24 décembre 2015
JEAN-MARIE PELT la passion de la terre en héritage (1933-2015)
Octobre 1977. Collège d’Europe de Bruges.
L’homme qui est devant nous n’enseigne pas comme les autres. Il repousse les murs, il invente des fenêtres, il raconte comme je ne l’avais jamais entendu le dialogue entre l’arbre et le nuage. Soudain les discours ambiants de mes années universitaires de sciences politiques et économiques prennent un coup de vieux salutaire. Le poète qui réclamait en moi de scruter autrement le réel tend à nouveau l’oreille. Le monde, tout d’un coup, s’enrichit d’une compréhension nouvelle ; la science économique trouve le terreau qui lui manquait, une réalité nourricière qui lui donne sens.
Je découvre l’écologie, danse des systèmes.
J’apprends cette évidence : l’homme a débarqué sur la lune, il y a huit ans à peine, oui, mais il en est revenu. Et après ? Plus que jamais c’est la terre qui nous appelle à prendre soin d’elle.
Le réel est infiniment plus intelligent qu’on nous l’enseignait ailleurs dans les cours ordinaires et sans âme. Pour un jeune poète qui remue son tohu-bohu intuitif, sans trop d’écho, voilà l’aubaine : une présence alliée dans le champ académique.
Celui qui anime cette conscience-là a le verbe généreux, enthousiaste, drôle. Sa silhouette est massive, mais pas intimidante. Sous ses lunettes, la malice est en état d’alerte permanente. Dès la première rencontre, nous sommes un groupe d’étudiants de toutes nationalités à prendre spontanément Jean-Marie Pelt sous notre coupe, à l’inviter à prolonger le cours dans notre résidence étudiante de Jorisstraat pour la soirée. L’audace ne se monnaie pas dans cette jeunesse avide de comprendre ce que nous dit la terre ; elle s’est trouvé ici un singulier intercesseur pour nous parler d’elle.
Dès le premier cours, une amitié est née. C’est décidé : avec ce maître-éclaireur, nous partons « refaire le monde ».
La déferlante des questions, le bonheur des entretiens, les retrouvailles suivront, avec le rire toujours à l’affût.
Et des pages, et des pages pour la suite des années.
Et toujours en mémoire, ce jour d’examen-conversation
hors du temps avec les oranges partagées.
À Jean-Marie Pelt, je dédie ces mots d’un livre « C’est bien ici la terre » (MLD éditions) dont il m’avait offert en toute amitié d’écrire la préface en octobre 2011. Puissent ces quelques mots posés en forme de stèle le rejoindre, l’accompagner à la merci des vents:
Alors le secret m’a accordé ce quelque chose
que je ne saurai dire
autrement qu’en murmure.
Sur ma peau, en écriture sympathique, il est écrit :
« je suis l’autre rebord du monde
et je t’attends ».
Dominique Sorrente
Jean-Marie Pelt, écrivain, botaniste, pharmacien, biologiste, précurseur de l'écologie urbaine, est décédé le 23 décembre 2015
07:39 Publié dans Portraits | Lien permanent | Commentaires (4)
07 juillet 2014
Comme un indien un goéland, Daniel Schmitt
dans l’amitié du vent commun
J’ai envie de dire de Daniel Schmitt
qu’il est un poète comme on n’en fait plus,
un de ces rares et si précieux qui ne regardent pas
à la dépense des mots et des gestes, un qui ne cesse jamais
de faire signe et de lever son verre et celui du voisin,
et celui de la table entière,
à la santé des phrases qu’on a définitivement
perdues dans les tiroirs.
Et puis, un homme qui avance, en sautillant comme ses frères oiseaux,
ami des branches et des peintures, et de tout ce qui
se faufile dans les entrelacs de l’horreur pour lui montrer
qu’elle n’aura pas
le dernier mot,
un obstiné qui va son pas, d’une besace à l’autre,
pour nous apprendre à nous lester de tout
sauf de poèmes et de chansons.
Ce matin, j’ai reçu une lettre, mêlée d’or et d’exil,
à l’enveloppe dessinée de sa main.
Entre couleuvre et mésange, jeu d’averse et quelques collines,
elle disait sur papier vert
l’éclat musclé des pierres
dans les parages de René Char
et l’art du toujours enfant
qui apprend à vieillir en cachette.
Elle a suffi pour faire voler en éclats le cortège honteux des soucis.
Troquer les tâches poussives contre des claquement d’ailes.
Pour mieux gober ce jour reçu, je suis allé à ma guitare
pour bricoler quelques arpèges.
J’ai dérangé mon agenda
d’une chanson, puis deux, puis d’autres encore,
et de tout ce qui vient en cailloux blancs
pour mieux nous égarer avec l’homme de la Bocca.
J’ai envie de dire de Daniel Schmitt
qu’il est un poète comme on en fera encore,
des dizaines, peut-être des milliers, dans un futur taillé
à sa mesure,
quand on n’aura plus besoin de compter,
quand d’autres viendront grâce à lui
qui le reconnaîtront
pour simplement gober le jour qui vient en poésie.
Arrêtez de chercher le mot « amitié » sous la table.
Troquez-le vite en ce début d’été, contre un vers de Daniel Schmitt,
l’homme à la besace à poèmes
qui allège un peu plus le cœur, chaque fois
qu’il la remplit.
J’ai envie de saluer Daniel Schmitt
comme on confie un ami aux immortelles
qui le connaissent déjà bien depuis longtemps.
