UA-156555446-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

JEAN FRANÇOIS MATTÉI, la vie en suspens du philosophe (9 mars 1941- 24 mars 2014)

 

images.jpeg 

  J’ai appris avec près de 3 mois de retard le décès de Jean-François Mattéi. Encore a-t-il fallu un curieux concours de circonstance, puisque c’est à l’occasion de la conférence de presse de Richard Martin qui présentait la saison 2014-2015 au théâtre Toursky que j’ai lu en haut d’une page du catalogue la mention « Ces Université populaires sont dédiées à Jean François Mattei ». Et comme rien n’est simple dans le monde des homonymies, j’ai pensé spontanément qu’il s’agissait de cet autre « Jean François Mattei » (sans accent aigu sur le e) dont Patricia Le Roux et moi, avions fréquenté l’Espace Éthique Méditerranéen, plusieurs années durant. Il a fallu quelques jours encore pour que quelqu’un me dise en vérifiant sur le Net : il s’agit du philosophe de la pensée grecque.

  Ce retard à apprendre est peut-être l’ultime clin d’œil que m’a adressé l’auteur de la Barbarie intérieure. Une façon de différer l’actualité pour mieux faire face au présent. Une pratique de l’âme comme celle du « suspens » qui nous tenait particulièrement à cœur, l’un et l’autre, en matière d’éducation.

  Certaines personnes vous rendent plus intelligents  par la magie d’une conversation. Elles ont la capacité d’attiser en vous un désir de connaissance et de vous engager à l’entretenir à chaque rendez-vous. Jean-François Mattéi était de cette lignée de maïeuticiens. La vie universitaire avait fait que je l’avais rencontré pour la première fois comme étudiant à l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix en Provence dans les années 70. Juste le temps d’un examen oral où j’avais écrit dans mon brouillon préparatoire quelques noms en cyrillique comme une facétie qui avait intrigué mon interlocuteur. Ce n’était rien, mais déjà des miettes pour un esprit toujours en éveil qui n’attendait de son vis-à-vis, fût-il inexpérimenté, qu’un véritable dialogue d’intelligences. J’avais ainsi hérité d’une conversation passionnante, bien plus que d’un examen besogneux, et la note obtenue avait été à la mesure de ce bon moment.

   Bien plus tard, j’ai retrouvé Jean-François Mattéi à la faveur du Colloque d’éthique économique de la Faculté de Droit d’Aix en Provence, animé par Jean-Yves Naudet. Jean-François Mattéi  avait reçu la mission de dispenser la conférence inaugurale. Les traversées étaient précises, argumentées, prenant toujours assise sur la pensée grecque pour nous emmener vers aujourd’hui. Mais rien de compassé, de poussiéreux, et les citations venaient se loger comme au naturel dans les argumentations où Hölderlin était aussi à l’aise que le cinéma américain contemporain.

 

 7692320,templateId=scaled,property=imageData,height=220,scale=proportional,v=1,width=312,CmPart=com.arte-tv.www.jpgSi le philosophe est un questionneur, Jean-François Mattéi avait cette vertu-là, mâtinée d’une forme de stoïcisme où l’ironie n’était jamais délaissée. Il interrogeait le monde contemporain dans ses conventions de pensée, ses fausses évidences, ses processus d’enfouissement ou de simulacre de la vérité, ses impasses ontologiques. J’aimais qu’il sache étudier avec une rare profondeur le film Matrix et le mouvement des Indignés comme des objets - témoins de notre époque. Réfractaire à toute duperie. Mû par une forme de pessimisme actif (il évoquait « l’immonde contemporain ») qui ne s’en laisse pas compter.

 Le repas qui prolongeait la séance inaugurale d’une année à l’autre était à chaque fois pour moi l’occasion de pousser vers un au-delà de la conversation où le philosophe et le poète échangeaient leurs expériences. Je ne me lassais pas d’apprendre et d’engranger, d’emporter des provisions pour activer les neurones, à l’approche de l’été.

 La dernière fois où j’ai vu Jean-François Mattéi, il présentait un triptyque sur Albert Camus où ce méditerranéen viscéral retrouvait un corpus de pensée qui lui était cher : l’absurde, la révolte et l’amour.  Une sorte de parcours d’après-Nietzsche où le dernier homme clignant de l’œil laisse la place au « premier homme » retrouvé qui réinvente la possibilité du monde. Et son enchantement.7692352,templateId=scaled,property=imageData,height=220,scale=proportional,v=1,width=312,CmPart=com.arte-tv.www.jpg

  Comme si après toutes les tâches de creusement de l’illusoire, d’interpellation des masques, l’humain trouvait la grâce de se dresser à nouveau.

 Jean-François Mattéi, ce petit homme agile et chaleureux, à la vivacité d’esprit hors pair, avait le courage et l’obstination de ceux qui œuvrent pour qu’à la fin de l’Histoire - qui est déjà devant nous - l’humain ne retourne pas à la caverne de Platon d’où la philosophie l’a fait sortir. Vaste espoir toujours à reprendre, tout particulièrement face aux mauvais anges de notre époque.  

   Pour l’heure, c’est une présence amie qui se met « en suspens ». À qui j’aimerais adresser au-delà du silence cette parole si fragile de Charles d’Orléans comme une leçon de confiance envers l’esprit humain qui regarde le monde, tantôt en philosophe et tantôt en poète: « Il n’est nul si beau passe-temps que de jouer à la pensée ».

 

                                           Dominique Sorrente

 

Pris dans la récente actualité, on pourra visionner cet échange entre Raphaël Enthoven et Jean-François Mattéi, à la suite de l’émission Philosophie d’Arte du 3 novembre 2013 :

http://www.arte.tv/fr/indignation-jean-francois-mattei-est-l-invite-de-raphael-enthoven-dans-philosophie/2235124,CmC=7692114.html

 

Unknown-1.jpeg

Les commentaires sont fermés.