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Quand parole et fruit se font rubis - Angèle Paoli
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Laurent Xavier Cabrol ~ Peindre le souffle
ATELIER par vent de sud-est
au peintre Laurent Xavier Cabrol,
assidû maroufleur des signes
au parc du Mugel
Pour Préface
D’une rive à l’autre, l’oiseau porte et ramène.
Les signes et les noms, les promesses de nids.
Il est celui qui toujours relie.
L’autre rive est là qui nous regarde et se laisse regarder. L’autre rive aux gestes indistincts,
devant elle coule une mémoire de Gange avec
ses rites très anciens.
On la soupçonne peu. Et pourtant elle s’offre, se laisse contempler.
Et peu à peu, à l’aune de ses allers-retours, on découvre que la réalité la plus sûre n’est pas celle des exercices quotidiens, mais l’horizon qui les visite.
On se laisse entreprendre par ces signes revenus de séjours d'arrière-monde.
On pressent qu’ il y a un peintre qui nous ressemble à la frontière de la mer.
En toute sympathie, j’ai mis mes mots sur ce chemin qui invite
à quitter l’atelier pour mieux y retourner.
DS
Peintures Laurent Xavier Cabrol
Textes Dominique Sorrente
ABRUPT
Ceci est un périple.
La fortune de l’air orientait ce moment singulier.
Un passant
par vent de sud-est
est parti à l’intérieur du paysage
pour loger ses commencements.
Surgie au-devant de lui-même,
une trace comme une avancée
fut instruite.
Dehors, un aplomb posé en mer
se raconte muet
dans l’immobilité malmenée.
FACE à FACE
Je te vois sans te regarder.
De rayures en brisants,
trait pour trait,
c’est comme un rythme qui se cherche,
l’apothéose
quand elle se penche aux bords du vide.
Mon front est de poudre rouge.
De ma bouche ne reste qu’un morceau de langue.
Dans l’ombre de la joue
s’applique un noir qui ne m’appartient pas.
Tu m’as nommé en masque,
tu m’appelles en visage.
Et toujours là, esprit sourcier,
l’étreinte de cette nuit me creuse.
En moi
loge à demeure
le blanc de tous les yeux du monde.
DIALOGUE AU PREMIER JOUR
Qui te donne de naître et renaître ?
O si diffus,
Si difficile à nommer, et pourtant de plain-pied
te faisant signe dans la chambre.
Par le bleuté du manque,
par la tension du geste en noir qui se prépare,
un songe à deux versants
scelle ta vie.
Ici, pour espérer, il suffit d'une naissance d'ailes.
VIRGULE ROUGE
Haltes, répétitions, percées.
Puis vient l’heure
où le tumulte nous déplace.
Ce sont les temps qui jouent en plein été
l’heure des dieux.
Trois signes revenus d'un feu aboli
ont pris leur place sans se parler.
La solitude en majesté
soudain
forme ses initiales.
Les toiles de Laurent Xavier Cabrol sont exposées
à la Galerie Sordini à Marseille.
Il est né le 10 Août 1955 à Oppède Le Vieux.
Études artistiques aux Beaux-Arts de Paris et d'Avignon.
Vit et travaille aujourd'hui à Oppède le Vieux dans le Luberon ainsi qu'au parc du Mugel
à La Ciotat (France).
CABROL, ou les fulgurances des énergies.
Construites comme des partitions de musique, les toiles de Cabrol en ont toutes les caractéristiques, des cadences aux harmonies colorées. Remarquablement équilibrées, souvent à la limite de la rupture, elles dégagent des dynamiques, hymnes aux forces vitales générant les énergies sous-tendant toute vie.
C'est une immense plénitude qui se dégage de ces travaux, comme si notre regard s'attardait sur l'équilibre de la nature. Mais c'est, en toute certitude, que l'enfance de Cabrol s'est nourrie de la terre du Luberon, de ses perspectives contradictoires et pourtant si paisibles: paysages majestueux et vastes canyons torturés.
Incontestablement, un esprit règne en maître sur les compositions du peintre qui nous fait, au détour de tel graphisme ou de telle eurythmie chromatique, quelques confidences codées : passion pour la méditation, rattachement à la mémoire, exaltation des mystères de l'intelligence et, peut-être paradoxalement, nécessité d'ordonner toute chose pour tendre vers l'inaccessible perfection.
