« Vignes de mon pays. En marée basse hivernale. Muettes mais mélodieuses, soumises à l’alternance des saisons. Crucifiées puis opulentes. Vaste vitrail où je lisais, enfant, l’écriture appliquée ou la partition musicale. S’élevait un plain-chant païen, une ode géorgique. Un hommage au dieu Pan. Plus tard, le vignoble me référait à la fête enjouée des vendanges. À la table enfin : le vin, ferment mystique de volupté et de convivialité.
Vignes : vaste poème de tendresse déchirée. À la saison hivernale. Ou biblique….
Sentiers de mon pays. De la dynastie des humbles : vignes ou chèvres. Ils m’ont appris une science secrète : la flânerie, le désœuvrement fécond. C’étaient des fils d’Ariane pour mes rêves d’enfant. les couchers du soleil, enfin. Je savourais le goutte à goutte de la mélancolie… »
Georges Lauris est décédé à Marseille le 4 mars 2014 dans sa quatre-vingt dixième année. Il était né dans le Haut-Languedoc le 19 mars 1923 sous le patronyme de Georges Durand. Entré dans l’Ordre des Dominicains en octobre 1943, un temps prieur au Couvent de Marseille, il devint un conférencier et prédicateur remarquable que nombre de Marseillais ont eu l’occasion d’écouter. Sa voix était assurée mais toujours impétueuse, avec les accents tremblants d’une jeunesse en quête d’évidence nue.
Il avait noué des amitiés avec Paul Claudel, Jean Giono, Bernard Buffet qui l’avaient conduit dans les années 70 à écrire sous le nom de plume de Georges Lauris. Son œuvre poétique a été recueillie dans un volume publié par le Cerf. Il a reçu le Prix de l’Académie française en 1991. Il revendiquait une quête mystique ne perdant jamais le goût du sensible, une façon résolument solaire de se tenir droit et debout.
Situant sa démarche d’écriture au cœur de la traversée de foi, en ce qu’elle a de plus exaltante, de plus obstinée, mais aussi de plus démunie, il affirmait : « Rimbaud, le pionnier de la Poésie moderne, et auquel m’a initié Claudel, se voulait opéra fabuleux. J’ai quant à moi, laissé agir cette pulsion cosmique puis grâce à l’Evangile, j’ai essayé mes ailes dans le vol nuptial mystique ».
Et il poursuivait : « Oui le fonde des choses est blanc (Y.Ritzos). Malgré l’opacité et la nocturnité de l’être.
Oui, je m’intéresse aux maudits. Je les nomme : Villon, Rimbaud, Baudelaire, Jean Genêt, Saude…Non point par masochisme, mais parce qu’à leur insu, ils montent la garde comme des sphynx- à la porte du Mystère noir. À leur insu, ils habitent la sueur de sang qui recouvrit le Christ des Oliviers… »
Il y a quelque temps, Georges Lauris nous confiait les trois piliers de sa voûte étoilée : dévoilement, épanchement, cohérence. Nous emportons avec nous ce triptyque, mais aussi la voix chaleureuse qui savait redire pour défier la tiédeur ambiante l’abomination du massacre d’Oradour-sur-Glane et la tendresse infinie pour les dons sans calcul de Marie-Madeleine. Georges Lauris nous offre ce geste d’un homme, devenu un grand pauvre par consentement, portant au-delà de l’âge la présence de celle qui le fit naître.
CINÉRAIRE
À celle
qui se tient debout
derrière la fenêtre
et qui essuiera la vitre
derrière ta mort
juste le temps
que je vienne
comme autrefois
de l’école ou du
catéchisme
à celle
qui a reçu les clefs de la vie
elle a ouvert mes yeux
et nul ne les fermera
jamais
elle est, elle vient
comme un oiseau de neige
picorer dans la main
la parole ensemencée
jadis
ô femme
debout dans le soleil
comme l’été
( extrait de Œuvre poétique- Cerf 2001)