26 octobre 2021
QUELQUES TEXTES AU FIL DE L'EAU - retour de la CARAVANE POÉTIQUE HORS LES MURS du 9 octobre 2021 à Saumane en Vaucluse
Afin de prolonger la précédente note, voici ici quelques textes lus lors de la Caravane poétique du 9 octobre 2021 à Saumane en Vaucluse
Et pour saluer le mouvement et la quête de notre exercice, cet extrait de Francis Coffinet :
Tu n'as qu'effleuré
la grande science des pas
écarte le but
déleste le souffle
Le rythme
c'est l'herbe qui l'inculque
( Je suis de la maison du songe, éditions Unicité )
*** *** ***
Il n'est pas nécessaire aux éclatements de se rendre anodins.
Robert Roman
( revue Wam)
*** *** ***
Celui qui tire le fil de l'eau jusqu'à ce qu'il casse n'est pas encore né.
*
Mieux vaut caresser le fur que battre la mesure.
*** *** ***
Une muse et le vêtement de fil d’eau
J'avais recueilli dans le courant, de pleines bassines, de pleines pelotes, de pleines bobines, pour te faire un vêtement de fil d'eau.
A l'approche de l'hiver je ne voulais pas que tu aies froid ma muse, dans les premiers vents d'octobre. En parcourant les sentiers du côté de Saumane, j'ai croisé ton chemin muse, tu frissonnais au bord du torrent. J'étais tailleur, colporteur sur la route de Provence, venu d'une lointaine contrée d'Orient.
C'était un fil fin, ample, souple à tisser, j'en ai fait une rame, tant et tant confectionné, que de cette toile étincelante je te fis un vêtement clair qui couvrait ta nudité comme une gaz antique de soie.
Mais le vent d'octobre curieux et fripon a soufflé sur la robe, le chemisier et les jupons, et le fil de l'eau a séché : te voici de nouveau nue au bord de l'eau.
Il existe tant de fils, de soie, de lin, de chanvre, de laine et autres fibres que tant de mains habiles ont façonnés, mais bien malin ou sorcier celui qui saura durablement tisser le fil de l'eau, le fil des mots.
*** *** ***
Quand les maisons se construisent sur le sable
L'île
est une mer
toujours dans l'alternance
des marées
elle laisse les gens
venir et s'en aller
et quand ils embarquent
elle enseigne aux habitants
à monter sur les vagues
les maisons se construisent
sur le sable
pour chaque nouveau-né
un dauphin
nage dans la chambre
in Une brèche dans l'eau, d'Eva-Maria Berg, paru aux éditions Pourquoi viens-tu si tard ?, p.34
ainsi se fraye
la lumière
une brèche
dans l'eau
et pourtant
elle ne tombe pas
sur tous les
disparus
dans les océans
du monde
ibid p.59
Pour donner signe de vie à tout ce qui survit et nous interpelle dans l'ombre, le poète ajoute :
ça continue
ici l'eau
bouge
aussi dans la baie
les lignes brillent
les yeux changeants
en prennent leur lumière
comme si la nuit
restait à quai
ibid p.65
la lumière blanche
s'inscrit
dans la mémoire
et sèche le sang
tu arrives trop tard
mais tu ne sais pas
si tu aurais trouvé
le courage
de résister
à la violence
ton stylo tremble
toujours et
des yeux reposent
sur toi comme
si tu pouvais
nommer les noms
ibid p.83
*** *** ***
Une eau échappée belle
Quelle approche limpide !
Le ciel bas alité s’incline pour émouvoir
le pont éclaboussé comme si de rien n’était
Heureuse abondance et éclairs de génie
la rivière et la pluie se rejoignent ici
dans le ton de la confidence intime
Une EAU échappée belle des perles funambules
un mélange d’éléments au parcours exalté.
En habit translucide la forêt elle rassemble
ses joyaux et tient tête aux amas boursouflés
Laissant cavaler ses couleurs un arc-en-ciel
comprend l’irritation de ce rien monotone.
