© Photo Helder Reis
La chambre à feu
Au bord du livre que j'écris tourne le ciel et ses montagnes. Une chose plus essentelle que la vie est le matin du monde en fleurs à travers nous. La hauteur bleue nous habite et nous dédaigne non remaniée depuis les âges nous qui changeons. Voici l'automne de nouveau qui toujours se ressemble. Et lorsque l'âme à la fin s'émerveile un cri plus pur de rouge-gorge enfile nos sombres haies de buis jusqu'au silence.
Écrire ici pour moi n'est plus ouvrage de lumière. Ailleurs m'interpellent des morts à la dérive qui n'ont encre ni papier ni plume en leur barque si noire. Et puis quelques vivants de même démunis parmi l'enclos des monts branchus. Mais l'aube me retrouve à pic entre deux lucarnes de l'espace où je balconne et ne me laissera jamais semblable. Une heure ou deux le grand parti des rossignols a pris ma chambre à feu pour un pin de ténèbres. Ils sont mots violents que la nuit range mal et dérange. Ainsi les mains levées plus fréquentes et tremblantes. Ainsi le coeur tardif. J'y gagne une rigueur.
Aux soirées lisses et dévidé le fil ténu des jours cette allégresse m'a recommencé. Mise en doute la fatigue un ruisselant sommeil m'élève au profond visage des nues. j'ai pour témoin ma vieille lampe avoir à sa lueur défoui les menées blanches d'un pays d'érables. Et l'éternel glissement d'astres en route pour l'hiver. Ô douce lune es-tu venue quand je me suis tourné vers la muraille ? À minuit les roses de novembre ont quitté mon jardin pour le ciel.
Une à une les pages de livres lus et refermés les montagnes s'enneigent et s'effacent. Au monde limpide entier ma fenêtre ouverte demain secouera sa charge de bois obscurs.
Jean-Philippe Salabreuil
La Liberté des feuilles, Gallimard, 1964