EXIL, RETOUR
(extrait)
Y a-t-il place pour d'autres dire
Plus hauts que cathédrales et leurs démons de pierre
Accrochant aux nuages les vestiges des siècles
Voici mon chant ma danse et mon espoir L'exil
Est au dedans de moi mais déjà je reviens
Vers mon Esclavonie.
***
Là-bas dans l'ombre londonienne
Aux couches des bourgeois j'ai changé les draps surs
Et appris quelque écho de leurs rites
Les traces qui maculaient leur linge
Écrivaient mon malaise quand tôt passé le goût
Du dépaysement du folklore de l'exotisme
Le despotisme de salon des droits qu'ils s'arrogeaient
Me renvoyait l'image de ma roture
Ô le chant de ce train qui ramène au pays
La fierté de mon peuple
Et ma soif s'apaise à la chair
D'une tomate olive et mon palais s'égaie
D'un fromage de brebis
Sur les chemins de mes orages
J'ai rencontré mes frères aux barreaux de vos bagnes
Au fond des fosses creusant l'humidité des villes
Dans le chahut des marteaux-piqueurs
Et le silence des rues sur eux retombe
Criant l'angoisse des heures sans sommeil
Alors ce train
Traversant les frontières comme on célèbre un rêve
Renversant les alliances les leurres
Roule vers l'avenir
Ô fumer en silence cigarette sur cigarette
Des américaines de préférence avec un bout doré
Demain
Se lèvera le premier jour de ce qui me reste à vivre
***
La porte du compartiment s'ouvrit il savoura ton regard l'idée déjà
de te connaître deux exilés à se chercher à se connaître et pourquoi
pas au hasard on partagera les victuailles et notre angoisse s'efface
un paysan projette le linge blanc de son repas et le convoi s'égare
tiré par deux colombes la nuit est un alcool et ses heures bleues
vacillent le printemps renaît au plein coeur de l'été s'avance
il pose son regard par la chemise ouverte entrevoit leur histoire
***
(une mouche troubla l'instant qu'il chassa)
Et déjà les jours à venir
La traversée des sables des villes des tunnels
Déjà leurs mains qui se hèlent
Les yeux plongés au plus secret de l'autre
Les jours et les nuits l'oubli de l'exil des mondes armés
Quand la Terre se décrit comme patrie commune
Au vent des frontières socialistes la belle le rebelle
Et l'autre encore son pays se dit yol
Parti se vendre au nord de l'homme
Et plus au nord encore que personne ne croît
Que Günther écrivit et vécut à sa place
Dans sa chair et son âme
Crachant sa germanité aux pieds de ses bourreaux
Pour mieux la regarder en face
***
Laisse entrer la nuit dans ton compartiment
Smiljka aux yeux de camomille
Ton chant au plus intime gonfle ta robe
D'un orbe palpitant qu'appelle la caresse
Et l'humide de ta lèvre le désaltère
Chassé des cuirs endimanchés de têtières blanches
Quand la première classe exclut du rang des voyageurs
Les hommes des figuiers et des orangeraies
Et le gardien des règles suisse de préférence
Colle une amende en douce pour usage usurpé
Des moquettes réservées
Ah écraser une cigarette encore rouge
Sur ses galons glacés
Ô laisse entrer la nuit dans ton compartiment
***
Vous parlez un sabir
Qu'aucune académie ne saurait reconnaître
Mais la tienne au grand jour
Vaut bien cet écart de langage
Entre tes dents s'égare sa langue
Dans le silence qui rythme la conversation de vos yeux
Tu restes énigme
Et pourtant tu te livres
Et se délivrent les lignes sages
Ô livre à peine un corps ouvert
Effleuré de peur d'y découvrir des cités interdites
Au bout de tes secrets un à un arrachés
À la musique muette de ton regard mica
Une eau mêlée de cobalt et d'ozone
Smalt d'azur écrin des îles de Dalmatie
Luit
***
Dans les sommeils de mon enfance
Il me souvient d'avoir grandi au sein d'une louve
Ô ouvre ta chemise de violettes noires
À la bouche égarée qui me mord
La soie de ton sourire when you smile en silence
Ô l'oiseau de ta peau ton sein de miel
Retrouver avec toi les courses de rivière
Et les flots de soleil
Les frontières s'effacent les grands oliviers bleus
Ta terre mouillée et ses chevaux de nuit
T'emportent sur leurs vagues
Ce train file et au bout du voyage
Est le commencement
Ta main se pose sur les heures qui se comptent
Et mon pouls bat l'amble de nos espoirs liés
Voici ton chant ô Smiljka de miel et de mica
[...]
Henri Tramoy
extrait de “Exil, retour”
Bulgarie 1968 / France 1987
in Ecrits poétiques rassemblés (volume I)
Ed. Presse & cousoir, 2011
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Henri Tramoy est poète. Il dirige également les éditions Les Solicendristes et co-anime la revue Soleils et Cendre.