Le vertige gagne là en ampleur expressive
et réclame du ciel un finale glorieux.
Qu’entends-je de l’écho entre ces vifs élans ?
L’orage éclate encore et Didon se lamente
Souviens-toi de ses pleurs des nuages pendants !
*** *** ***
FILATURE SACRÉE
On ne dénoue pas les fils° de l'eau.
On les laisse comme dans la flottaison des branches proposer leurs dérives, leurs rencontres,
leurs façons de pérégriner à fleur d'aventure.
Parfois ils s'emberlificotent.
On les regarde entreprendre des nœuds invraisemblables. Et on se demande comment ils parviendront à s'extraire de ces mauvaises séances.
On appelle cela les harassements du quotidien.
Puis, sans qu'on sache trop pourquoi ni comment, ils s'étirent à nouveau, dissipent les jointures, détendent leurs muscles et reprennent leur souffle.
Les fils° de l'eau sont ainsi, libres, sans tracé d'avance, sans humeur qu'on maîtrise. Et il n'est pas possible de croire qu'un rocher ou deux entravera longtemps le cours des choses.
Les fils° de l'eau procèdent du peu à peu, qui n'est même pas un pas à pas, parce qu'il glisse en continu, ou tout au moins, avec une ponctuation invisible à l'œil nu. Il brouille l'esprit des repères saillants, des haltes incisées, des sauts sur galets, des points limites entre deux phrases.
Et tant pis pour ceux qui rêvaient de bivouacs, et d'encoches, de dates et de mausolées!
Il n'y a rien de tout cela à attendre d'une descente des fils° de l'eau en ce monde.
Ça coule de source, disent les furtifs qui ont renoncé à intervenir pour mieux prendre corps.
Ça vogue et ça s'adonne, pensent les coques de noix joueuses.
Ça se voue, ça chemine sans chemin, s'étonnent les perplexes, les marqueurs du temps ordinaire.
mais vous,
vous qui partez, chaque aube, toujours en quête
de sagesse volée aux dieux, aux riens, aux herbes, aux nuages,
vous qui soupesez chaque jour, d'une rive à l'autre, pour laisser aux fuyantes toute leur place,
regardez bien où va le coude de la rivière sans nom.
Là-bas, il est un songe plus insistant que chacun des voyages de notre humaine condition.
Là-bas qui est ici déjà, les fils° de l'eau
deviennent
les FILS* de l'eau,
et notre joie tenace, surabondante, est de les savoir accueillis.
°thread en anglais
* sons en anglais
Dominique Sorrente, 9 octobre 2021
*** *** ***
9 octobre 2021 © emmanuelle sarrouy
14:05 Publié dans Hors les murs | Lien permanent | Commentaires (0)
20 octobre 2021
RETOUR DE CARAVANE POÉTIQUE : UN RÉGAL AU FIL DE L'EAU !
"Au fil de l'eau nous caladâmes
de pierres sèches en arbousiers et récitâmes
en caravane sur la drai de Saumane" E.S.
Voilà encore une bien belle édition de la Caravane Poétique du Scriptorium hors les murs (notamment guidée par les maîtres en la matière Dominique Sorrente et Olivier Bastide) qui s'est déroulée le 09 octobre dernier en partenariat avec l'association Pierre Sèche en Vaucluse (Danièle Larcena) dans le cadre de la manifestation Trace de Poète (Nicole Mignucci). Poètes et marcheurs marchèrent et poétisèrent au fil de l'eau et sous un soleil radieux, en goûtant l'histoire du paysage environnant le château de Saumane en Vaucluse (fief de la famille du Marquis de Sade qui y séjourna pendant son enfance), histoire contée de main de maître par Danièle Larcena.
