22 janvier 2012
Jean-Philippe Salabreuil ~ La chambre à feu
© Photo Helder Reis
La chambre à feu
Au bord du livre que j'écris tourne le ciel et ses montagnes. Une chose plus essentelle que la vie est le matin du monde en fleurs à travers nous. La hauteur bleue nous habite et nous dédaigne non remaniée depuis les âges nous qui changeons. Voici l'automne de nouveau qui toujours se ressemble. Et lorsque l'âme à la fin s'émerveile un cri plus pur de rouge-gorge enfile nos sombres haies de buis jusqu'au silence.
Écrire ici pour moi n'est plus ouvrage de lumière. Ailleurs m'interpellent des morts à la dérive qui n'ont encre ni papier ni plume en leur barque si noire. Et puis quelques vivants de même démunis parmi l'enclos des monts branchus. Mais l'aube me retrouve à pic entre deux lucarnes de l'espace où je balconne et ne me laissera jamais semblable. Une heure ou deux le grand parti des rossignols a pris ma chambre à feu pour un pin de ténèbres. Ils sont mots violents que la nuit range mal et dérange. Ainsi les mains levées plus fréquentes et tremblantes. Ainsi le coeur tardif. J'y gagne une rigueur.
Aux soirées lisses et dévidé le fil ténu des jours cette allégresse m'a recommencé. Mise en doute la fatigue un ruisselant sommeil m'élève au profond visage des nues. j'ai pour témoin ma vieille lampe avoir à sa lueur défoui les menées blanches d'un pays d'érables. Et l'éternel glissement d'astres en route pour l'hiver. Ô douce lune es-tu venue quand je me suis tourné vers la muraille ? À minuit les roses de novembre ont quitté mon jardin pour le ciel.
Une à une les pages de livres lus et refermés les montagnes s'enneigent et s'effacent. Au monde limpide entier ma fenêtre ouverte demain secouera sa charge de bois obscurs.
Jean-Philippe Salabreuil
La Liberté des feuilles, Gallimard, 1964
10:58 Publié dans Les feuillets de poésie | Lien permanent | Commentaires (0)
20 janvier 2012
Le Bleu de l'eau ~ Leonor Gnos
Bleu de l'eau
un horizon sur mon visage
les vagues dans les yeux
le miroir de la mémoire
avant que l'écume s'érige
en fontaines géantes
les mouettes se précipitent
contre le vent tombent soudain
comme des pierres
j'aimerais les caresser
je sais qu'elles ont peur elles aussi
par moments la confusion le fracas
je devrais sauter dans l'eau
me battre contre l'irradiation
sans la tentative de m'accrocher
à l'écho du matin
car le soir commence à chavirer
et la nuit se remplit de voix
qui se plaignent
un arôme de nécrose sur la langue
le flot arrive il est immense
il coupe le chemin à tous les cris
et le mot n'a plus aucun sens
à la première lumière du ciel
je recherche le bleu de l'eau
l'horizon aux mille visages
les yeux dans les vagues
pleines de contes de mort
Leonor Gnos
14:53 Publié dans Anthologie Poètes de la Coïncidence | Lien permanent | Commentaires (0)
15 janvier 2012
D'hiver en hiver - Tomas Tranströmer
SOMBRES CARTES POSTALES
I
L’agenda est rempli, l’avenir incertain.
Le câble fredonne un refrain apatride.
Chutes de neige dans l’océan de plomb. Des ombres se battent
sur le quai.
II
Il arrive au milieu de la vie que la mort vienne
prendre nos mesures. Cette visite
s’oublie et la vie continue. Mais le costume
se coud à notre insu.
La place sauvage (1983)
AU MILIEU DE L’HIVER
une lumière blême
jaillit de mes habits.
Solstice d’hiver.
Des tambourins de glace cliquetante.
Je ferme les yeux.
Il y a un monde muet
il y a une fissure
où les morts passent la frontière
en cachette.
Funeste gondole (1996)
Tomas Tranströmer
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Sur l'oeuvre de T. Tranströmer, voir La Quinzaine littéraire
18:18 Publié dans Les feuillets de poésie | Lien permanent | Commentaires (0)