L'ivresse est au corps ce que la peinture est à l'imaginaire, nous dit Cabrol. Et, certainement aussi, ce qu'une de ses toiles est à notre regard.
Gérard Blua
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Jacques BASSE, portrait d'un portraitiste...
MINE DE RIEN
tout doucement, à Jacques Basse
L’âme du portraitiste a ceci d’admirable qu’elle vit de déplacements incessants. Elle observe et se met à l’œuvre de retranscriptions attentives. Elle me fait songer dans une chambre de ma mémoire à l’âme du copiste dans le scriptorium qui, voué à une solitude éclairée, entreprend sa tâche journalière. Une tâche réglée de façon remarquablement minutieuse ; et partant de cette contrainte forte et consentie, qui se libère dans un instant toujours original, c’est-à-dire singulier. Oui, tout l’art du copiste est là : copier en unique exemplaire.
Or c’est bien là le mouvement de l’âme que je perçois chez le portraitiste, dans un rythme en diastole, systole : le temps pour le regard, le geste de transmettre.
J’aime en profondeur cette démarche de « prime abord », de première ouverture, cette capacité d’aller à l’autre, si menacée à l’époque actuelle alourdie par les débris d’effusion d’elle-même en toute circonstance, j’aime ce désir toujours réactivé de rendre visite à la vie de celui qui n’est pas soi-même en son visage regardé. Se différer de sa propre existence pour accueillir dans le lien à la personne rencontrée une connaissance du monde est une éthique, tout autant qu’une esthétique. Le temps pour le regard découvre, observe, remarque, admire, peut s’inquiéter. Quelle que soit l’hypothèse, il reçoit.
Quant au geste de transmettre, il est une forme d’enluminure, au sens premier du terme. Il tient de la décoration qui n’est pas, et n’a jamais été l’art médiocre que certains esprits présomptueux dénigrent ; il fait aussi écho à l’illumination, telle que Rimbaud, nourri par son séjour à Londres de vocabulaire anglais, l’a désirée : comme un surinvestissement de la scène ordinaire dans le fol espoir d’éveiller le « Je est un autre » pour que « le cuivre s’éveille clairon », et qu’il n’y ait rien là que d’ordinaire. L’enluminure est à la fois ceci et cela, et quand elle s’entreprend de façon juste, il me semble qu’elle se tient très exactement à équidistance de ces deux pôles.
Enluminer, c’est mettre en pleine lumière. Exposer au jour, sans fard et sans effet, sans faux dépouillement, non plus. En somme, se révéler à soi-même. C’est faire acte d’une fidélité au témoignage reçu : ici un manuscrit, là un visage.
Le portraitiste à présent opère à son atelier. Je l’imagine à son crayon autodidacte, travaillant sur un cache à biseau en jonc blanc.
À mille lieux de la dictature de l’homogène, il dessine. J’aime ce mot de « dessiner ». Le portraitiste dessine dans la brièveté et la souplesse comme il réaliserait des figures sportives, en patinage sur glace par exemple. Le dessin n’intimera aucun destin, ne visera aucun dessein qui excède ce moment-là. Le portraitiste est prompt ; il s’exécute, comme une partition et non comme une proie ; ici ni chasseur ni gibier, seule la promesse d’un visage. La table, le canson et les boules de gomme. Il se manque parfois, dit-il, mais la plupart du temps, se réalise. Comme on vient à bout d’une réussite. Avec la justesse de la figure obtenue.
Ainsi la boucle se résout-elle. Après le temps du regard de jadis, le temps du geste, de la mine, de la pointe aiguisée, au prix de quelques effacements, vient le temps du don nécessaire. Le cœur s’apprend dans le deux qui apprend à devenir trois.
C’est là, dans ce rythme ternaire découvert que l’âme du portraitiste trouve le mieux sa joie pour instruire la nôtre. Voilà pourquoi, me souvenant que son crayon sait aussi devenir rieur, j’offrirai volontiers, avec tous les « portraités » croqués un jour par sa main agile, cette simple devise, en signe de remerciement et pour valoir ce que de droit: « à Jacques Basse, mine de rien ».