De larmiers en murs en clavade, de chemins escarpés sous ces roches appelées "peau d'éléphant" en forêts verdoyantes, chaque halte au cœur du Vallon de la Tapy fut l'occasion d'offrir un texte choisi, poème personnel ou poème d'un auteur aimé, découvert ou retrouvé pour l'occasion. Gabriela Mistral (autrice chilienne, Prix Nobel 1945) ; Claude Roy ; Eva-Maria Berg ; Ovide ; Aragon… Et haïkus rédigés en marchant au fil de l'eau par Claudine Baissière accompagnée de sa fidèle camarade de randonnée, Elfie.
Le traditionnel pique-nique, cette fois sur les hauteurs, fut le moment de reprendre son souffle, partager les mets, et faire plus ample connaissance dans la douceur de l'été indien. Avant de repartir sous la roche, magnifique habitat troglodyte restauré par l'association Pierre Sèche en Vaucluse, pour échanger encore quelques textes mis en valeur par une acoustique de premier choix. À cette occasion, furent lus en écho par Emmanuelle Sarrouy et Marc Ross deux textes écrits en hommage à Sophie Vallon, autrice, animatrice d'ateliers d'écritures (l'Antre Parenthèse), et grande amoureuse des mots et de la littérature dans son ensemble, disparue récemment.
Il fut ensuite temps pour les caravaniers de tracer un double chemin. Les plus courageux continuèrent encore à grimper avant de redescendre sur le village. Les autres redescendirent tout doucement vers Saumane pour aller prolonger encore un petit moment l'aventure à la terrasse du café qui s'offrait à eux ! Histoire d'échanger et de prolonger le geste poétique, quelques mots saisis au vol pendant la marche furent lancés, et le défi fut proposé d'écrire quelques lignes à brûle pourpoint. Jolie et joyeuse récolte à n'en point douter ! (merci d'ailleurs à celles et ceux qui le veulent bien de nous renvoyer leurs textes).
Il fut ensuite temps de se séparer jusqu'aux prochaines retrouvailles !
À noter sur vos tablettes:
Le 10 novembre à Marseille, à l'Atelier de la Photo (100, bd Jeanne d'Arc 13005 Marseille), Nuit des Poètes et des Poétesses organisée par Claudine Baissière.
Et le 13 novembre, à Marseille également, librairie-galerie des Arcenaux, "Une revue, un auteur"-première rencontre de ce format, organisée par le Scriptorium avec la Revue des Archers (éditions Titanic Toursky) et avec l'autrice Michèle Dujardin . Nous en reparlerons bientôt…
Au plaisir évident de vous retrouver !
Anne Lofoten
Je me souviens des gestes
et c’était pour me donner de l’eau.
Dans la vallée du Rio Blanco,
où prend naissance l’Aconcagua, je vins boire,
je bondis boire dans le fouet d’une cascade,
qui tombait chevelue et dure et se rompait rigide et blanche.
Je collai ma bouche aux remous, et cette eau sainte me brûlait,
trois jours durant ma bouche saigna de cette gorgée d’Aconcagua.
Dans les terres de Mitla, un jour
de cigales, de soleil, de marche,
me penchai sur un puits, un indien
vint me soutenir dessus l’eau, et mon visage, comme un fruit,
était dans le creux de ses paumes.
Et je buvais ce qu’il buvait,
c’était sa face avec ma face,
et dans un éclair je sus que
la chair de Mitla était ma race.
Dans l’île de Porto-Rico,
lors de la sieste emplie de bleu,
mon corps paisible, les vagues folles,
et comme cent mères les palmes,
une fillette, par jeu, rompit
près de ma bouche un coco d’eau,
et moi je bus, comme une enfant,
cette eau de mère, cette eau de palme.
Tant de douceur jamais n’ai bue
ni de mon corps ni de mon âme.
À la maison de mes enfances
ma mère m’apportait de l’eau.
Entre gorgée et autre gorgée
je la voyais dessus la jarre.
Plus la tête se relevait
et plus la jarre s’abaissait.
