« Info météo : ici c’est le déluge ». Le sms du matin balance son sac de doutes. Mais non, on ne va pas annuler ce premier pique-nique avec ses phrases d’automne dans la vallée de Saint-Pons, près de Gémenos. Les voitures sont prêtes, et les lectures, et le parcours, et les vivres à tirer des sacs, et les feuilles ocre sur la promenade. On parie sur l’accalmie du gris, les humeurs des micro-climats. On ne demande rien d’autre que de pouvoir mêler les mots et les mets, pleine nature.
Les scripteurs, participants d’un jour ou fidèles praticiens de nos expériences de poésie partagée sont une quinzaine à défier la grisaille du ciel. Ils ont bien raison. Une petite marche jusqu'au bivouac: la cérémonie peut s’ouvrir. Dégustation. On prend la parole, commencement timide, autour de la table de bois, puis plus haut au bord de la rivière, et encore sur le flanc de l’abbaye cistercienne. Queneau, avec ses expressions de gourmandise, écoute Erri di Luca dans la défense du mot « sabotage », le récit d’une fête de la solidarité dans la Crau croise la mémoire d’une parole d’ingénieur, les questions tournent autour de l’éclatement des mondes verbaux dans notre époque.
On se reprend à marcher, à grimper en douceur vers la source. Elena nous convainc que le poème peut aussi se danser. Il y a une nouvelle halte à trouver pour cette petite troupe qui progresse jusqu’au monastère. Le dialogue du « je » et du « tu » est notre refrain choisi, auquel répond un étrange hérisson mutant sorti pour la fin du monde. Les pique-nique ont leur part d’insaisissable… Contre la pierre de l’abbaye, une famille vietnamienne élargit notre assistance, écoute nos prises de paroles comme on cueille des fruits de saison.
Une voix fredonne les trois mots de Jean-Roger Caussimon
J’ai rayé de mon vocabulaire
Trois mots qui me faisaient la loi :
« Autrefois » , « Jadis » et « Naguère »
Un homme s’approche, nous annonce qu’il est « le retardataire ». Il détient les clés de l’abbaye. Il nous annonce que nous n’y entrerons que si nous connaissons le nom de cet arbre qui étend ses branches nues devant nous. C’est un charme et il sait opérer.
Le veilleur (à d’autres heures, garde forestier à cheval) nous dit qu’il ne laisse pénétrer dans cette demeure que les gens motivés et les poètes. Nous a-t-il reconnus ? Privilège du moment, là, derrière la nef, après le cloitre, tout en haut sous les dernières arcades, le…scriptorium.
Nous sommes dans notre élément, copistes de l’instant.
Seuls et côte à côte. Mêlant notre minuscule récit groupé à celui des pierres vénérables. Et nous nous redisons les formules de la sagesse reçue en ce lieu :
« Hier raconte une histoire. Demain demeure un mystère. Aujourd’hui seul est un cadeau. »
Dans cette vallée de Saint-Pons, on a lâché des conversations furtives, accompagné des tremblements de voix. Sans préséances, sans signaux de distinction. Avec cette part d’humilité retrouvée qui fait signe au pied des arbres centenaires.
Les pique-niqueurs auront aussi appris que deux parapluies magiques suffisent parfois à écarter la pluie.
En aparté, un dyslexique a avoué que le nom de Scriptorium était pour lui imprononçable. Peut-être est-ce parce qu’il est la patrie toujours nomade des « poètes de la coïncidence ».
Commentaires
Post-scriptum au monastère
Minestrone au scriptorium.
Bel article, belle initiative.
Bravo !