Dominique Sorrente
Aéroport de Nîmes Garons,
ce Vendredi 13 février 2009
Une rencontre "en coïncidence" à l'aéroport
de gauche à droite Morelle Smith (Ecosse), Dominique Sorrente,
Jacques Basse, Patricia Little (UK)
* * *
Quand J.B. se raconte…
Un individu qui est l'égal de bien d'autres.
Il est, comme tout un chacun, plein de bosses, de trous, plein de bleus et
rempli de cicatrices indélébiles Un passage tardif et rapide aux Beaux-Arts
lui donne la conviction que là, réside son destin ! Mais les aléas de la vie
en décident autrement ! Les pinceaux un temps assouvissent sa passion :
avec quelques prix glanés ça et là, quelques expositions aux cimaises
incertaines.Puis arriva. le « crayon » et la révélation, avec le portrait.
Les poètes lui donnent raison, un à un , il les croque. Sa nourriture de
tous les jours depuis plus de dix ans. Devenu boulimique,
il persiste et ne sait s'il s'arrêtera un jour…
Ô vous poètes de tous horizons avec quelle humanité, gentillesse,
disponibilité vous l'avez accueilli, à l'égal de vous-mêmes,
comme jadis Horace l'a dit « ut pictura poesis »
À la vérité, il n'est qu'un allié substantiel.
Par nature, il est adepte des choses faciles. S'il réussit dans ce
domaine, c'est sans mérite. Et, s'il est vrai que l'on récolte
ce que l'on sème, les louanges faites par certains, qui sont de nature
à le considérer comme un « Maître », sont pour lui excessives.
Il sait bien que « personne ne survit au fait d'être estimé
au-dessus de sa valeur ».
Dernier point, en vérité, nul ne peut lui voler les instants de bonheur pris
à cette tâche. Il y consacre tout son temps avec délice
et aussi avec déraison.
Un équilibre bien mystérieux, qui fait penser à un grand écart !
Jacques Basse
- Aux éditions Rafaël de SURTIS, Visages de poésie, Anthologie, Tome I - Jacques BASSE (cliquer sur Bulletin de souscription)
- Voir aussi le Site de Jacques Basse.
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Le vent se lève sur la vague lave brûlante chaleur de plomb la mer lie de vin soulève sa houle jusqu’aux rives oubliées de Naxos c’est là qu’ombrageuse j’aborde aux noces folles de Bacchos couchée à l’abri de la grotte marine une ménade dort lascive blancheur drapée nue de l’ivresse douce des sommeils de la chair volupté tendre offerte à mes regards absents
Une aiguière est levée en l’honneur des amours de Bacchos son breuvage tremblé bruit clarté cristalline du gemme les rires aux râles et aux ruts se mêlent corps vibrants pourpres d'incandescence sons de crotales de cymbales de flûtes folie canaille des bacchantes des silènes des boucs agités de grelots les faunes réjouis éructent une haleine fétide l’incarnat de leur bouche s'exalte des vapeurs hantées aux rictus des démons
Une panthère ocelles d’or veille sur l’ivresse confuse des dieux Hiératiquement
De l’enchevêtrement grappes de chairs avides de liesses éternelles surgit dans l'incarnat pâlissant du visage le souvenir encore vif de Bacchos enfant rondeurs rubicondes promises aux excès chaleureux de la vigne odeur de feu qui rôde depuis l’aube autour du roc battu par la vague brûlante je le vois qui offre son front torsadé pampres et vrilles et me tend bienveillant la coupe translucide calice de fruits mûrs qui scellera la liqueur de nos vœux
Je n’ai d’yeux désormais que pour les ciselures tendues à nos lèvres luisantes des rubis de la vigne céderai-je lassée des pleurs versés pour toi Thésée aux enivrements promis par l'élixir divin bouche entr’ouverte sur le désir Bacchos déjà ferme les yeux sur l'ivresse prochaine l'or du vin roule dans nos veines sang mêlé au sang immortel de la treille ensemble nous rythmons nos sens enchevêtrés au thyrse de l'amour
La mer lie de vin se retire enroulant de ses plis le tumulte des dieux
L'île dérive ivre de ses sourdes détresses
L’antique bacchanale se noie dans ses brumes de feu.
Angèle Paoli
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