18 janvier 2017
UN BOUQUET POUR TANIA
à Tania Sourseva,
co-fondatrice avec Richard Martin
du théâtre Toursky à Marseille,
décédée le 16 janvier 2017
Mais la plus belle victoire
sur le temps et la pesanteur -
c'est peut-être de passer
sans laisser de trace,
de passer sans laisser d'ombre...
Ainsi : se faufiler à travers
le temps comme l'océan, sans alarmer les eaux…
Maria Tsetaïeva
J’ai rêvé cette nuit que tes cendres
descendaient une Canebière
bondée jusqu’à la bascule du port.
Et qu’un bout de Russie se dispersait ici
dans l’or du jour.
Méditerranée, intime étrangère,
plus introuvable que la veille.
Où la vie se faufile sans alarmer les eaux.
Tu viens de loin, Tania, de si loin il me semble,
là-bas, on ne sait jamais de quel côté
de la pièce tu apparaîtras.
Puis tu prends tes repères, humes le monde
qu’il fait
à ce huis clos de passage où tu glisses
comme velours.
Il y a une traîne interminable qui te suit.
Dans un songe de Volga, tu auras franchi
les plaines et les collines, les toits, les escaliers,
les combats et les trinqueries,
les nuits qui sont toutes logées dans ton théâtre
mais ne sont pas faites toutes
pour être dites,
car les nuits ici ne se disent plus.
Tu avances à la dérobée,
exécrant les déplorations, les jérémiades,
mais on voit bien comment tu serres les dents,
comment tu barres la route
aux imbéciles châtiments comme au
malheur définitif,
comment tu fermes la douleur,
comment tu
t’immobilises.
Puis déroulant la pelote délaissée
du temps qui peine à venir pour trouver raison.
Tu viens de loin, Tania.
On t’a vue, on te verra encore
traversant ton propre théâtre,
à la santé des fantômes
qui n’ont plus l’âge de leurs artères,
pour que le jour et la nuit se confondent,
pour que la voix d’insolence
se mêle à la figure
vénérable.
Et que la pierre d’angle ici,
où éclatent les silex et les os,
au passage de l’an neuf,
porte témoignage.
On t’a vue, on te verra encore,
tu viens de loin, Tania,
passant sous les tentures épaisses
récapituler le silence.
Les hommes n’ont pas le temps,
si ce n’est à la guerre des mots,
mimant les rôles qu’ils tiennent en accéléré,
agitant leurs ardeurs, leurs diatribes,
puis grands enfants, épuisés de tant
de répétitions déclamées,
ils pleurent sur la vie,
il ne faut pas leur en vouloir.
Mais toi,
tu viens de loin, Tania,
tu pratiques autrement
comme on se prépare dans le grand hiver
à la loi de l’effacement.
Et si l’on ne te voit plus,
pour un moment,
c’est que
tu circules dans les recoins,
emportant contre toi la tenace odeur des choses enfouies
ou la page cornée d’un livre
ou bien le rire d’une canne en bois
frappant la chaise récalcitrante pour qu’elle se mette
enfin à marcher.
Tu viens de loin, Tania.
Et ce jour te ressemble
avec ces pas sans ombre
pour nous apprendre à nous faufiler.
Dominique Sorrente
10:46 Publié dans Le sens de l'humeur | Lien permanent | Commentaires (2)
04 janvier 2017
ATELIER D'ECRITURE ET EMBRASEMENT POÉTIQUE EN DÉCEMBRE
Nous étions huit scripteurs à participer à l’atelier d’écriture animé par Marie Ginet samedi en amont de la veillée poétique autour du feu.
Pour certains il s’agissait d’une première expérience en atelier, d’autres étaient des écrivants plus expérimentés, tous avons été attentif et heureux de découvrir le fil singulier d’écriture qui se dessinait sur la page au gré des consignes et séquences proposées par l’animatrice.
Le thème général était « l’écriture », justement.
Nous avons ainsi progressivement exploré les supports, lieux, motifs ou rêveries sous-tendant l’acte d’écrire. Et apprécié les retours bienveillants et forts constructifs de Marie.
La dernière séquence fut une séquence d’écriture et de lecture croisée des productions de chacun, que voici ici retranscrite :
J’écris dans le feu des forêts et des mers déchaînées
Dans la flamme des cœurs mêmes
Pour aller chercher plus loin que les mots qui se donnent d’emblée
Intérieur, extérieur
Flux de mots de sang
Je t’écris pour creuser la vase de la mémoire
Blotti que tu es au creux de son ventre
Les notes de musique s’évadent en toute légèreté et
J’écris pendant que les aurores boréales s’entrechoquent dans le ciel norvégien
Lettres de tags aux murs
Mots de feu apeuré, brossé de cendres toi tu écris
Enluminé de rêves, la vie des doigts, du silence, moi
J’écris pour attirer la phrase
Lâche un peu tes dispositifs, tes consignes pour extincteurs
A-t-on jamais vu une fleur s’empêcher de parler ?
A-t-on jamais vu une fleur s’empêcher de parler
J’ai du feu dans les yeux
L’envie de chopper l’instant
La fulgurance d’un drôle de mot
Qui m’a traversé l’esprit et la tête comme une étoile filante
J’écris pour questionner, toujours
L'atelier fut ensuite rejoint par les autres "flambeurs" de la veillée. Qui portaient vivres et lettres et motifs d'étonnement. Bien belle décidément fut la part du feu. Y compris pour Stratis le marin de Seféris...
Une façon de saluer 2016 avant de le passer par les flammes.
11:52 Publié dans Atelier d'écriture | Lien permanent | Commentaires (1)