Photographie : Danièle Larcena
À l'occasion des rencontres Trace de Poète, la caravane du Scriptorium a repris du service, à Lagnes (Vaucluse) le 29 mai de cette année...Récit.
Nous partîmes 28... de Lagnes et sa mairie ; nous revînmes 28 ! Et, pour l'anecdote, ce fut un petit exploit, car le hasard des chemins de retour scinda le groupe, pour le bonheur des égarés qui longèrent un temps le canal de Carpentras, ses eaux aussi vertes que celles du canal du midi, et la tentation de cerises rouges, hors de portée...
Comme il est d'usage, certains avaient écrit pour l'occasion, Points cardinaux et rose des vents , d'autres avaient retrouvé des textes puisés dans leurs archives ou en avaient choisi dans leurs lectures du moment. Quelques précieux alliés avaient encore envoyé des poèmes d’outre Provence, Paul de Brancion (entre Nantes et Paris), Sabine Huynh (Tel-Aviv), Jean-Pierre Lesieur (Hossegor), et le vent, l’oiseau, l’herbe, la pierre les écoutèrent…
Un hommage particulier nous retint au Rebanque, mazet de René Char entre Lagnes et Fontaine-de-Vaucluse. Les Amis de René Char, association qui s’attache à faire vivre la mémoire du poète dans sa terre natale, y lurent deux poèmes, dont un issu des Feuillets d’Hypnos :
« Ma renarde, pose ta tête sur mes genoux. Je ne suis pas heureux et pourtant tu suffis. Bougeoir ou météore, il n'est plus de cœur gros ni d'avenir sur terre. Les marches du crépuscule révèlent ton murmure, gîte de menthe et de romarin, confidence échangée entre les rousseurs de l'automne et ta robe légère. Tu es l'âme de la montagne aux flancs profonds, aux roches tues derrière des lèvres d'argile. Que les ailes de ton nez frémissent. Que ta main ferme le sentier et rapproche le rideau des arbres, Ma renarde, en présence des deux astres, le gel et le vent, je place en toi toutes les espérances éboulées, pour un chardon victorieux de la rapace solitude. » Feuillets d'Hypnos 1943·1944, n° 222
Marche douce, paroles échangées, écoutées, herbes jeunes et déjà blondes, rochers se découpant sur le ciel bleu profond, exhalaisons des genets et de fleurs inconnues, lieux étonnants, La Bastide rouge, un pont portant canal sur le vide et son pré, puis s’asseoir, boire et manger avant un au-revoir vers d’autres jours.
En ponctuation finale: un petit Lucas de 20 mois logea dans un trou secret de la terre une cuillère qu'on n'a jamais revue. Peut-être est-elle à présent arrivée aux antipodes pour une autre rose des vents à inventer...
Entre autres poèmes lus...
Geneviève Bertrand
(inédit)
Mandala du pèlerin
Nulle carte de voyage
si ce n’est
l’espace constellé
Son regard aimanté à l’étoile polaire
cherchait inlassable le point originel
La lumière verticale écrasait le chemin
Une vibration intérieure dirigeait sa course
Exactitude du pas
Paysage désertique inquiétude sourde
L’océande lumière déversé par l’horizon abreuvait sa soif
L’abri d’une falaise habitée d’oiseaux offrit le repos d’une nuit
Alors monta la certitude comme sève féconde
*
Olivier Bastide
(inédit)
En extrait de Naissance
En extrait de naissance, nous recevons l’utile, rien d’autre. Il se compose d’un ensemble d’éléments issus d’un père et d’une mère, ensemble bien plus large que son seul énoncé administratif. Il comprend, outre les précisions généalogiques et circonstancielles, les préalables à notre respiration, l’ancestrale génération d’êtres et de destins jusqu’à nous.
De cet utile, il nous appartient de faire œuvre. C’est-à-dire d’aller par autant de chemins que nous voulons, objecter le Sud au Nord, à l’Est l’Ouest et vice-versa. N’oublier aucun des intervalles, aucune des caravanes possibles dans les collines et par les rues.
Cet extrait de naissance est un papier reçu ce jour qui mentionne le nom de la sage-femme qui a accouché ma mère. J’ai cinquante-deux ans. Je suis un enfant qui va aux quatre vents.
*
Henri Tramoy
(Inédit)
Enfances, point cardinaux, mes canicules
Enfances, toutes mes enfances, vous êtes mes chevalements,
mes chemins d’étoiles et de vents
mes quatre coins du monde
Le temps me comble de fadaises
de fentes et d'offenses
Fakir de mes fatigues
il grave au fer une épitaphe trop précoce
sur m'éphémères rides
J'ai appris l'essentiel et j'ai tout à apprendre
de l'ombre gravée au nombre raviné
de la haine trempée aux chemins de caresses
du grès des perplexités du souvenir féal
des voiles des trottoirs où l'on parle des arbres
de l'écorce de mes défaites
des yeux fermés à toute empreinte
J'ai l'âme au trou
par où le temps écrit sa fracture
quel chemin tracé ou consumé
quels défis quelles pertes
quelles fêtes endettées
J'ai l'âme tatouée d'orages fascinés.
