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Le Scriptorium - Page 82

  • FUITE

     

    C’était cela notre amour ;

    Il partait, revenait, nous rapportait

    Une paupière baissée, infiniment lointaine,

    Un sourire figé, perdu

    Dans l’herbe du matin ;

    Un coquillage étrange que notre âme

    Essayait de déchiffrer à tout moment.

     

    C’était cela notre amour, il progressait lentement

    À tâtons parmi les choses qui nous entourent,

    Afin d’expliquer pourquoi nous refusions la mort

    Si passionnément.

     

    Nous avions beau nous accrocher à d’autres tailles,

    Enlacer d’autres nuques, éperdument

    Mêler notre haleine

    À l’haleine de l’autre,

    Nous avions beau fermer les yeux, c’était cela notre amour…

    Rien que le très profond désir

    De faire halte dans notre fuite.

     

                                                                GEORGES SÉFÉRIS, Cahier d’études

     

     

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    La rentrée du Scriptorium aura lieu ce samedi 20 septembre sur le thème "CORPS À CORPS".

     

  • Comme un indien un goéland, Daniel Schmitt

     

                                                              dans l’amitié du vent commun

     

     

    J’ai envie de dire de Daniel Schmitt

    qu’il est un poète comme on n’en fait plus,

    un de ces rares et si précieux qui ne regardent pas

    à la dépense des mots et des gestes, un qui ne cesse jamais

    de faire signe et de lever son verre et celui du voisin,

    et celui de la table entière,

    à la santé des phrases qu’on a définitivement

    perdues dans les tiroirs.

     

    Et puis, un homme qui avance, en sautillant comme ses frères oiseaux,

    ami des branches et des peintures, et de tout ce qui

    se faufile dans les entrelacs de l’horreur pour lui montrer

    qu’elle n’aura pas

    le dernier mot,

    un obstiné qui va son pas, d’une besace à l’autre,

    pour nous apprendre à nous lester de tout

    sauf de poèmes et de chansons.

     

    Ce matin, j’ai reçu une lettre, mêlée d’or et d’exil,

    à l’enveloppe dessinée de sa main.

    Entre couleuvre et mésange, jeu d’averse et quelques collines,

    elle disait sur papier vert

     l’éclat musclé des pierres

    dans les parages de René Char

    et l’art du toujours enfant

    qui apprend à vieillir en cachette.

     

    Elle a suffi pour faire voler en éclats le cortège honteux des soucis.

    Troquer les tâches  poussives contre des claquement d’ailes.

     

    Pour mieux gober ce jour reçu, je suis allé à ma guitare

    pour bricoler quelques arpèges.

    J’ai dérangé mon agenda

    d’une chanson, puis deux, puis d’autres encore,

    et de tout ce qui vient en cailloux blancs

    pour mieux nous égarer avec l’homme de la Bocca.

     

    J’ai envie de dire de Daniel Schmitt

    qu’il est un poète comme on en fera encore,

    des dizaines,  peut-être des milliers, dans un futur taillé

    à sa mesure,

    quand on n’aura plus besoin de compter,

    quand d’autres viendront grâce à lui

    qui le reconnaîtront 

    pour simplement gober le jour qui vient en poésie.

     

    Arrêtez de chercher le mot « amitié » sous la table.

    Troquez-le vite en ce début d’été, contre un vers de Daniel Schmitt,

    l’homme à la besace à poèmes

    qui allège un peu plus le cœur, chaque fois

    qu’il la remplit.

     

    J’ai envie de saluer Daniel Schmitt

    comme on confie un ami aux immortelles

    qui le connaissent déjà bien depuis longtemps.

