MINE DE RIEN
tout doucement, à Jacques Basse
L’âme du portraitiste a ceci d’admirable qu’elle vit de déplacements incessants. Elle observe et se met à l’œuvre de retranscriptions attentives. Elle me fait songer dans une chambre de ma mémoire à l’âme du copiste dans le scriptorium qui, voué à une solitude éclairée, entreprend sa tâche journalière. Une tâche réglée de façon remarquablement minutieuse ; et partant de cette contrainte forte et consentie, qui se libère dans un instant toujours original, c’est-à-dire singulier. Oui, tout l’art du copiste est là : copier en unique exemplaire.
Or c’est bien là le mouvement de l’âme que je perçois chez le portraitiste, dans un rythme en diastole, systole : le temps pour le regard, le geste de transmettre.
J’aime en profondeur cette démarche de « prime abord », de première ouverture, cette capacité d’aller à l’autre, si menacée à l’époque actuelle alourdie par les débris d’effusion d’elle-même en toute circonstance, j’aime ce désir toujours réactivé de rendre visite à la vie de celui qui n’est pas soi-même en son visage regardé. Se différer de sa propre existence pour accueillir dans le lien à la personne rencontrée une connaissance du monde est une éthique, tout autant qu’une esthétique. Le temps pour le regard découvre, observe, remarque, admire, peut s’inquiéter. Quelle que soit l’hypothèse, il reçoit.
Quant au geste de transmettre, il est une forme d’enluminure, au sens premier du terme. Il tient de la décoration qui n’est pas, et n’a jamais été l’art médiocre que certains esprits présomptueux dénigrent ; il fait aussi écho à l’illumination, telle que Rimbaud, nourri par son séjour à Londres de vocabulaire anglais, l’a désirée : comme un surinvestissement de la scène ordinaire dans le fol espoir d’éveiller le « Je est un autre » pour que « le cuivre s’éveille clairon », et qu’il n’y ait rien là que d’ordinaire. L’enluminure est à la fois ceci et cela, et quand elle s’entreprend de façon juste, il me semble qu’elle se tient très exactement à équidistance de ces deux pôles.
Enluminer, c’est mettre en pleine lumière. Exposer au jour, sans fard et sans effet, sans faux dépouillement, non plus. En somme, se révéler à soi-même. C’est faire acte d’une fidélité au témoignage reçu : ici un manuscrit, là un visage.
Le portraitiste à présent opère à son atelier. Je l’imagine à son crayon autodidacte, travaillant sur un cache à biseau en jonc blanc.
À mille lieux de la dictature de l’homogène, il dessine. J’aime ce mot de « dessiner ». Le portraitiste dessine dans la brièveté et la souplesse comme il réaliserait des figures sportives, en patinage sur glace par exemple. Le dessin n’intimera aucun destin, ne visera aucun dessein qui excède ce moment-là. Le portraitiste est prompt ; il s’exécute, comme une partition et non comme une proie ; ici ni chasseur ni gibier, seule la promesse d’un visage. La table, le canson et les boules de gomme. Il se manque parfois, dit-il, mais la plupart du temps, se réalise. Comme on vient à bout d’une réussite. Avec la justesse de la figure obtenue.
Ainsi la boucle se résout-elle. Après le temps du regard de jadis, le temps du geste, de la mine, de la pointe aiguisée, au prix de quelques effacements, vient le temps du don nécessaire. Le cœur s’apprend dans le deux qui apprend à devenir trois.
C’est là, dans ce rythme ternaire découvert que l’âme du portraitiste trouve le mieux sa joie pour instruire la nôtre. Voilà pourquoi, me souvenant que son crayon sait aussi devenir rieur, j’offrirai volontiers, avec tous les « portraités » croqués un jour par sa main agile, cette simple devise, en signe de remerciement et pour valoir ce que de droit: « à Jacques Basse, mine de rien ».
Dominique Sorrente
Aéroport de Nîmes Garons,
ce Vendredi 13 février 2009
Une rencontre "en coïncidence" à l'aéroport
de gauche à droite Morelle Smith (Ecosse), Dominique Sorrente,
Jacques Basse, Patricia Little (UK)
* * *
Quand J.B. se raconte…
Un individu qui est l'égal de bien d'autres.
Il est, comme tout un chacun, plein de bosses, de trous, plein de bleus et
rempli de cicatrices indélébiles Un passage tardif et rapide aux Beaux-Arts
lui donne la conviction que là, réside son destin ! Mais les aléas de la vie
en décident autrement ! Les pinceaux un temps assouvissent sa passion :
avec quelques prix glanés ça et là, quelques expositions aux cimaises
incertaines.Puis arriva. le « crayon » et la révélation, avec le portrait.
Les poètes lui donnent raison, un à un , il les croque. Sa nourriture de
tous les jours depuis plus de dix ans. Devenu boulimique,
il persiste et ne sait s'il s'arrêtera un jour…
Ô vous poètes de tous horizons avec quelle humanité, gentillesse,
disponibilité vous l'avez accueilli, à l'égal de vous-mêmes,
comme jadis Horace l'a dit « ut pictura poesis »
À la vérité, il n'est qu'un allié substantiel.
Par nature, il est adepte des choses faciles. S'il réussit dans ce
domaine, c'est sans mérite. Et, s'il est vrai que l'on récolte
ce que l'on sème, les louanges faites par certains, qui sont de nature
à le considérer comme un « Maître », sont pour lui excessives.
Il sait bien que « personne ne survit au fait d'être estimé
au-dessus de sa valeur ».
Dernier point, en vérité, nul ne peut lui voler les instants de bonheur pris
à cette tâche. Il y consacre tout son temps avec délice
et aussi avec déraison.
Un équilibre bien mystérieux, qui fait penser à un grand écart !
Jacques Basse
- Aux éditions Rafaël de SURTIS, Visages de poésie, Anthologie, Tome I - Jacques BASSE (cliquer sur Bulletin de souscription)
- Voir aussi le Site de Jacques Basse.
Commentaires
INFUSAIN
Il n'est pas de plus grand dessin
Que le poème lui-même
Sans gentillesse et sans raison
Un trait d'acide moelleux
Une langue de feu épanoui
Une balafre au coeur de la beauté
Qui s'envenime en corolle
Il n'est pas de plus grand dessein
Que le poème lui-même
Sans intention et sans contrainte
Le portrait d'un instant
Epuré de toute part
Comme le fil d'un rasoir
Sur la gorge de l'été