Enfances, mes pères, vous êtes mes repères,
mon tour du monde des compagnons
mes sémaphores
Je suis l’eau vague dressée
dérimant la courbure des mots blancs
où se répète la houle des moissons
des sables rouges des vins violets
je suis le flot
âpre pirate aux mythes familiers
qui traque le grisou
l’humeur et la tempête
sur mes chevalements s’ordonnent mes folies
et si j’ai ce soir désir de noir
c’est pour en confier l’écume
aux spectateurs d’ombre
je suis le canal
penché au col de l’aube
préférant l’absinthe à la rumeur
le chrysanthème à l’enchevêtrement des normes
sur les collines où s’étonnent mes mystères
j’oserai une moisson de mots rebelles
et si je n’ai pas de bleu à offrir
je saluerai d’un bouton d’or.
Enfances, vous êtes mes signes perchés,
mes angles névralgiques
mes échos, mes montagnes
Passer de l’utopie à sa réalisation concrète pour dépasser l’abattement
se faire semeur d’étoiles sur voie lactée
mais encore faut-il organiser le chemin
quitter l’errance pour dessous de cohérence
unifier les données dans un dépassement du sens
on partira du pôle, point nodal, lieu de l’émerillon pour réduire les problèmes à leur unité trinitaire : terre visage chemin
il sera temps alors de démultiplier les concepts
on se contentera du compromis acceptable
d’une terre plate
au bout du chemin, la page nommée
milieu d’océan bleu comme tes désirs
terre visage aller-retour
semeur d’étoiles sur voie lactée.
Enfances, vous hantez mes fenêtres,
vous êtes écrins de mes savoirs
l’essence de mes gestes rares
Je, calligraphe de mes îles
m’ivre de mes pensées
m’enlumine d’impressions bigarrées
de mirages
comme un sillage une course marine
ouvrière des signes
qui traîne ses voluptés
aux avivées rebelles des origines
l’été hurlait ses vérités
et le ventre animait ses légendes
où le rêve vivait, pressant
je suis des canicules
mais j’ai l’âme nivale
j’allume l’hiver d’un désir légendé
et rouge
mes passions, quelque haine
ma langue traîne ses tildes
je ne me vêtirai de l’oncle
— du frère — ni de l’ombre
qui dort aux pierres sanguines
d’un oubli refusé
je neige en lui.
Enfances, je suis de vos canicules
Danièle Larcena qui anime l'association Pierres sèches en Vaucluse nous a envoyé ce texte de compte-rendu. Qu'elle soit ici remerciée de son plan de parcours, de son art de guide et de sa participation à notre caravane poétique et de ce journal de route enjoué!
La caravane et la rose des vents
Il était une caravane poétique qui tranquillement musardait sur les sentiers de Lagnes. Le nez au vent des odeurs, les oreilles attentives aux stances du Nord au Sud et d’Est en Ouest, « dessinant à leur manière une rose des vents poétiques ».
Tout avait bien commencé, le château c’est au Sud, c’est bien ancré et bien bâti, escaladé par des morpions de bories dont la noble demeure ne s’offusque pas.
A l’Ouest, l’horizon de la plaine du Rhône ! la rose des vents est stable et rassurante. La caravane est polarisée dans la bonne direction, c’est une certitude.
Mais quand la caravane aborde l’Est, le vent commence à tourner : est-ce bien l’Est, où c’est l’Est ? peut-être là où le soleil se lève, mais il y a déjà belle lurette qu’il est levé ! déjà, insensiblement, la boussole perd ses repères, dérive subrepticement. La caravane au repos prend sa dernière photo sur un simili dolmen, joyeuse et inconsciente du danger qui approche à pas de velours. La dernière photo de gens qui vont au désastre et ne le savent pas.
Au Nord, mais au Nord de quoi, on ne le sait déjà plus, la quiétude est encore là avec le soleil engourdissant, alors que la boussole l’a perdu ce Nord et commence sa perverse déviance.
Les poètes se sont tus, il se murmure qu’il est temps de penser à l’art du pique-nique. Et c’est là que le destin se met en marche, la rose des vents virevolte dans une folle ronde. La caravane part vers l’Ouest en présumant que c’est l’Est ou le Sud ou une cinquième direction. La boussole n’ « oriente » plus elle « désoriente » et entraîne la caravane vers des chemins égarés, vers un canal dont l’eau s’écoule, mais vers quelle direction ?
SOS, c’est un vrai triangle des Bermudes, où est la caravane ? Où l’a conduite son errance ?
Les chercheurs de caravane vont au Nord, à l’Est, au Sud, mais pas à l’Ouest, ne découvrant pas le fil d’Ariane. La caravane ne répond plus, deviendra-t-elle une fantomatique procession divaguant éternellement?
Mais non, saine et sauve, plus ou moins gaillarde et ravie, elle est arrivée au port du Piei, ayant frôlée des précipices, affrontée la lourdeur du soleil et dieu sait quelles épreuves encore.
Moralité : attention à la rose des vents, trop la célébrer lui tourneboule les sens et elle entraîne les caravanes dans sa danse infernale ou… merveilleuse !