Dominique Sorrente
DANIEL SCHMITT PAR LUI-MÊME
Daniel Schmitt est né le 7 février 1929. Deuxième naissance à l’automne 1941 en écoutant «Verlaine» (que je prenais pour un prénom féminin), mis en musique et chanté par Charles Trenet. Puis Cocteau (parce qu’il écrivait des articles sur Trenet), puis Prévert (parce qu’il fit avec son frère un film sur Trenet). Dans un pays où parait-il tout fini par des chansons, pour moi tout a donc commencé par une chanson. Je n’ai jamais cessé d’écrire depuis ce temps là (mes douze ans).
Daniel Schmitt - Le Printemps des Poètes
À signaler pour l’été 2014 : |
-la Besace à poèmes n°71 « Du côté de René Char » disponible chez l’auteur
-plusieurs livres d’artistes publiés aux éditions Tipaza
ainsi que « Du côté de René Char », l’ouvrage original tiré en 15 exemplaires, avec 4 photos de Lucien Clergue, aux éditions des Cahiers du Museur chez Alain Freixe.
19:03 Publié dans Portraits | Lien permanent | Commentaires (1)
09 mai 2009
Laurent Xavier Cabrol ~ Peindre le souffle
ATELIER par vent de sud-est
au peintre Laurent Xavier Cabrol,
assidû maroufleur des signes
au parc du Mugel
Pour Préface
D’une rive à l’autre, l’oiseau porte et ramène.
Les signes et les noms, les promesses de nids.
Il est celui qui toujours relie.
L’autre rive est là qui nous regarde et se laisse regarder. L’autre rive aux gestes indistincts,
devant elle coule une mémoire de Gange avec
ses rites très anciens.
On la soupçonne peu. Et pourtant elle s’offre, se laisse contempler.
Et peu à peu, à l’aune de ses allers-retours, on découvre que la réalité la plus sûre n’est pas celle des exercices quotidiens, mais l’horizon qui les visite.
On se laisse entreprendre par ces signes revenus de séjours d'arrière-monde.
On pressent qu’ il y a un peintre qui nous ressemble à la frontière de la mer.
En toute sympathie, j’ai mis mes mots sur ce chemin qui invite
à quitter l’atelier pour mieux y retourner.
DS
Peintures Laurent Xavier Cabrol
Textes Dominique Sorrente
ABRUPT
Ceci est un périple.
La fortune de l’air orientait ce moment singulier.
Un passant
par vent de sud-est
est parti à l’intérieur du paysage
pour loger ses commencements.
Surgie au-devant de lui-même,
une trace comme une avancée
fut instruite.
Dehors, un aplomb posé en mer
se raconte muet
dans l’immobilité malmenée.
FACE à FACE
Je te vois sans te regarder.
De rayures en brisants,
trait pour trait,
c’est comme un rythme qui se cherche,
l’apothéose
quand elle se penche aux bords du vide.
Mon front est de poudre rouge.
De ma bouche ne reste qu’un morceau de langue.
Dans l’ombre de la joue
s’applique un noir qui ne m’appartient pas.
Tu m’as nommé en masque,
tu m’appelles en visage.
Et toujours là, esprit sourcier,
l’étreinte de cette nuit me creuse.
En moi
loge à demeure
le blanc de tous les yeux du monde.
DIALOGUE AU PREMIER JOUR

Qui te donne de naître et renaître ?
O si diffus,
Si difficile à nommer, et pourtant de plain-pied
te faisant signe dans la chambre.
Par le bleuté du manque,
par la tension du geste en noir qui se prépare,
un songe à deux versants
scelle ta vie.
Ici, pour espérer, il suffit d'une naissance d'ailes.
VIRGULE ROUGE
Haltes, répétitions, percées.
Puis vient l’heure
où le tumulte nous déplace.
Ce sont les temps qui jouent en plein été
l’heure des dieux.
Trois signes revenus d'un feu aboli
ont pris leur place sans se parler.
La solitude en majesté
soudain
forme ses initiales.
Les toiles de Laurent Xavier Cabrol sont exposées
à la Galerie Sordini à Marseille.
Il est né le 10 Août 1955 à Oppède Le Vieux.
Études artistiques aux Beaux-Arts de Paris et d'Avignon.
Vit et travaille aujourd'hui à Oppède le Vieux dans le Luberon ainsi qu'au parc du Mugel
à La Ciotat (France).
CABROL, ou les fulgurances des énergies.
Construites comme des partitions de musique, les toiles de Cabrol en ont toutes les caractéristiques, des cadences aux harmonies colorées. Remarquablement équilibrées, souvent à la limite de la rupture, elles dégagent des dynamiques, hymnes aux forces vitales générant les énergies sous-tendant toute vie.
C'est une immense plénitude qui se dégage de ces travaux, comme si notre regard s'attardait sur l'équilibre de la nature. Mais c'est, en toute certitude, que l'enfance de Cabrol s'est nourrie de la terre du Luberon, de ses perspectives contradictoires et pourtant si paisibles: paysages majestueux et vastes canyons torturés.
Incontestablement, un esprit règne en maître sur les compositions du peintre qui nous fait, au détour de tel graphisme ou de telle eurythmie chromatique, quelques confidences codées : passion pour la méditation, rattachement à la mémoire, exaltation des mystères de l'intelligence et, peut-être paradoxalement, nécessité d'ordonner toute chose pour tendre vers l'inaccessible perfection.
L'ivresse est au corps ce que la peinture est à l'imaginaire, nous dit Cabrol. Et, certainement aussi, ce qu'une de ses toiles est à notre regard.
Gérard Blua
22:22 Publié dans Portraits | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : laurent xavier cabrol, peinture, poésie, dominique sorrente