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René Char : son pays est mon pays

 

QU'IL VIVE !

                                                                

Ce pays n'est qu'un voeu de l'esprit,

un contre sépulcre.

Dans mon pays, les tendres preuves du printemps

 et les oiseaux mal habillés sont préférés

aux buts lointains.

La vérité attend l'aurore à côté d'une bougie.

Le verre de fenêtre est négligé.

Qu'importe à l'attentif.

Dans mon pays,

on ne questionne pas un homme ému.

Il n'y a pas d'ombre maligne

sur la barque chavirée.

Bonjour à peine, est inconnu dans mon pays.

[…]

Il y a des feuilles, beaucoup de feuilles

sur les arbres de mon pays.

Les branches sont libres de n'avoir pas de fruits.

On ne croit pas à la bonne foi du vainqueur.

Dans mon pays, on remercie.

 

René Char,

dans La Sieste blanche in Les Matinaux,

Gallimard, 1950

 

 

 « Ce pays n’est qu’un vœu de l’esprit, un contre sépulcre » nous dit Char, et pourtant, j’ai le sentiment tangible de sa réalité, de sa vie par-delà la naissance et la mort. Les oiseaux, l’aurore, la bougie, le verre de fenêtre ; la liberté des arbres et le remerciement, touchent concrètement la terre et l’idée. Ce pays n’est qu’un vœu, mais il est en amont de toute vérité.

Cela, René Char le sait : « Dans mon pays, on ne questionne pas un homme ému. […] Bonjour à peine, est inconnu dans mon pays. […] On n'emprunte que ce qui peut se rendre augmenté. […] Dans mon pays, on remercie. ». Je retrouve dans ces mots simples l’épure râpeuse des phrases courtes et nettes de mon grand-père vigneron, l’idée d’une éthique accrochée à la terre, parce-qu’elle est sous nos pieds et nous fait tenir droit.

Si le pays de René Char est un pays mental, il n’est pas éthéré ; sa poésie est foncièrement étrangère à toute évanescence. Sa vérité s’ancre dans la terre de Vaucluse et la chair des hommes qu’il côtoie. Char est un paysan qui charrue le pays avec ses mots, un paysan pour lequel la terre nourrit la poésie. L’éditeur José Corti disait de lui : « Char ne croit probablement pas beaucoup à l'inspiration ; mais, au hasard d'une rencontre, à l'aimantation des êtres et des choses. Il sait que le poète est un médium qui perçoit, sait le lieu et la prise. Quand il laboure, il pèse sur la terre ; il va toujours plus loin ; il revient sur le sillon autant de fois qu'il faut. Un manuscrit de Char est toujours la recherche de la dernière perfection. ». Sa poésie est attentive à la nature et soutient l’homme, « […] hiver de 1943,  hiver de la nature confidente et de l’homme pourchassé. », en est un témoignage dans sa pleine dureté.

Dentelles de Montmirail.jpg
Les dentelles de Montmirail (cliché O. Bastide)

 

Le pays de René Char est un pays parcouru, arpenté ; Char est un géomètre de la base et du sommet. Son regard prend l’espace et foudroie : « Dans la plaie chimérique de Vaucluse je vous ai regardé souffrir. Là, bien qu’abaissé, vous étiez une eau verte, et encore une route. Vous traversiez la mort en son désordre. Fleur vallonnée d’un secret continu. ». Il va, le plus souvent, en son cœur, entre Dentelles de Montmirail, Ventoux et Luberon. Là est son pays, au pied du « mont Ventoux, miroir des aigles » ; là, où « L’aphyllante lunatique », « l’aubépine […] verte et blanche », poussent  près de « routes qui ne promettent pas le pays de leur destination », près d’un « sentier qui ne mène qu’au cœur ensanglanté de soi, source et sépulcre du poème », qu’il soit Le Thor, Venasque, Thouzon, Sivergues, lieux mythiques, et non exhaustifs, de l’attachement. Il parle « aux riverains de la Sorgue », car ils sont ses voisins, car ils sont aussi « l’homme granité  […] de Lascaux » et  « l’homme de l’espace ». S’il fallait lui assigner une adresse précise, il serait l’homme des Névons, l’homme des Busclats, l’homme qui reconnaît l’alouette et la bergeronnette, désigne le vipereau. 

 

Partage eaux Sorgue.jpgQuand « Le pays natal est un allié diminué » signe le lien viscéral du poète avec les terres qui l’ont vu grandir, cela signifie encore son absence de nostalgie véritable d’un passé révolu ; il lui importe plus de porter « les chants matinaux de la rébellion ». Parfois, pourtant, s’exprime la tentation des regrets : « dans le sentier aux herbes engourdies, la chimère d’un âge perdu souriait à nos jeunes larmes ». Mais la « chimère » laisse place à la « vie future » de « ton visage quand tu dors ».

René Char, homme à la gueule terrible des révoltes humaines, parle, avant tout, de l’homme à l’homme. Son pays est assentiment, parce qu’il est résurgence ; il est bras et verbe tendus vers le ciel adossé à la falaise de Vaucluse sans volonté d’échappatoire :

 

« Un oiseau chante sur un fil

Cette vie simple, à fleur de terre.

Notre enfer s’en réjouit.

 

Puis le vent commence à souffrir

Et les étoiles s’en avisent.

 

Ô folles, de parcourir

Tant de fatalité profonde ! ».

 

Son pays est le mien, si je suis à l’écoute des pierres, si je le sais part de ma chair, presque mon être. Son pays est le mien quand je suis attentif au souffle d’un ruisseau, quand le gouffre sous mes pas ouvre le cosmos. Son pays est le mien par l’écriture du drame nourri des lieux et des feux qui l’habitent :

« Quand s’ébranla le barrage de l’homme, aspiré par la faille géante de l’abandon du divin, des mots dans le lointain, des mots qui ne voulaient pas se perdre, tentèrent de résister à l’exorbitante poussée. Là se décida la dynastie de leur sens. ».

Là naquit le poème, dans le soupçon incontesté de sa parenté avec les dieux, l’inatteignable et l’espéré…

 

Olivier Bastide

(Malaucène, Carnets du Ventoux n°57, octobre 2007)

 

 

Rare le chant...

 

Rare le chant du bouvreuil triste,

L'hiver admiré du Ventoux ;

L'an nouveau décuple les risques ;

(...)

L'écervelée source séduite.

Le soleil divisé devient ce soir gravide.

 

 

René Char, in Éloge d'une soupçonnée

                                  (Gallimard, 1988)

 

 

 

 

 

interv PoP-PoV.jpg

         29.III.2008

 

 

 

 

 

 

 

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