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  • Jean-Philippe Salabreuil ~ La chambre à feu

     

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    © Photo Helder Reis



    La chambre à feu


    Au bord du livre que j'écris tourne le ciel et ses montagnes. Une chose plus essentelle que la vie est le matin du monde en fleurs à travers nous. La hauteur bleue nous habite et nous dédaigne non remaniée depuis les âges nous qui changeons. Voici l'automne de nouveau qui toujours se ressemble. Et lorsque l'âme à la fin s'émerveile un cri plus pur de rouge-gorge enfile nos sombres haies de buis jusqu'au silence.

    Écrire ici pour moi n'est plus ouvrage de lumière. Ailleurs m'interpellent des morts à la dérive qui n'ont encre ni papier ni plume en leur barque si noire. Et puis quelques vivants de même démunis parmi l'enclos des monts branchus. Mais l'aube me retrouve à pic entre deux lucarnes de l'espace où je balconne et ne me laissera jamais semblable. Une heure ou deux le grand parti des rossignols a pris ma chambre à feu pour un pin de ténèbres. Ils sont mots violents que la nuit range mal et dérange. Ainsi les mains levées plus fréquentes et tremblantes. Ainsi le coeur tardif. J'y gagne une rigueur.

    Aux soirées lisses et dévidé le fil ténu des jours cette allégresse m'a recommencé. Mise en doute la fatigue un ruisselant sommeil m'élève au profond visage des nues. j'ai pour témoin ma vieille lampe avoir à sa lueur défoui les menées blanches d'un pays d'érables. Et l'éternel glissement d'astres en route pour l'hiver. Ô douce lune es-tu venue quand je me suis tourné vers la muraille ? À  minuit les roses de novembre ont quitté mon jardin pour le ciel.
    Une à une les pages de livres lus et refermés les montagnes s'enneigent et s'effacent. Au monde limpide entier ma fenêtre ouverte demain secouera sa charge de bois obscurs.

    Jean-Philippe Salabreuil

    La Liberté des feuilles, Gallimard, 1964

  • Le Bleu de l'eau ~ Leonor Gnos

     

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    Bleu de l'eau

    un horizon sur mon visage

    les vagues dans les yeux

    le miroir de la mémoire

    avant que l'écume s'érige

    en fontaines géantes

    les mouettes se précipitent

    contre le vent tombent soudain

    comme des pierres

    j'aimerais les caresser

    je sais qu'elles ont peur elles aussi

    par moments la confusion le fracas

    je devrais sauter dans l'eau

    me battre contre l'irradiation

    sans la tentative de m'accrocher

    à l'écho du matin

    car le soir commence à chavirer

    et la nuit se remplit de voix

    qui se plaignent

    un arôme de nécrose sur la langue

    le flot arrive il est immense

    il coupe le chemin à tous les cris

    et le mot n'a plus aucun sens

    à la première lumière du ciel

    je recherche le bleu de l'eau

    l'horizon aux mille visages

    les yeux dans les vagues

    pleines de contes de mort

      

    Leonor Gnos

  • D'hiver en hiver - Tomas Tranströmer

      

    SOMBRES CARTES POSTALES 




    I 

    L’agenda est rempli, l’avenir incertain.

    Le câble fredonne un refrain apatride.

    Chutes de neige dans l’océan de plomb. Des ombres se battent

    sur le quai. 



    II 

    Il arrive au milieu de la vie que la mort vienne

    prendre nos mesures. Cette visite

    s’oublie et la vie continue. Mais le costume

    se coud à notre insu. 


    La place sauvage (1983) 



      

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     Source

      


    AU MILIEU DE L’HIVER 


    une lumière blême

    jaillit de mes habits.

    Solstice d’hiver.

    Des tambourins de glace cliquetante.

    Je ferme les yeux.

    Il y a un monde muet

    il y a une fissure

    où les morts passent la frontière

    en cachette. 

    Funeste gondole (1996) 

     

     

    Tomas Tranströmer

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    Sur l'oeuvre de T. Tranströmer, voir La Quinzaine littéraire