L'homme a beau parcourir les mers, le ciel change, mais non son âme
( citation d' Horace, trouvée en graffiti à l'entrée de ce porche
situé sur notre parcours de Caravane poétique du Scriptorium ,
à côté de la dernière habitation de Christian Gabriel/le Guez Ricord)
Dominique Sorrrente lit Louis BRAUQUIER, près du quai Rive Neuve
Que fut la caravane poétique urbaine du 24 avril à Marseille ?
Un mistral encore bien présent qui eut le mérite de chasser les velléités des nuages mais proposa en début de parcours un défi de Stentor aux orateurs du moment...avant de s'apaiser. Un public participant, curieux de connaître et aussi heureux de se retrouver à plusieurs ( des petits groupes avaient été formés pour respecter les mesures sanitaires et favoriser les échanges ).
Couverture (par Johanna Heeg) du numéro 23 "Marseille, terrain vague" de la revue des ARCHERS , 2013
En ouverture, devant la librairie-galerie des Arcenaulx, Dominique Sorrente fit lecture d'un extrait du superbe numéro 23 de la revue des Archers (née au Théâtre Toursky, il y a vingt ans, et pleine d'une énergie nouvelle aujourd'hui ), nommé "Marseille, terrain vague". Plus d'une vingtaine de personnes ( auxquels, ça et là, venaient se mêler des passants...) ont ensuite suivi l'insolite cortège des amoureux de poésie du cours d'Estienne d'Orves au Vieux-Port, puis devant les greniers des Cahiers du Sud quai Jean Ballard.
Au retour de la rue Pythagore après la halte Gerald Neveu
Durant tout ce parcours, bien des personnalités furent évoquées, notamment les poètes, les écrivains autour de Jean Ballard qui firent des Cahiers du Sud une revue majeure en littérature durant plus de 50 ans. André Gaillard, Léon Gabriel Gros, Simone Weil, Gabriel Audisio, Louis Brauquier...
À côté de Dominique Sorrente, on put entendre l'éditeur-écrivain Jacques Lucchesi lire un extrait de Je connais des îles lointaines de Brauquier, près du Vieux Port. Puis c'est la photographe Marjolaine Heeg, aimantée par la poésie depuis quelques années, qui prit le relais pour une halte pleine, consacrée à Axel Toursky. Devant un beau demi-cercle ouvert, elle sut dire, avec un naturel plein d'émotions et beaucoup d'élégance, comment elle avait retrouvé le chemin de Toursky, grâce à Richard Martin, fondateur du théâtre qui porte son nom, puis en téléphonant à Anne-Marie Toursky, femme du poète, tout émue d'évoquer ses années amoureuses à Marseille...Un saut dans le temps en forme de rebond.
Marjolaine HEEG évoque le poète AXEL TOURSKY
À la porte du 62 de la rue Sainte, Dominique Sorrente évoqua la figure de Jean Malrieu, le fondateur de la revue Sud (1970-1997), les rendez-vous du mercredi, son compagnonnage avec Frédéric Jacques Temple, Yves Broussard, Jacques Lovichi, Jean-Max Tixier, André Ughetto, Jeanine Baude...le numéro-culte Méditerranées...avec, entre autres, les premiers poèmes publiés par Antoine Emaz.
Couverture du numéro 64/65 "Méditerranées" de la revue SUD -1986
Le groupe remonta ensuite jusqu'à l'habitation dernière d'un poète invraisemblable et beaucoup trop méconnu encore, Christian Gabriel/le Guez Ricord (1948-1988), auquel Dominique Sorrente prêta sa voix, notamment dans une lettre adressée à Yves Bonnefoy. Il fit également partager quelques souvenirs ardents de cette époque des vingt ans partagés à Marseille, nouvelle Éphèse. On nota la rencontre fortuite et très amicale du maire de secteur qui écouta la séquence avec une réelle curiosité, découvrant une page précieuse des rues de sa ville qui mérite d'être connue. Puis ce fut la montée jusqu'à l'escalier André Suarès où Charlotte Hamer lut, d'une voix chaude et claire, résistant à la circulation environnante, deux textes sur Notre-Dame de la Garde par mistral ( tiré de Marsiho) et sur le livre "dernier refuge de l'homme libre".
Charlotte Hamer lit ANDRÉ SUARÈS
Plus haut encore, l'escouade grimpa jusqu'au cabanon de Gerald Neveu sur les hauts de Vauban, rue Pythagore, une des ces rues à escaliers dont ce quartier est friand, Nicolas Rouzet et Marc-Paul Poncet évoquèrent, chacun à son tour, de façon sensible, le chemin bref et douloureux du poète de Fournaise obscure(1967), l'ami de Jean Malrieu. Enfin par le Bois Sacré, gorgé d'orties de saison, la petite troupe fit retour jusqu'à la montée de l'Oratoire, sur la colline Notre-Dame de la Garde pour un ultime partage autour d'une collation. Avec une mini-exposition privée surprise sur Christian Gabriel/le Guez Ricord.
Christian Gabriel/le Guez Ricord - collection particulière
REVUE SORGUE, n°2, editeur LE BOIS D'ORION, 2000
Ce 24 avril, la Caravane poétique du Scriptorium eut donc sa route, ses étoiles, ses oasis, son caravansérail. Un plaisir nomade de "faire poésie". Elle a surtout montré ce qu'elle était: un geste accompli au-delà du temps pour relier par la poésie la mémoire des émotions et le présent incandescent.
Caravane urbaine dans un espace inspiré.
Il y en aura d'autres sûrement, ici ou ailleurs. En ville ou en campagne.
Et on entendra encore les mots d'Axel Toursky au fil du chemin:
"Si je passe mes rues,
si j'accomplis mes actes,
c'est pour suivre des traces
et non pour avancer.
Puis-je à présent le dire ?
Ici la poésie
tenait pour nécessaires
les lilas et les roses."
Anne LOFOTEN
MORCEAUX CHOISIS
À propos des Cahiers du Sud
"Les Cahiers vont et viennent avec ses navires en suivant les pulsations de cette métropole de la mer. Ils publient la même année le Pèse-nerfs écrit par le fils d'un armateur marseillais, Antonin Artaud, et la Liberté des mers, poème de Louis Brauquier, pour ne citer que deux natifs de Marseille. Sous l'Occupation, le perchoir des Cahiers servit de lieu d'accueil aux exilés, réfugiés en zone libre".
Jean Ballard, fondateur et animateur de la revue
"C'était le dernier asile pour les gens de notre espèce"
Anna Seghers (Transit)
« De tous les poètes, vous êtes celui dont je voudrais avoir tout l'œuvre dans le cœur. »
Joe Bousquet, lettre à Axel Toursky