     

     

                                                             Dominique Sorrente

     

     

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    DANIEL SCHMITT PAR LUI-MÊME

     Daniel Schmitt est né le 7 février 1929. 
Deuxième naissance à l’automne 1941 en écoutant «Verlaine» (que je prenais pour un prénom féminin), mis en musique et chanté par Charles Trenet.
 Puis Cocteau (parce qu’il écrivait des articles sur Trenet), puis Prévert (parce qu’il fit avec son frère un film sur Trenet).
Dans un pays où parait-il tout fini par des chansons, pour moi tout a donc commencé par une chanson.
 Je n’ai jamais cessé d’écrire depuis ce temps là (mes douze ans).

    Daniel Schmitt - Le Printemps des Poètes

     

    À signaler pour l’été 2014 :

    -la Besace à poèmes n°71 « Du côté de René Char » disponible chez l’auteur

    -plusieurs livres d’artistes publiés aux éditions Tipaza  

    ainsi que « Du côté de René Char », l’ouvrage original tiré en 15 exemplaires, avec 4 photos de Lucien Clergue, aux éditions des Cahiers du Museur chez Alain Freixe.  

     

     

     

  • En mai, la Caravane des poètes est passée...

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    Photographie : Danièle Larcena

     

    À l'occasion des rencontres Trace de Poète, la caravane du Scriptorium a repris du service, à Lagnes (Vaucluse) le 29 mai de cette année...Récit.

     

    Nous partîmes 28... de Lagnes et sa mairie ; nous revînmes 28 ! Et, pour l'anecdote, ce fut un petit exploit, car le hasard des chemins de retour scinda le groupe, pour le bonheur des égarés qui longèrent un temps le canal de Carpentras, ses eaux aussi vertes que celles du canal du midi, et la tentation de cerises rouges, hors de portée...

    Comme il est d'usage, certains avaient écrit pour l'occasion, Points cardinaux et rose des vents , d'autres avaient retrouvé des textes puisés dans leurs archives ou en avaient choisi dans leurs lectures du moment. Quelques précieux alliés avaient encore envoyé des poèmes d’outre Provence, Paul de Brancion (entre Nantes et Paris), Sabine Huynh (Tel-Aviv), Jean-Pierre Lesieur (Hossegor), et le vent, l’oiseau, l’herbe, la pierre les écoutèrent…

    Un hommage particulier nous retint au Rebanque, mazet de René Char entre Lagnes et Fontaine-de-Vaucluse. Les Amis de René Char, association qui s’attache à faire vivre la mémoire du poète dans sa terre natale, y lurent deux poèmes, dont un issu des Feuillets d’Hypnos :

    « Ma renarde, pose ta tête sur mes genoux. Je ne suis pas heureux et pourtant tu suffis. Bougeoir ou météore, il n'est plus de cœur gros ni d'avenir sur terre. Les marches du crépuscule révèlent ton murmure, gîte de menthe et de romarin, confi­dence échangée entre les rousseurs de l'automne et ta robe légère. Tu es l'âme de la montagne aux flancs profonds, aux roches tues derrière des lèvres d'argile. Que les ailes de ton nez frémissent. Que ta main ferme le sentier et rapproche le rideau des arbres, Ma renarde, en présence des deux astres, le gel et le vent, je place en toi toutes les espérances éboulées, pour un chardon victorieux de la rapace solitude. » Feuillets d'Hypnos 1943·1944, n° 222

    Marche douce, paroles échangées, écoutées, herbes jeunes et déjà blondes, rochers se découpant sur le ciel bleu profond, exhalaisons des genets et de fleurs inconnues, lieux étonnants, La Bastide rouge, un pont portant canal sur le vide et son pré, puis s’asseoir, boire et manger avant un au-revoir vers d’autres jours.

    En ponctuation finale: un petit Lucas de 20 mois logea dans un trou secret de la terre une cuillère qu'on n'a jamais revue. Peut-être est-elle à présent arrivée aux antipodes pour une autre rose des vents à inventer...

     

     

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    Entre autres poèmes lus...