Cette vallée, je l’ai toujours,
et j’ai ma soif et son regard.
Ce serait là l’éternité qu’encore
nous sommes comme nous étions.
Je me souviens des gestes
et c’étaient gestes pour me donner de l’eau.
"Boire", de Gabriela Mistral, extrait du recueil D'amour et de désolation, traduit de l’espagnol par Claude Couffon (ELA/La Différence 1988).
crédits photographiques © Olivier Bastide, Emmanuelle Sarrouy
14:36 Publié dans Agenda, Caravane poétique, Hors les murs | Lien permanent | Commentaires (0)
07 octobre 2021
PATRICIA LE ROUX, in memoriam (16 septembre 1958- 17 octobre 2011)
Regardez la nuit derrière nous,
Et voyez devant comme elle est transparente!
Les plantes d'ombre étendent leurs branches vers le jour.
Il fait céleste par devant, criez-le mais criez-le !
Même la mort ne coupe la pente où nous montons,
Ne perdons pas le souffle comme des adultes,
C'est l'enfant qui s'envole en nous!
Patrice de la Tour du Pin
( Hymne, Petite somme de poésie, 1957)
Patricia Le Roux ( 1958-2011) est né à Lyon. D'un père provençal, d'origine italienne et polonaise, et d'une mère écossaise. Elle a vécu son enfance au Tholonet, le pays de Cézanne, près d'Aix-en Provence. Ses études la conduisent à la faculté de médecine de Marseille en médecine générale, puis médecine du travail et pédiatrie. Elle marque une prédilection pour les stages au service des urgences, ainsi qu'à la caserne des pompiers d'Aix en Provence.
Elle exercera, par la suite, en pédiatrie en cabinet libéral à Marseille, d'abord sur le rocher de Samatan, puis à l'entrée du vallon des Auffes, entre 1991 et 2011. Parallèlement à son activité de praticienne, elle va développer une action au niveau politique et syndical, tout en approfondissant son travail de recherche en homéopathie dont témoignent ses publications. De 2000 à 2011, elle est secrétaire générale de l’ECH (Comité Européen pour l’Homéopathie) à Bruxelles. Elle est également le vice-président du SNMHF (Syndicat National des Médecins Homéopathes Français).
Elle enseigne régulièrement dans toute l’Europe comme membre de l’équipe des European flying doctors, créé par l’ECH.
À Marseille, elle devient responsable du Comité éthique (Ethics and Europe) du Centre hospitalier universitaire où elle travaille dans le service d’oncologie pédiatrique.
Elle fera aussi partie du groupe C.h.u.m.s qui étudiait la Matière Médicale. Elle participera ainsi régulièrement aux travaux de l’école de Fréjus, dirigée par Didier Grandgeorge, qui avait été son professeur durant ses études à l’hôpital de Marseille.
Elle a publié de nombreux ouvrages dont « Homéo et Juliette », préfacé par le poète Dominique Sorrente, ouvrage écrit pour le grand public et les patients, et qui contient une étude complète sur les remèdes de la famille des Lacs. Elle a publié un travail important sur les Acides, « L'énergie homéo-hydrogène » traduit en anglais et en allemand, contenant des cas cliniques aidant à mieux comprendre les 27 Acides présentés. On lui doit aussi plusieurs articles dans le journal Links, où elle fut responsable des publications françaises, et dans Spectrum of Homeopathy. Son dernier ouvrage est un travail novateur sur les Actinides.
Patricia Le Roux était depuis 1983 l'épouse du poète Dominique Sorrente avec qui elle a eu 4 enfants.
Elle est décédée le 17 octobre 2011, à la suite d’un tragique accident sur la voie publique à Paris.
Le 17 octobre 2021, dix ans après son décès, un hommage particulier lui a été rendu à l'église Saint-Eugène d'Endoume (Marseille 7°).
19:27 Publié dans Le sens de l'humeur | Lien permanent | Commentaires (1)