieu : La Fabrique Notre Dame où vous pourrez découvrir également exposition, livres et revues de poésie. 
    31, cours Femande Peyre - A l'Isle sur Sorgue


    Participation libre 



    Trace de poètes 

    Informations sur la soirée auprès de Marie Ginet 06 09 01 84 13

     

     

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    crédit photos Olivier Bastide et Dominique Sorrente