     

    Geneviève Bertrand

     

                                      (inédit)

     

    Mandala du  pèlerin

     

    Nulle carte de voyage

    si ce n’est

    l’espace constellé

     

    Son regard aimanté à l’étoile polaire

    cherchait      inlassable          le point originel

     

    La lumière verticale écrasait le chemin

    Une vibration intérieure dirigeait sa course

                Exactitude du pas

     

    Paysage  désertique         inquiétude sourde

    L’océande lumière déversé par l’horizon abreuvait sa soif

     

    L’abri d’une falaise habitée d’oiseaux  offrit le repos d’une nuit

    Alors monta la certitude        comme sève féconde

     

                                                   *

     

    Olivier Bastide

        (inédit)

     

    En extrait de Naissance

    En extrait de naissance, nous recevons l’utile, rien d’autre. Il se compose d’un ensemble d’éléments issus d’un père et d’une mère, ensemble bien plus large que son seul énoncé administratif. Il comprend, outre les précisions généalogiques et circonstancielles, les préalables à notre respiration, l’ancestrale génération d’êtres et de destins jusqu’à nous.

    De cet utile, il nous appartient de faire œuvre. C’est-à-dire d’aller par autant de chemins que nous voulons, objecter le Sud au Nord, à l’Est l’Ouest et vice-versa. N’oublier aucun des intervalles, aucune des caravanes possibles dans les collines et par les rues.

     

    Cet extrait de naissance est un papier reçu ce jour qui mentionne le nom de la sage-femme qui a accouché ma mère. J’ai cinquante-deux ans. Je suis un enfant qui va aux quatre vents.

     

    *

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    Henri Tramoy

    (Inédit)

     

     Enfances, point cardinaux, mes canicules 

     

    Enfances, toutes mes enfances, vous êtes mes chevalements,

    mes chemins d’étoiles et de vents

    mes quatre coins du monde

     

    Le temps me comble de fadaises

    de fentes et d'offenses

     

    Fakir de mes fatigues

    il grave au fer une épitaphe trop précoce

    sur m'éphémères rides

     

    J'ai appris l'essentiel et j'ai tout à apprendre

    de l'ombre gravée au nombre raviné

    de la haine trempée aux chemins de caresses

    du grès des perplexités du souvenir féal

    des voiles des trottoirs où l'on parle des arbres

    de l'écorce de mes défaites

    des yeux fermés à toute empreinte

     

    J'ai l'âme au trou

    par où le temps écrit sa fracture

    quel chemin tracé ou consumé

    quels défis quelles pertes

    quelles fêtes endettées

     

    J'ai l'âme tatouée d'orages fascinés.

     

    Enfances, mes pères, vous êtes mes repères,

    mon tour du monde des compagnons

    mes sémaphores

     

    Je suis l’eau vague dressée

    dérimant la courbure des mots blancs

    où se répète la houle des moissons

    des sables rouges des vins violets

     

    je suis le flot

    âpre pirate aux mythes familiers

    qui traque le grisou

    l’humeur et la tempête

     

    sur mes chevalements s’ordonnent mes folies

    et si j’ai ce soir désir de noir

    c’est pour en confier l’écume

    aux spectateurs d’ombre

     

    je suis le canal

    penché au col de l’aube

    préférant l’absinthe à la rumeur

    le chrysanthème à l’enchevêtrement des normes

     

    sur les collines où s’étonnent mes mystères

    j’oserai une moisson de mots rebelles

    et si je n’ai pas de bleu à offrir

    je saluerai d’un bouton d’or.

    Enfances, vous êtes mes signes perchés,

    mes angles névralgiques

    mes échos, mes montagnes

     

    Passer de l’utopie à sa réalisation concrète pour dépasser l’abattement

    se faire semeur d’étoiles sur voie lactée

     

    mais encore faut-il organiser le chemin

    quitter l’errance pour dessous de cohérence

    unifier les données dans un dépassement du sens

     

    on partira du pôle, point nodal, lieu de l’émerillon pour réduire les problèmes à leur unité trinitaire : terre visage chemin

     

    il sera temps alors de démultiplier les concepts

    on se contentera du compromis acceptable

    d’une terre plate

     

    au bout du chemin, la page nommée

    milieu d’océan bleu comme tes désirs

     

    terre visage aller-retour

    semeur d’étoiles sur voie lactée.

     

    Enfances, vous hantez mes fenêtres,

    vous êtes écrins de mes savoirs

    l’essence de mes gestes rares

     

    Je, calligraphe de mes îles

    m’ivre de mes pensées

    m’enlumine d’impressions bigarrées

    de mirages

    comme un sillage une course marine

    ouvrière des signes

    qui traîne ses voluptés

    aux avivées rebelles des origines

     

    l’été hurlait ses vérités

    et le ventre animait ses légendes

    où le rêve vivait, pressant

     

    je suis des canicules

    mais j’ai l’âme nivale

    j’allume l’hiver d’un désir légendé

    et rouge

    mes passions, quelque haine

    ma langue traîne ses tildes

     

    je ne me vêtirai de l’oncle

    — du frère — ni de l’ombre

    qui dort aux pierres sanguines

    d’un oubli refusé

     

    je neige en lui.

     

     

     Enfances, je suis de vos canicules

     

     

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    Danièle Larcena qui anime l'association  Pierres sèches en Vaucluse nous a envoyé ce texte de compte-rendu. Qu'elle soit ici remerciée de son plan de parcours,  de son art de guide et de sa participation à notre caravane poétique et de ce journal de route enjoué!

     

     La caravane et la rose des vents

     

    Il était une caravane poétique qui tranquillement musardait sur les sentiers de Lagnes. Le nez  au vent des odeurs, les oreilles attentives aux stances du Nord au Sud et d’Est en Ouest,  « dessinant à leur manière  une rose des vents poétiques ».

    Tout avait bien commencé, le château c’est au Sud, c’est bien ancré et bien bâti,  escaladé par des morpions de bories dont la noble demeure ne s’offusque pas.

    A l’Ouest, l’horizon de la plaine du Rhône ! la rose des vents est stable et rassurante. La caravane est polarisée dans la bonne direction, c’est une certitude.

     Mais quand la caravane aborde l’Est, le vent commence à tourner : est-ce bien l’Est, où c’est l’Est ? peut-être là où le soleil se lève, mais il y a déjà belle lurette qu’il est levé ! déjà, insensiblement, la boussole perd ses repères, dérive subrepticement. La caravane au repos prend sa dernière photo sur un simili dolmen, joyeuse et inconsciente du danger qui approche à pas de velours. La dernière photo de gens qui vont au désastre et ne le savent pas.

    Au Nord, mais au Nord de quoi, on ne le sait déjà plus, la quiétude est encore là avec le soleil engourdissant, alors que la boussole l’a perdu ce Nord et commence sa perverse déviance.

    Les poètes se sont tus, il se murmure qu’il est temps de penser à l’art du pique-nique. Et c’est là que le destin se met en marche, la rose des vents virevolte dans une folle ronde. La  caravane part vers l’Ouest en présumant que c’est l’Est ou le Sud ou une cinquième direction. La boussole n’ « oriente » plus elle « désoriente » et entraîne la caravane vers des chemins égarés, vers un canal dont l’eau s’écoule, mais vers quelle direction ?

    SOS, c’est un vrai triangle des Bermudes, où est la caravane ?  Où l’a conduite son errance ?

    Les chercheurs de caravane vont au Nord, à l’Est, au Sud, mais pas à l’Ouest, ne découvrant pas le fil d’Ariane. La caravane ne répond plus, deviendra-t-elle une fantomatique procession divaguant éternellement?

    Mais non, saine et sauve, plus ou moins gaillarde et ravie, elle est arrivée au port du Piei, ayant  frôlée des précipices, affrontée la lourdeur du soleil et dieu sait quelles épreuves  encore.

     

    Moralité : attention à la rose des vents, trop la célébrer lui tourneboule les sens et elle entraîne les caravanes dans sa danse infernale ou… merveilleuse !

     

     

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